WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

La Société Réunisolidarité contre La Société Verdi Finance

Litige n° D2007-0237

 

1. Les parties

Le Requérant est la société Réunisolidarité, Saint Pierre, France, représenté par Selca CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon, France.

Le Défendeur est la société Verdi Finance, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <reunisante.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Key-Systems GmbH dba domaindiscount24.com.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par la société Réunisolidarité auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 16 février 2007.

En date du 21 février 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Key-Systems GmbH dba domaindiscount24.com, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 22 février 2007.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 28 février 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 20 mars 2007. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 21 mars 2007, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 11 avril 2007, le Centre nommait dans le présent litige comme Expert-Unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

Le Requérant est la société Réunisolidarité, société mutualiste dont l’activité est de proposer à ses adhérents des assurances, notamment dans l’île de la Réunion. Le Requérant utilise depuis 1998 la dénomination “Réuni Santé” pour désigner les garanties complémentaires de santé qu’il offre à ses adhérents.

Le Défendeur, la société Verdi Finance, a enregistré le nom de domaine <reunisante.com> le 27 août 2003. Selon le Requérant, le Défendeur n’a jamais exploité ce nom de domaine depuis son enregistrement.

En application d’une décision du Tribunal de Grande Instance de Paris du 15 mars 2006, devenue définitive par expiration du délai d’appel, le Requérant s’est vu transférer les droits sur la marque française REUNI SANTE, marque qui avait été déposée par la société COSAP, avec effet rétroactif au 25 février 2004.

Par cette même décision, le Tribunal de Grande Instance de Paris a ordonné le transfert, au bénéfice du Requérant, du nom de domaine <reunisante.com> enregistré par le Défendeur.

Cette décision a été signifiée à l’ensemble des parties par le Requérant. Le Défendeur n’a néanmoins jamais procédé à ce transfert.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Conformément aux paragraphes 4.a), b) et c) des Principes directeurs et au paragraphe 3 des Règles d’application, les éléments de droit et de faits sur lesquels se fonde le Requérant sont les suivants :

Le Requérant soutient que le nom de domaine en cause est identique à la dénomination antérieure “Réuni Santé” qu’il utilise depuis 1998 pour identifier certains des services dont il assure la prestation, ainsi qu’à la marque REUNI SANTE dont il est titulaire depuis le 25 février 2004. Selon le Requérant, la reproduction servile de sa marque est de nature à engendrer une confusion dans l’esprit des consommateurs qui seront amenés à associer le nom de domaine en cause avec les services que le Requérant offre.

Le Requérant soutient également que le Défendeur ne détient aucun droit sur le nom de domaine <reunisante.com> et qu’il ne peut justifier d’aucun intérêt légitime s’y attachant.

Le Requérant soutient enfin que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise fois par le Défendeur. A l’appui de ses allégations, le Requérant rappelle qu’il a réalisé depuis 1998 d’importants investissements en matière de communication pour faire connaître les services désignés sous la dénomination “Réuni Santé”.

Le Requérant déclare également que, afin de développer son activité, il a conclu en 1999 un partenariat avec la société Groupe Eurofi, courtier spécialisé dans les assurances. Ce partenariat a pris fin en 2002, mais le Requérant a par la suite découvert que :

- la société Groupe Eurofi proposait un produit d’assurance dénommé “Réuni Santé”;

- la société COSAP, correspondant à Paris de la société Groupe Eurofi, a déposé le 27 juin 2003 une marque française REUNI SANTE désignant des produits d’assurance;

- le Défendeur, Verdi Finance, a enregistré le 27 août 2003 le nom de domaine <reunisante.com>; qu’il est domicilié à la même adresse que le Groupe Eurofi et qu’il a pour gérant l’ancien dirigeant de cette dernière, M. Ansaldi.

Considérant ces agissements comme frauduleux, le Requérant a saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris qui a ordonné, par jugement rendu le 15 mars 2006 et devenu définitif faute d’appel :

- le transfert au Requérant de la marque française REUNI SANTE déposée par la société COSAP, avec effet rétroactif au 25 février 2004;

- le transfert au Requérant du nom de domaine <reunisante.com> enregistré par le Défendeur.

Par conséquent, le Requérant sollicite le transfert du nom de domaine <reunisante.com> à son bénéfice.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a soumis aucune réponse.

 

6. Discussion et conclusions

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine <reunisante.com> par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence le transfert dudit nom de domaine à son bénéfice.

Conformément au paragraphe 4. a) des Principes directeurs, l’Expert s’est attaché à rechercher si les trois conditions cumulatives posées par celui ci sont réunies, à savoir :

i) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits;

ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

iii) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

En application du paragraphe 4.a) (i) des Principes directeurs, le Requérant doit prouver d’une part qu’il détient des droits sur une marque ou sur une dénomination et d’autre part que le nom de domaine faisant l’objet du litige est identique ou similaire au point d’engendrer un risque de confusion avec la marque ou la dénomination sur laquelle le Requérant a des droits.

