WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

La Poste contre Anges Masta

Litige n° D2007-0235

 

1. Les parties

La Requérante est La Poste, Paris, France, représentée par le Cabinet Regimbeau, Paris, France.

Le Défendeur est Monsieur Anges Masta, Cotonou, Bénin.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <colis-post.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est eNom, Inc.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par La Poste auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 16 février 2007.

En date du 20 février 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, eNom, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 20 février 2007.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 26 février 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 18 mars 2007. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 20 mars 2007, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

Le 26 février 2007, le Centre a notifié aux parties que la langue de la procédure sera le français, étant précisé que la Commission administrative pouvait statuer différemment en tenant compte des circonstances du dossier (voir ci-dessous, 6.).

En date du 29 mars 2007, le Centre nommait dans le présent litige comme Expert unique M. Thomas Legler. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

La Poste est titulaire des marques françaises suivantes :

- COLIPOST n° 05 3 374 436 déposée le 5 août 2005 et dûment enregistrée;

- COLIPOSTE n° 05 3 370 659 déposée le 18 juillet 2005 et dûment enregistrée;

- COLIPOSTE n° 98 767 036 déposée le 30 décembre 1998 et renouvelée par anticipation le 18 juillet 2005;

- COLIPOST + logo en couleurs n° 07 3 478 613 déposée le 1er février 2007 et en cours d’enregistrement.

La Requérante a soumis à cet effet les copies des certificats d’enregistrement des marques françaises précitées.

Toutes ces marques sont utilisées par la Requérante pour désigner des services de livraison de colis.

La Requérante a enregistré, afin de présenter ses services à un public large, les noms de domaine suivants auprès de l’unité d’enregistrement :

- <colipost.com>, enregistré le 21 juillet 2005 auprès de NAMESHIELD

- <coliposte.com>, enregistré le 15 juillet 2003 auprès de NAMESHIELD

- <coliposte.net>, enregistré le 6 juin 2001 auprès de NAMEBAY

- <colipost.fr>, enregistré le 7 mai 2004, auprès de NAMESHIELD

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux <colis-post.com> auprès de l’unité d’enregistrement eNom, Inc, le 10 novembre 2006.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

La Requérante demande à la Commission administrative de rendre une décision ordonnant que le nom de domaine <colis-post.com> lui soit transféré (paragraphe 3(b)(x) des Règles).

Au soutien de sa plainte sur le fondement du paragraphe 4(a)(b)(c) des Principes directeurs et du paragraphe 3 des Règles, elle avance les arguments suivants :

- Le nom de domaine <colis-post.com> présente avec les marques de la Requérante des similitudes susceptibles de générer un risque de confusion dans l’esprit du public. La Requérante demande que ne soit pas pris en compte l’extension “.com”, dans la mesure où elle ne constitue pas un élément distinctif et protégeable.

- COLIS-POST présente des similitudes visuelles et phonétiques avec COLIPOST et COLIPOSTE. La seule différence réside dans une légère altération orthographique (adjonction du “s” à colis).

- Le site du Défendeur propose des services de transport express de marchandises et de colis, c’est-à-dire des services identiques ou à tout le moins similaires à ceux protégés par les marques de la Requérante.

- Les services offerts sont proposés entre autre en Europe et donc en France.

- La Requérante indique que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine; la seule motivation de sa réservation étant d’entretenir dans l’esprit du public une confusion entre ses services et ceux de la Requérante.

- Le Défendeur est sans aucun doute de mauvaise fois, dans la mesure où il a réservé et utilisé le nom de domaine de la Requérante et qu’il a induit volontairement le public en erreur sur l’origine des services fournis. En effet le Défendeur indique sous le nom du domaine litigieux qu’il est une “filiale de La Poste” et le réaffirme dans ses “conditions générales” ou il insère pour le surplus le logo du Défendeur (annexes 21 et 22). Or ces affirmations sont totalement fausses : le Défendeur ou son éventuelle société ne sont en aucun cas des filiales ou des partenaires de la Requérante.

- Le Défendeur, en sus, utilise ce nom de domaine pour sciemment attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur son site Web en créant une probabilité de confusion avec la Requérante en ce qui concerne la provenance des services proposés.

B. Défendeur

Le Défendeur a fait défaut dans la procédure et n’a par conséquent pas pris position sur les arguments de la Requérante.

 

6. Langue de la procédure

Selon le paragraphe 11(a) des Règles d’application, la langue de la procédure est, sauf convention contraire entre les parties, la langue du contrat d’enregistrement. En l’espèce, le 20 février 2007, l’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine a été enregistré a informé le Centre que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais.

La Requérante a toutefois déposé sa plainte en français. En outre, elle a requis dans sa plainte que le français soit la langue de la procédure, pour les raisons suivantes :

- le Défendeur s’est adressé pour la réservation du nom de domaine litigieux à un prestataire Internet français (annexe 3);

- ce prestataire Internet est localisé en France et passe ses contrats en français (annexes 4 et 5);

- le Défendeur est localisé au Bénin, pays africain dont le français est la langue officielle (annexes 6, 7 et 8);

- le site Internet accessible sous le nom de domaine litigieux est intégralement rédigé en français.

Le Défendeur, qui n’est pas apparu dans la procédure, ne s’est pas prononcé sur la question de la langue de la procédure.

