WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Confédération nationale du Crédit Mutuel contre Matt Whittle

Litige n° DFR 2006-0017

 

1. Les parties

Le Requérant est la Confédération nationale du Crédit Mutuel, Paris, France, représenté par MEYER & Partenaires, France.

Le Défendeur est Matt Whittle, Lyon, France.

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne les noms de domaine <creditmutue.fr> et <creditmutul.fr>.

Le prestataire Internet est la société EURO DNS SA.

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 21 décembre 2006, par courrier électronique et le 27 décembre 2006, par courrier postal.

Le 22 décembre 2006, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 27 décembre 2006, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 15 janvier 2007. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a adressé le 5 février 2007 aux parties une notification de défaut du Défendeur.

Le 14 février 2007, le Centre nommait Christophe Caron comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

4. Les faits

Le Requérant est la Confédération nationale du Crédit Mutuel qui, en tant que deuxième banque de détail française, comprend le réseau du Crédit Mutuel, ainsi que l’ensemble de ses filiales, dont le Crédit Industriel et Commercial (CIC).

Le requérant justifie de nombreuses marques déposées antérieurement aux noms de domaine litigieux et notamment :

- Marque semi-figurative “crédit mutuel” : enregistrement français n° 1 475 940 du 8 juillet 1988 pour des services des classes 35 et 36. Cette marque a été renouvelée le 15 mai 1998.

- Marque semi-figurative “crédit mutuel” : enregistrement français n° 1 6464 012 du 20 mai 1990 pour des produits et services des classes 16, 35, 36, 38, et 41. Cette marque a été renouvelée le 20 novembre 2000.

- Marque semi-figurative “Crédit mutuel la banque à qui parler” : enregistrement français n° 1 738 973 du 5 décembre 1991 pour des produits et services des classes 16, 35, 36, 38 et 41. Cette marque a été renouvelée le 16 août 2001.

- Marque semi-figurative “Crédit mutuel la banque à qui parler” : enregistrement français n° 06 3 406 004 du 26 janvier 2006 pour des produits et services des classes 9, 16, 35, 36, 37, 38, 39, 41, 43, 44 et 45.

- Marque communautaire “Crédit mutuel la banque à qui parler” : enregistrement communautaire n° 005146162 du 19 juin 2006 pour des produits et services des classes 9, 16, 35, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 43, 44 et 45.

Le Requérant et ses filiales justifient également des noms de domaines suivants, dont la plupart ont été enregistrés avant la création des noms de domaine litigieux :

- <creditmutuel.fr> (enregistré le 10 août 1995)

- <creditmutuel.com> (enregistré le 28 octobre 1995)

- <creditmutuel.net> (enregistré le 3 octobre 1996)

- <creditmutuel.info> (enregistré le 13 septembre 2001)

- <creditmutuel.mobi> (enregistré le 26 septembre 2006)

- <creditmutuel.eu> (enregistré le 13 mars 2006)

Le Défendeur, qui est une personne physique du nom de Matt Whittle, a enregistré, sous couvert d’anonymat, les noms de domaine <creditmutul.fr> et <creditmutue.fr> en date du 8 août 2006. L’anonymat a été levé par l’AFNIC le 4 janvier 2007.

Les deux sites internet “www.credimutuel.fr” et “www.creditmutue.fr” apparaissent comme des sites dits “parking” qui proposent aux internautes des liens hypertextes susceptibles de les orienter vers d’autres sites d’établissements bancaires.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant, la Confédération nationale du Crédit Mutuel, expose d’abord qu’il est la deuxième banque de détail en France. La Confédération nationale du Crédit mutuel comprend le réseau du Crédit Mutuel, ainsi que l’ensemble de ses filiales, et notamment le Crédit Industriel et Commercial (CIC).

Le Requérant fait également valoir qu’il a, depuis le milieu des années 90, développé de nombreuses solutions bancaires et financières pour des services en ligne (et notamment des services de banque à distance qui permettent la consultation des comptes et la gestion des opérations bancaires). Le Requérant exploite également un portail internet qui présente ses services à l’adresse “www.creditmutuel.fr”.

Le Requérant prouve qu’il est propriétaire de plusieurs marques françaises et communautaires qui reproduisent la dénomination “Crédit Mutuel” et qu’il a également enregistré plusieurs noms de domaine comprenant la même expression.

Par ailleurs, le Requérant souligne sa notoriété dans le secteur bancaire et son exploitation continue de ses signes distinctifs dans ce domaine, notamment sur le réseau internet étant donné ses activités de banque en ligne.

