WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

RHOVYL contre KLTE Limited

Litige n° DFR2007-0006

 

1. Les parties

Le Requérant est la société RHOVYL, Tronville en Barrois, France, représentée par le cabinet Beau de Loménie, Paris, France.

Le Défendeur est la société KLTE Limited ayant un établissement à Paris, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <gerbe.fr> enregistré le 27 avril 2005.

Le prestataire Internet est la société DIE WEBAGENTUR.AT, Baden, Autriche.

 

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 13 mars 2007, par courrier électronique et le 15 mars 2007, par courrier postal.

Le 14 mars 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 15 mars 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 20 mars 2007. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a adressé le 13 avril 2007 aux parties une notification de défaut du Défendeur.

Le 25 avril 2007, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le Requérant est une société spécialisée dans la fabrication et la vente de bas, collants, bodies et sous-vêtements.

Il est à cet égard titulaire de :

- la marque française GERBE déposée le 24 juillet 1978 sous le n° 288 744 et renouvelée en 1988 puis le 17 avril 1998 sous le n° 1 474 104 en classe 25 (vêtements);

- la marque française GERBE déposée le 15 février 1999 sous le n° 99 775 196 en classe 3 (cosmétique);

- la marque internationale GERBE enregistrée le 9 octobre 1978 sous le n° 440719 en classe 25 et renouvelée en 1988 puis le 9 octobre 1998 sous le n° R 440 719.

Le Requérant est également titulaire du nom de domaine <gerbe.com> enregistré le 17 février 2000.

La marque GERBE est exploitée depuis plus d’un quart de siècle et jouit d’une incontestable notoriété comme en témoignent les investissements promotionnels et les nombreuses coupures de presse fournis par le Requérant.

Le nom de domaine litigieux a été déposé par le Défendeur le 27 avril 2005. Ayant pris connaissance de la réservation du nom de domaine litigieux par le Défendeur, le Requérant souhaite en obtenir le transfert.

Avant son gel par l’Afnic, le nom de domaine <gerbe.fr> renvoyait vers une page de parking consistant en une sorte d’annuaire de liens pour du commerce en ligne en langue allemande.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait valoir que le Défendeur porte gravement atteinte aux droits de la marque GERBE. Il estime en effet que la marque GERBE certes limitée dans les classes déposées est une marque notoire que le Défendeur ne pouvait ignorer.

Il rappelle ainsi qu’en l’absence de lien juridique ou autorisation, rien ne permet au Défendeur d’utiliser le nom réservé.

Il considère donc qu’il y a eu manquement du Défendeur à l’article 19 de la Charte de l’Afnic qui fait obligation à toute personne souhaitant enregistrer un nom de domaine de vérifier au préalable qu’il ne portera pas atteinte aux droits des tiers.

Le Requérant fait également valoir que l’absence jusqu’alors d’enregistrement, par ses soins, du nom de domaine en “.fr” ne peut en aucun cas être assimilée à une renonciation tacite de ses droits.

Il émet par ailleurs des doutes sur la bonne foi du Défendeur au regard des nombreux litiges qui l’ont déjà opposé à de grandes marques françaises suite à sa vague d’enregistrements auprès de l’Afnic (plus de 1200 noms) à l’été 2005.

Enfin, il reproche au Défendeur un comportement déloyal en matière commerciale en retenant de façon injustifiée le nom de domaine dans l’espoir de tirer indument profit de la renommée de la marque et/ou de priver le Requérant de son droit légitime à l’exploiter dans la zone “.fr”.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a soumis aucune réponse au Centre.

 

6. Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence sa transmission à son profit.

L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement, “il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portent atteinte aux droits de tiers, le Requérant pouvant solliciter la transmission de ce nom de domaine à son profit s’il justifie de droits sur ce nom de domaine.

L’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers, au titre de la Charte,

- une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle),

- aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale

- et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.

A. Enregistrement et/ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation du droit des tiers

1. Enregistrement

Il est établi que le Requérant a depuis plus d’un quart de siècle fait enregistrer la marque GERBE pour les besoins de son activité et qu’il l’exploite régulièrement depuis cette date. Cette marque fait l’objet d’une protection non seulement sur le territoire français, mais également dans un certain nombre de pays étrangers.