Au vu des circonstances de l’espèce, l’Expert retient que la procédure peut se dérouler en français, langue dans laquelle tous les actes de la Requérante et notifications du Centre ont été effectués. L’Expert considère que le domicile du Défendeur dans un pays dont le français est une langue officielle, ainsi que le fait que le site Internet auquel le nom de domaine renvoie a été rédigé en français, sont des éléments qui permettent de retenir, en l’absence de contestation du Défendeur, que la procédure peut être conduite en français (cf. SIC contre Pierre Guynot, Litige OMPI n° D2006-0944).

 

7. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant de prouver cumulativement que :

1. son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; et

2. le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

3. le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise fois.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Requérante dispose depuis 1998 de la marque verbale française COLIPOSTE. Elle a procédé en 2005 à d’autres dépôts en France pour les dénominations COLIPOSTE et COLIPOST. Le 1er février 2007, elle a également déposé sa marque COLIPOST sous forme de logo (en cours d’enregistrement).

Les marques précitées ont toutes été déposées en classe 39.

Au vu de ce qui précède, l’Expert conclut que le nom de domaine <colis-post.com> est similaire aux différentes marques de la Requérante, étant précisé que l’adjonction du “s” à colis et du trait d’union entre colis et post, est négligeable dans la comparaison visuelle des deux signes distinctifs. Par ailleurs, la phonétique entre les deux signes est exactement pareille.

Par conséquent, l’Expert retient que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion avec une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits, conformément au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou légitimes intérêts

La Requérante affirme que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine, ni d’intérêt légitime s’y rapportant. Le Défendeur, qui a fait défaut, ne s’est pas prononcé.

Selon le paragraphe 4(c) des Principes directeurs, un défendeur peut prouver ses droits sur un nom de domaine et les intérêts légitimes qui s’y attachent en démontrant l’une des circonstances exposées ci-après :

“(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, vous [défendeur] avez utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

(ii) vous [défendeur] (individu, entreprise ou autre organisation) êtes connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) vous [défendeur] faites un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.”

Dans le cas d’espèce, le Défendeur n’a pas pris position dans le cadre de la procédure et n’a par conséquent pas fourni d’indications selon lesquelles il disposerait de droits ou d’intérêts légitimes s’y rapportant.

Il n’existe par ailleurs aucune indication au dossier indiquant que le Défendeur aurait des droits l’autorisant à utiliser le nom de domaine. En particulier, le nom de domaine ne correspond pas à son nom (ou, le cas échéant, à sa raison individuelle) et il n’a pas été établi que le Défendeur était titulaire d’une marque correspondant au nom de domaine.

Comme la Requérante l’a exposé, le Défendeur n’a pas été autorisé par la Requérante à faire usage d’une de ses marques. Il ne résulte par ailleurs pas du dossier que le Défendeur aurait été connu sous le nom de domaine.

Enfin, l’usage que le Défendeur a fait du nom de domaine ne peut être qualifié d’une offre de bonne foi de produits et services, ou comme un usage non commercial légitime ou un usage loyal. En effet, en reprenant dans le nom de domaine les termes “colis-post” et en utilisant sur son site les combinaisons “colipost” et “coliposte” (versions identiques aux marques déposées par la Requérante) et, pour le surplus, en reproduisant un hexagone, symbole de la France, une carte de la France et les couleurs bleu et jaune de la Poste française ainsi que son logo tout en se qualifiant de “filiale de La Poste”, le Défendeur ne fait aucune offre de bonne foi. Cela dit, la question de savoir si des services sont effectivement offerts par le Défendeur ou s’il s’agit d’un site fictif peut rester ouverte. La Requérante n’a d’ailleurs pas offert de preuves à cet égard.

En tout état de cause, il ressort du site Web du Défendeur, que celui-ci ne pouvait pas ignorer la place de la Requérante dans le domaine des services de colis. En se positionnant lui même comme service “annexe” de la Requérante, dans le même secteur d’activité, tout en utilisant les marques et les références de la Requérante, qui sont bien antérieures à l’enregistrement du nom de domaine du Défendeur, ce dernier ne peut prétendre faire une offre de bonne foi.

Par conséquent, l’Expert retient que le Défendeur n’a pas de droits sur le nom de domaine, ni d’intérêts légitimes s’y rapportant, conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Les faits énoncés ci-dessus, à la Section B., et les documents communiqués par la Requérante à l’appui de sa plainte démontrent que le Défendeur, en utilisant le nom de domaine litigieux, a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les consommateurs de l’Internet sur un site Web lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque de la Requérante en ce qui concerne l’affiliation et l’approbation de son site Web en rapport avec les services et produits qui y sont proposés (paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs).

En outre, le Défendeur enfreint également le paragraphe 4(b)(iii) des Principes directeurs (enregistrement du nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent).

Par ailleurs, le Défendeur, dans l’hypothèse où il s’agirait d’un site fictif, n’échappe pas au reproche d’avoir enregistré et utilisé le nom de domaine de mauvaise foi. En effet, un tel usage fictif ne doit pas permettre de lever le grief de mauvaise foi. Pour le surplus, l’usage des marques de la Requérante sur le site du Défendeur démontre qu’il connaissait les marques de la Requérante lorsqu’il a enregistré le nom de domaine.

 

8. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, l’Expert estime que les divers éléments prévus au paragraphe 4(a), (i), (ii) et (iii), des Principes directeurs sont cumulativement réunis.

En conséquence, conformément au paragraphe 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles, l’Expert ordonne que le nom de domaine <colis-post.com> soit transféré à la Requérante.


Thomas Legler
Expert Unique

Le 12 avril 2007