Ensuite, le Requérant considère que les noms de domaine litigieux sont l’imitation de ses signes distinctifs et que les différences, insignifiantes, ne sauraient écarter l’existence d’un risque de confusion. Il estime que Monsieur Matt Whittle a effectué l’enregistrement des noms de domaine litigieux de façon frauduleuse car il ne pouvait pas ignorer la notoriété de l’expression “Crédit Mutuel”.

Enfin, le Requérant constate que les noms de domaine litigieux renvoient les internautes vers des sites dits de “parking” qui ne contiennent que des liens hypertextes publicitaires dans le domaine bancaire. Certains de ces liens ciblent des sites appartenant à des entreprises directement concurrentes.

Le Requérant réclame à titre de mesure de réparation que les noms de domaine <creditmutul.fr< et <creditmutue.fr> soient transférés à son profit.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.

6. Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation des noms de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission des noms de domaine à son profit.

L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement : “Il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tels que définis à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément, objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte.”

L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom et au pseudonyme d’une personne”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et l’utilisation des noms de domaine litigieux portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission des noms de domaine à son profit, s’il justifiait de droits sur ce nom de domaine.

A. Enregistrement du nom de domaine litigieux

L’Expert constate que le Requérant prouve être propriétaire de marques et avoir enregistré des noms de domaine comportant l’expression “Crédit Mutuel”. L’Expert constate également que le signe “Crédit Mutuel” jouit d’une notoriété certaine en France.

Ces signes antérieurs (marques et nom de domaines) revendiquent les mots “Crédit Mutuel” en tant qu’éléments distinctifs. Il en résulte qu’il est incontestable que le retrait de la voyelle “e” et de la consonne “l” dans les noms de domaine litigieux <creditmutul.fr> et <creditmutue.fr> ne permet pas d’échapper à une contrefaçon car le risque de confusion avec le signe “Crédit Mutuel” est évident.

En outre, les noms de domaine <creditmutul.fr> et <creditmutue.fr> n’ont aucune signification dans la langue française. Il est donc certain qu’ils ont été enregistrés dans le but illicite de détourner vers des sites dits “parking” des internautes qui ont effectué une faute de frappe sur leur ordinateur lorsqu’ils souhaitaient se connecter aux sites du “Crédit Mutuel”.

S’il est exact que l’article 19(1) de la Charte de Nommage de l’AFNIC demande au déposant d’un nom de domaine de s’assurer avant l’enregistrement que ce dernier ne porte pas atteinte aux droits des tiers, il apparaît évident à l’Expert que le Défendeur, lorsqu’il a enregistré les noms de domaine <creditmutuel.fr> et <creditmutue.fr>, ne pouvait ignorer la renommée et les droits antérieurs attachés au nom “Credit Mutuel”. Il a donc agi en fraude des droits de propriété intellectuelle du Requérant avec la volonté de détourner indûment à son profit une partie de la clientèle du “Crédit Mutuel”.

L’enregistrement des noms de domaine litigieux porte donc atteinte aux droits des tiers et viole les règles élémentaires qui exigent d’adopter un comportement loyal dans la vie des affaires.

B. Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers

L’Expert considère que l’utilisation des noms de domaine litigieux porte atteinte aux droits des tiers sur le signe “Crédit Mutuel” qui est volontairement imité de façon quasi-servile afin d’encourager un risque de confusion dans l’esprit des internautes désirant se connecter aux sites du “Crédit Mutuel”.

L’Expert note également que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime à choisir les noms de domaine <creditmutul.fr> et <creditmutue.fr>. Au contraire, l’intention du Défendeur n’a jamais été d’enregistrer ces noms de domaine pour exploiter licitement un site internet. Il résulte, en effet, des faits de l’espèce que le Défendeur a souhaité tirer profit indûment de la notoriété du signe “Credit Mutuel” en tentant, tel un parasite, de capter à son profit les internautes qui ont fait une erreur de frappe et de saisie en tapant l’expression “Crédit Mutuel”. Il s’agit, pour le Défendeur, d’espérer obtenir une éventuelle rémunération, fondée sur le chiffre d’affaires réalisé par des annonceurs publicitaires, à partir des liens hypertextes placés sur ces pages de parking. Il existe donc une volonté purement mercantile de détourner une partie de la clientèle du “Crédit Mutuel” en utilisant des pratiques contraires à la loyauté commerciale la plus élémentaire.

L’utilisation des noms de domaine litigieux porte donc incontestablement atteinte aux droits de la Confédération nationale du Crédit Mutuel, tout en constituant une violation des bonnes pratiques commerciales.

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’expert ordonne la transmission au profit du Requérant des noms de domaine <creditmutul.fr> et <creditmutue.fr>.


Christophe Caron
Expert

Le 22 février 2007