L’Expert constate que le nom de domaine litigieux <gerbe.fr> est strictement identique à la marque du Requérant.

L’Expert estime également établi que la marque GERBE bénéficie d’une notoriété certaine comme en témoignent les nombreuses coupures de presse versées au dossier par le Requérant, la connaissance de la marque par une large fraction du public, l’ancienneté de la marque dans le secteur des sous-vêtements (plus de 25 ans) et la promotion de cette marque par l’exploitation du site internet “www.gerbe.com” depuis 2000.

Enfin, le Défendeur, alors qu’il en avait la possibilité, n’a pas répondu à la plainte du Requérant. Le Défendeur n’a donc pas contesté les affirmations du Requérant selon lesquelles le Défendeur n’a aucun lien juridique avec le Requérant, et n’a aucune autorisation du Requérant qui lui permettrait d’utiliser la marque du Requérant. Le Défendeur n’a pas plus profiter de cette faculté qui lui était offerte pour justifier d’éventuels droits, notamment de droits de propriété intellectuelle, qu’il pourrait lui-même avoir sur le terme GERBE.

Au titre de l’article L. 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle français, les tribunaux considèrent de façon constante que constitue un abus de droit tout dépôt d’un nom de domaine identique à la marque d’un tiers bénéficiant d’une renommée (pour exemple, Affaire Milka, CA Versailles, 27 avril 2006). Ce principe fut également retenu par l’expert dans la décision Application Des Gaz contre KLTE Limited, Litige OMPI n° DFR2005-0004, litige qui mettait d’ailleurs en cause le Défendeur.

L’Expert rappelle par ailleurs qu’il appartenait au Défendeur de s’assurer de l’absence de droits de tiers sur le terme GERBE, au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, conformément à l’article 19 de la Charte de nommage de l’Afnic.

En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur constitue une atteinte aux droits de tiers et en particulier, aux droits de marque du Requérant.

2. Utilisation

La marque GERBE étant une marque notoire, le Défendeur en utilisant à son profit le nom de domaine litigieux sans justifier de quelconques droits sur le terme GERBE, prive le Requérant de son droit légitime à exploiter le nom de domaine correspondant à sa marque dans la zone “.fr”. En effet, cette rétention injustifiée prive le Requérant de clients potentiels désireux d’acquérir ses produits.

L’Expert relève par ailleurs que, comme invoqué par le Requérant, le Défendeur a eu à connaître par le passé de nombreux litiges l’opposant à de grandes marques françaises suite à son enregistrement massif de noms de domaine (plus de 1200 “.fr”) à l’été 2005, et que nombre de ces grandes marques ont obtenu gain de cause (Les Echos contre KLTE Ltd, Litige OMPI n° DFR2005-0012; Total SA contre KLTE Ltd ,Litige OMPI n° DFR2005-0017; France Telecom contre KLTE Ltd; Litige OMPI n° DFR2005-0019; Orange France contre KLTE Ltd, Litige OMPI n° DFR2005-0020).

Ces éléments de fait permettent de douter de la volonté réelle et sérieuse du Défendeur d’utiliser de bonne foi le nom de domaine litigieux, d’autant que depuis son enregistrement, il semble que ce nom de domaine servait à renvoyer vers une page de parking contenant des liens hypertexte pour du commerce en ligne, de surcroît en langue allemande.

L’Expert considère ainsi que l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte au principe de loyauté en matière commerciale.

B. Droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux

Le Requérant ayant justifié être titulaire de la marque GERBE, l’Expert considère que celui-ci est fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux.

Au surplus, il convient de souligner, tout comme l’énonce le Requérant, que l’absence, jusqu’alors, d’enregistrement du nom de domaine en “.fr” ne peut en aucun cas être assimilée à une renonciation tacite de ses droits au profit des tiers (voir en ce sens litige OMPI n° DFR2004-0004 Artcurial contre Kangaroo).

 

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <gerbe.fr>.


Christiane Féral-Schuhl
Expert

Le 9 mai 2007