En l’espèce, le Requérant a démontré qu’il est titulaire de la marque REUNI SANTE depuis le 25 février 2004 et qu’il exploite la dénomination “Réuni Santé” pour désigner ses services d’assurance depuis 1998.

Le nom de domaine faisant l’objet du litige a été enregistré par le Défendeur le 27 août 2003, soit antérieurement à l’acquisition par le Requérant des droits sur la marque REUNI SANTE.

L’Expert rappelle toutefois que le fait que le Requérant ait acquis les droits portant sur la marque postérieurement à l’enregistrement du nom de domaine est sans incidence sur l’appréciation du critère de l’identité ou de la similitude du nom de domaine avec une marque. En effet, comme rappelé dans diverses décisions OMPI (décision Digital Vision, Ltd c. Advanced Chemill Systems, Litige OMPI n° D2001-0827, décision AB Svenska Spel c. Andrey Zacharov, Litige OMPI n° D2003-0527, ou encore décision MADRID 2012, S.A. c. Scott Martin-MadridMan Websites, Litige OMPI n° D2003-0598), le paragraphe 4(a) (i) des Principes directeurs n’exige pas que la marque reproduite ait été déposée antérieurement à l’enregistrement du nom de domaine litigieux pour l’appréciation de ce critère.

Considérant cela, l’Expert constate que le nom de domaine <reunisante.com> constitue la reproduction identique de la marque REUNI SANTE, les seules différences consistant en l’ajout du suffixe “.com” et en la suppression des espaces dans le nom de domaine, entre les termes “réuni” et “santé”.

Dans la décision Société Groupe Danone S.A. c. Société B&D (Business & Decision), Litige OMPI n° D2000-1801, l’Expert avait déjà considéré que la suppression d’espaces entre les mots du nom de domaine et l’ajout du suffixe <.com> ne sont pas de nature à altérer l’identité entre une marque et le nom de domaine qui en constitue la reproduction.

Par conséquent, l’Expert estime que le nom de domaine <reunisante.com> est identique à la marque REUNI SANTE, et qu’à ce titre, le Requérant a satisfait au critère posé par le paragraphe 4.a) (i) des Principes directeurs.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le Requérant allègue que le Défendeur ne dispose d’aucun droit et n’a aucun intérêt légitime sur le nom de domaine <reunisante.com> en ce qu’il n’exerce pas d’activité sous la dénomination “reuni santé” ou “reunisanté”, qu’il n’a jamais exploité le nom de domaine en cause, qu’il n’est pas connu sous ce nom de domaine, et qu’il ne bénéficie pas d’une quelconque licence accordée par le Requérant.

Le Requérant invoque à l’appui de ses prétentions le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 15 mars 2006 ayant condamné le Défendeur à opérer le transfert du nom de domaine au bénéfice du Requérant.

Le Défendeur n’a pas répondu à ces allégations.

En vertu de l’article 14 (b) des Règles d’application, si une partie ne se conforme pas aux dispositions ou conditions de ces Règles, la Commission peut en tirer toutes les conclusions qu’elle juge appropriées.

Ainsi, le défaut de réponse du Défendeur permet à l’Expert d’en tirer toutes conséquences qu’il juge appropriées à l’égard du Défendeur (décisions Berlitz Investment Corp. c. Stefan Tinculescu, Litige OMPI n° D2003-0465, The Vanguard Group, Inc. c. Lorna King, Litige OMPI n° D2002-1064, et Hachette Filipacchi Presse c. Henri Wichlacz, Litige OMPI n° D2006-1614).

Cependant, le défaut de réponse du Défendeur n’exonère pas le Requérant d’apporter la preuve que le Défendeur ne dispose pas de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine qui fait l’objet du litige (décision Brooke Bollea, a.k.a. Brooke Hogan c. Robert McGowan, Litige OMPI n° D2004-0383).

Conscients de la difficulté pour le Requérant de rapporter la preuve négative du défaut de droits ou d’intérêt légitime du Défendeur sur le nom de domaine, les Experts admettent communément que l’obligation de prouver à la charge du Requérant est allégée. Ainsi, il est seulement demandé au Requérant de démontrer qu’à première vue, le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur le nom de domaine. Ce faisant, la charge de la preuve est alors transmise au Défendeur et ce dernier doit prouver qu’il détient des droits ou qu’il a un intérêt légitime sur le nom de domaine objet du litige (décisions The Vanguard Group, Inc. c. Lorna King, Litige OMPI n° D2002-1064, et Hachette Filipacchi Presse c.Henri Wichlacz, Litige OMPI n° D2006-1614).

En l’espèce, le Requérant a apporté la preuve de sa titularité de la marque REUNI SANTE et a produit une décision juridictionnelle ayant jugé que le Défendeur ne disposait d’aucun droit sur le nom de domaine en cause. L’Expert considère donc que le Requérant a démontré qu’à première vue, le Défendeur ne dispose pas de droits et n’a pas d’intérêt légitime à l’enregistrement et l’exploitation du nom de domaine <reunisante.com>.

