WIPO

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Brasserie Duyck contre Monsieur Joffrey Cras

Litige n° D2007-1734

 

1. Les parties

Le requérant est la société Brasserie Duyck, Jenlain, France, représenté par le Cabinet Wagret, France.

Le défendeur est Monsieur Joffrey Cras, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <jenlain.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Schlund + Partner AG.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par la société Brasserie Duyck auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 23 novembre 2007.

En date du 26 novembre 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Schlund + Partner AG, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 28 novembre 2007.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 29 novembre 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 19 décembre 2007. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 21 décembre 2007, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 3 janvier 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Conformément au paragraphe 11 des Règles d’application, la langue de la procédure administrative est celle du contrat d’enregistrement. En l’espèce, la langue du contrat d’enregistrement est le français, ce qui a été confirmé par l’unité d’enregistrement.

 

4. Les faits

Le Requérant est la société Brasserie Duyck, dont l’activité consiste en la production de bières, et principalement de la bière JENLAIN.

Le Requérant est titulaire de plusieurs marques dument renouvelées comprenant les termes JENLAIN et notamment :

- la marque française semi-figurative N°1599790 “JENLAIN” du 3 juillet 1970,

- la marque française verbale N°97660950 “JENLAIN” du 28 janvier 1997,

- ainsi que des marques communautaires et internationales correspondantes.

Le Défendeur, Joeffrey Cras, a enregistré le nom de domaine <jenlain.com> le 9 septembre 2002.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Conformément au paragraphe 4.a., b., et c. des Principes directeurs et au paragraphe 3 des Règles d’application, les éléments de droit et de faits sur lesquels se fonde le Requérant sont les suivants :

Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux est identique aux marques antérieures et dûment renouvelées, “JENLAIN” qu’il utilise pour identifier une bière dont il assure la production. Le Requérant relève également que la page d’accueil du nom de domaine litigieux présente une bouteille de bière de la marque du Requérant. En conséquence, le Requérant considère que ces éléments participent à la création d’une confusion dans l’esprit du consommateur qui sera amené à penser que ce nom de domaine est détenu par le Requérant.

Le Requérant soutient également que le Défendeur ne détient aucun droit sur le nom de domaine <jenlain.com>, et qu’il ne dispose d’aucun intérêt légitime s’y rapportant. Le Requérant indique en effet avoir procédé à une recherche sur les bases de marques françaises, communautaires et internationales désignant la France démontrant que le Défendeur ne détient à ce jour aucune marque comportant le terme JENLAIN.

Le Requérant soutient ensuite que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

A ce titre, le Requérant indique qu’il a tenté vainement de demander au Défendeur de lui céder le nom de domaine, et ce notamment par voie d’un courriel de mise en demeure. A cet égard, le Requérant note que le Défendeur n’était joignable à aucune des coordonnées du contact administratif du nom de domaine litigieux, démontrant ainsi que le Défendeur cherche à cacher sa véritable identité. Le Requérant en déduit un indice de la mauvaise foi du Défendeur dans l’enregistrement du nom de domaine litigieux, comme cela a pu être reconnu dans une décision antérieure (Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, OMPI Litige No. D2000-0003).

Le Requérant précise qu’il a lui-même enregistré les noms de domaines <jenlain.fr>, <jenlain.org>, <jenlain.eu>, <jenlain.net> et <jenlain.us>, et que la réservation du nom de domaine <jenlain.com> réservé par le Défendeur l’empêche d’exploiter correctement sa marque sur internet.

Le Requérant ajoute enfin que la page d’accueil du nom de domaine <jenlain.com> n’a jamais évolué depuis sa mise en ligne. Le site du Défendeur est ainsi constitué d’une unique page d’accueil comprenant une photographie et se proclamant “Site des fans de la bière Jenlain”. Le Requérant relève ainsi que compte tenu de la passivité du Défendeur dont le site n’a pas évolué depuis plus de cinq ans, le Défendeur ne peut être considéré comme faisant un usage légitime du nom de domaine litigieux (Fielding v. Corbett, OMPI Litige No. D2007-0097, Nature et Découvertes v. David Roi, OMPI Litige No. D2000-1000) et permettant d’en déduire sa mauvaise foi (Bulmers Limited, Wm. Magner Limited v. Applepie Solutions Limited, OMPI Litige No. D2005-1274).

Le Requérant sollicite, en conséquence, le transfert du nom de domaine <jenlain.com> à son profit.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a transmis aucune réponse.

 

6. Discussion et conclusions

La Commission constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine <jenlain.com> par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence le transfert dudit nom de domaine à son profit.

Conformément au paragraphe 4. a. des Principes directeurs, l’Expert s’est attaché à rechercher, si sont réunies les trois conditions cumulatives posées par celui-ci, à savoir :

i) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits; et

ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

iii) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

En l’espèce, le Requérant a démontré qu’il était titulaire des marques françaises et communautaires JENLAIN depuis plus de trente ans et dûment renouvelées, pour désigner une bière qu’il produit. Il est également titulaire des noms de domaine <jenlain.fr>, <jenlain.net>, <jenlain.eu>, <jenlain.org> et <jenlain.us>.

De plus, la Commission constate que le nom de domaine <jenlain.com> constitue la reproduction identique de la marque JENLAIN, à la seule différence de la présence du suffixe “.com”. Or, dans de multiples décisions et notamment dans la Décision Société Groupe Danone S.A. v. Société B&D (Business & Decision), OMPI Litige No. D2000-1801, la Commission avait déjà considéré que la présence du suffixe “.com” est inopérante et n’est pas de nature à altérer l’identité entre la marque et le nom de domaine dont il constitue la reproduction.

La Commission considère ainsi qu’il n’est pas contestable que le nom de domaine <jenlain.com> est identique à la marque du Requérant, et qu’il est de nature à prêter à confusion avec la marque du Requérant. Ce dernier satisfait donc aux critères fixés par le paragraphe 4.a.i) des Principes directeurs.

B. Droits ou légitimes intérêts

La Commission relève que le Requérant a produit une recherche effectuée le 13 novembre 2007 sur le nom “JENLAIN” d’où il ressort que le Défendeur ne détient aucun droit de marque en France sur ce nom.

La Commission note que le terme ‘Jenlain’ se réfère également à un nom de ville en France où réside le Requérant. Cependant, il semble que le nom de domaine en question n’est pas utilisé dans ledit sens géographique, mais que le Défendeur se réfère plutôt aux produits et aux marques du Requérant (voir la discussion ci-dessous).

La Commission constate que le Défendeur n’a pas contesté les affirmations du Requérant, ni fourni d’information de nature à démontrer son intérêt légitime dans l’utilisation du nom de domaine litigieux.

La Commission estime en conséquence, la seconde condition énoncée aux Principes directeurs comme satisfaite.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La Commission rappelle que, conformément au paragraphe 4.a)(iii) des Principes directeurs, la mauvaise foi du Défendeur doit être établie concernant l’enregistrement du nom de domaine ainsi que son usage.

La Commission souligne, ainsi que le Requérant le fait valoir que le Défendeur connaissait, lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, l’existence de la marque du Requérant. En effet, l’objet du site placé sous le nom de domaine <jenlain.com> porte sur le même domaine d’activité que le Requérant, à savoir la bière, et il se présente même comme le site du fan club de la bière Jenlain, affichant en outre en page d’accueil une photographie de la bière du Requérant.

Par ailleurs, s’agissant de l’utilisation du nom de domaine <jenlain.com>, le Requérant démontre que le nom de domaine donne accès à une seule page comprenant une unique photographie d’un homme assis avec une bouteille de bière Jenlain à la main sans aucun autre contenu. Le Requérant indique en outre que le site du Défendeur n’aurait pas évolué depuis sa création. Le nom de domaine reste donc à l’état de passivité et selon la Décision Fielding v. Corbett, OMPI Litige No. D2000-1000, cité par le Requérant, l’absence d’utilisation d’un nom de domaine permet de caractériser l’absence d’usage légitime de ce nom de domaine.

Compte tenu (i) de l’usage du nom de domaine litigieux qui démontre clairement que le Défendeur avait connaissance des produits et de l’activité du Requérant, (ii) de l’absence de réponse de la part du Défendeur permettant de rapporter la preuve d’une utilisation de bonne foi du nom de domaine litigieux, et (iii) du fait que le Défendeur n’a pas développé son site pendant six ans, la Commission considère que l’insertion du texte ‘Bienvenue sur le site des fans de la bière Jenlain. Nous sommes actuellement en construction…!!!’ ne permet pas au Défendeur de justifier d’une utilisation de bonne foi du nom de domaine litigieux pour développer un site de fan club.

En conséquence, la Commission considère que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine <jenlain.com> de mauvaise foi.

 

7. Décision

Conformément aux paragraphes 4.i. des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, l’Expert ordonne le transfert du nom de domaine <jenlain.com> au profit du Requérant.


Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique

Date : Le 17 janvier 2008