Dès lors que le Défendeur, qui avait pourtant été mis en mesure de faire valoir ses éventuels droits sur le nom de domaine en cause, n’a pas jugé utile de répondre à la plainte du Requérant dressée à son endroit, et de ce fait aux arguments de ce dernier, l’Expert considère que le Requérant a satisfait au critère posé par le paragraphe 4.a) (ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4.a) (iii), il appartient au Requérant de démontrer que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine <reunisante.com> de mauvaise foi.

S’agissant de l’enregistrement de mauvaise foi

Au regard des éléments apportés par le Requérant, il ressort que le Défendeur, qui est étroitement lié à la société Groupe Eurofi avec laquelle le Requérant a eu des relations contractuelles entre 1999 et 2002, ne pouvait ignorer l’exploitation par le Requérant de services d’assurance sous la dénomination “Réuni Santé”.

En effet, le Requérant démontre que non seulement le Défendeur est domicilié à la même adresse que la société Groupe Eurofi avec laquelle le Requérant a eu des relations contractuelles, mais également que le gérant du Défendeur est l’ancien dirigeant de la société Groupe Eurofi et que cette dernière détient 50 % du capital du Défendeur.

Ces allégations ont été suivies par le Tribunal de Grande Instance de Paris qui a estimé, dans son jugement rendu le 15 mars 2006, que le Défendeur “ne pouvait ignorer l’usage de [la dénomination “Réuni Santé”] par la Société REUNISOLIDARITE et ce dans le même domaine d’activité et a ainsi privé le légitime bénéficiaire de ce nom de domaine d’en faire l’usage pour la promotion de son produit”.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a également condamné la société Groupe Eurofi pour avoir exploité des services d’assurance sous la dénomination “Réuni Santé” : dès lors, il apparaît que le Défendeur, qui est lié avec la société Groupe Eurofi, ne pouvait ignorer que la dénomination “Réuni Santé” était utilisée depuis de nombreuses années par le Requérant pour désigner ses produits d’assurance et a donc procédé en toute mauvaise foi à l’enregistrement du nom de domaine qui fait l’objet du litige.

Par ailleurs, le fait que le nom de domaine ait été enregistré par le Défendeur le 27 août 2003, soit antérieurement à l’acquisition, le 25 août 2004, par le Requérant des droits sur la marque REUNI SANTE est dans ces circonstances sans incidence sur la caractérisation de la mauvaise foi du Défendeur.

Plusieurs décisions de commissions administratives ont en effet estimé que l’enregistrement d’un nom de domaine pouvait être réalisé de mauvaise foi alors même que les droits du Requérant sur la marque en cause étaient postérieurs, et qu’il fallait alors prendre en considération les circonstances de l’enregistrement (décisions Kangwon Land, Inc. c. Bong Woo Chun (K.W.L. Inc), Litige OMPI n° D2003-0320, ExecuJet Holdings Ltd. c. Air Alpha America, Inc., Litige OMPI n° D2002-0669, General Growth Properties, Inc., Provo Mall L.L.C. c. Steven Rasmussen/Provo Towne Centre Online, Litige OMPI n° D2003-0845).

Ainsi, considérant que le Défendeur avait nécessairement connaissance de l’offre faite par le Requérant de services d’assurance sous la dénomination “Réuni Santé”, qu’il est étroitement lié à une société avec laquelle le Requérant avait cessé toutes relations commerciales depuis 2002, et que ces sociétés travaillent dans le même domaine d’activité que le Requérant, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine <reunisante.com> a été effectué de mauvaise foi.

S’agissant de l’utilisation de mauvaise foi

Selon le Requérant, le Défendeur n’a jamais procédé à l’exploitation du nom de domaine <reunisante.com>

Ainsi, dans la décision Société Groupe Danone SA c. Société B & D (Business & Decision), Litige OMPI n° D2000-1801, l’Expert a considéré que le défaut d’exploitation d’un nom de domaine pouvait être qualifié d’utilisation de mauvaise foi.

L’Expert considère que la mauvaise foi du Défendeur dans l’utilisation passive du nom de domaine est ici patente, et que ce dernier n’a entendu détenir le nom de domaine que dans l’unique but de créer une confusion entre les services du Requérant et ceux de la Société Groupe Eurofi, société avec laquelle le Défendeur est étroitement lié.

De surcroît, il est difficile de concevoir dans quelle mesure l’utilisation, active ou passive, de ce nom de domaine pourrait être légitime et de bonne foi dès lors qu’une décision du Tribunal de Grande Instance de Paris a ordonné le 16 mars 2006 le transfert de ce nom de domaine au profit du Requérant, que le Défendeur n’a manifestement pas entendu contester cette décision, n’ayant pas interjeté appel, que cette décision a donc désormais l’autorité de la chose jugée, et que pour autant, le Défendeur n’a toujours pas obtempéré à l’injonction de transfert qui lui ainsi été faite.

Par conséquent, au vu des éléments développés ci-dessus, l’Expert considère que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine <reunisante.com> de mauvaise foi.

 

7. Décision

Conformément aux paragraphes 4.i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, l’Expert ordonne le transfert du nom de domaine <reunisante.com> au Requérant.


Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique

Le 25 avril 2007