WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Société d’information et de créations SIC contre Pierre Guynot

Litige n° D2006-0944

 

1. Les parties

La requérante est Société d’information et de créations SIC, Issy les Moulineaux, France, représentée en interne.

Le défendeur est Pierre Guynot, Port au Prince, Haïti.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <editionmarieclaire.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est eNom.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Société d’information et de créations SIC auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 25 juillet 2006.

En date du 26 juillet 2006, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, eNom, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la requérante. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 26 juillet 2006.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Le 7 août 2006, le Centre a adressé à la requérante une notification d’irrégularité de la plainte, qui mettait en évidence que celle-ci n’avait pas été présentée sous forme électronique et n’exposait pas les motifs sur lesquels elle est fondée. Le même jour, le Centre adressait également à la requérante une notification relative à la langue de la procédure, dans laquelle il relevait que la plainte avait été déposée en français, alors que la langue du contrat d’enregistrement est l’anglais. Le Centre demandait par conséquent à la requérante de lui fournir la preuve d’un accord entre les parties sur cette question ou, à défaut, de requérir que le français soit la langue de la procédure.

Le 8 août 2006, la requérante a adressé un courrier au Centre, dans lequel, d’une part, elle exposait les raisons pour lesquelles elle considérait que le français devait être la langue de la procédure et, d’autre part, elle apportait des modifications à sa plainte. La question de la langue de la procédure sera examinée ci-dessous (section 6).

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 9 août 2006, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 29 août 2006. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 30 août 2006, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 14 septembre 2006, le Centre nommait Fabrizio La Spada comme expert unique dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. L’expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

La requérante est une société à responsabilité limitée, dont le siège est à Issy-les-Moulineaux, France, et qui est immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Nanterre. La requérante est titulaire de la marque verbale française “Editions Marie Claire”, déposée le 9 avril 2004 pour des produits et services des classes 16, 35, 38 et 41.

La requérante est également titulaire des noms de domaine <editionsmarieclaire.com> et <editions-marie-claire.com>, enregistrés tous deux le 26 mars 2004. Ces deux noms de domaine renvoient vers le site internet du groupe de presse “Marie Claire”, qui publie notamment le magazine international éponyme.

Le défendeur a enregistré le nom de domaine <editionmarieclaire.com> le 8 décembre 2005. Au moment du dépôt de la plainte, ce nom de domaine renvoyait vers un site internet proposant une liste de liens sous l’intitulé général “campagne publicitaire pour le thème marie claire”. Ces liens renvoyaient vers des adresses internet sans rapport apparent avec les parties. Les liens concernaient pour l’essentiel des sites relatifs à des produits de beauté et des services esthétiques.

Les 4 et 27 janvier 2006, la requérante a écrit au défendeur pour lui demander notamment de cesser l’usage du site internet sous le nom “Edition Marie Claire”. Selon les éléments figurant au dossier, le défendeur n’a pas répondu à ces courriers.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

En ce qui concerne la première condition selon les Principes directeurs, la requérante indique que le nom de domaine est identique visuellement et phonétiquement à la marque de la requérante, utilisée depuis 2004 en France et à l’étranger pour des livres édités par celle-ci. Elle considère par conséquent ce nom de domaine est susceptible de confondre le public sur son propriétaire.

Par ailleurs, la requérante allègue qu’elle fait partie du groupe de presse Marie Claire, lequel est titulaire de très nombreuses marques “Marie Claire” à travers le monde, qui sont utilisées en France depuis 1937 pour désigner des magazines féminins. Ainsi, selon la requérante, la désignation “Marie Claire” était notoirement connue en France et à l’étranger lorsque le défendeur a enregistré le nom de domaine en 2005. La requérante cite également plusieurs décisions rendues en matière de noms de domaine, dans lesquelles le groupe de presse Marie Claire a obtenu le transfert de noms de domaine contenant la désignation “Marie Claire” (il s’agit notamment des noms de domaines <marieclaire.net>, <marieclairemagazine.com>, <marieclaireonline.com>).

La requérante précise enfin que la seule soustraction d’une lettre, à savoir “s”, n’est pas suffisante pour éviter la confusion.

En ce qui concerne la deuxième condition selon les Principes directeurs, la requérante indique que le défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes en relation avec le nom de domaine. Selon la requérante, le défendeur n’est ni titulaire de droits sur la dénomination sociale “editionmarieclaire”, ni titulaire d’un enregistrement de marque “Editions Marie Claire”. La requérante relève que la marque notoire “Marie Claire” ne peut pas être reproduite comme telle sans l’accord de son titulaire et encore moins faire l’objet d’un enregistrement de nom de domaine. La requérante mentionne également que le défendeur n’a pas répondu aux courriers de mise en demeure que la requérante lui a adressés les 4 et 27 janvier 2006.

Enfin, en ce qui concerne la troisième condition selon les Principes directeurs, la requérante indique que le défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Selon la requérante, compte tenu de la notoriété de la marque “Marie Claire” et de l’existence du nom de domaine <editionsmarieclaire.com>, enregistré par la requérante, le défendeur n’a pu qu’enregistrer son nom de domaine de mauvaise foi, en pleine connaissance des droits de la requérante. La requérante mentionne également le fait que le défendeur n’a pas répondu aux différentes demandes et mises en demeure qui lui ont été adressées par la requérante au mois de janvier 2006. Enfin, selon la requérante, l’enregistrement d’un nom de domaine <editionmarieclaire.com>, quasiment identique au nom de domaine préalablement enregistré par la requérante <editionsmarieclaire.com>, est signe de mauvaise foi.

Pour l’ensemble de ces raisons, la requérante sollicite le transfert du nom de domaine.

B. Défendeur

Le défendeur a fait défaut dans la procédure et n’a par conséquent pas pris position sur les arguments de la requérante.

 

6. Langue de la procédure

Selon le paragraphe 11(a) des Règles d’application, la langue de la procédure est, sauf convention contraire entre les parties, la langue du contrat d’enregistrement. En l’espèce, le 26 juillet 2006, l’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine a été enregistré a informé le Centre que la langue du contrat d’enregistrement est l’anglais.

La requérante a toutefois déposé sa plainte en français et, dans son courrier du 8 août, a requis que le français soit la langue de la procédure, pour les raisons suivantes :

“- le prénom et le nom du défendeur (Pierre Guynot) sont français,

- le lieu de résidence du défendeur est Haïti et le français y est reconnu langue officielle,

- le nom, lieu de résidence, nationalité du requérant sont français,

- le nom du site, objet du litige “editionmarieclaire.com” est français,

- la présentation du site “editionmarieclaire.com” est en français”

Le défendeur, qui n’est pas apparu dans la procédure, ne s’est pas prononcé sur la question de la langue de la procédure.

Au vu des circonstances de l’espèce, l’expert retient que la procédure peut se dérouler en français, langue dans laquelle tous les actes de la requérante et notifications du Centre ont été effectués. L’expert considère que la consonance francophone du nom du défendeur, ainsi que le nom et le siège de la requérante, sont sans pertinence à cet égard. En revanche, le domicile du défendeur dans un pays dont le français est, avec le créole, une langue officielle, ainsi que le fait que le site Internet auquel le nom de domaine renvoyait ait été rédigé en français, sont des éléments qui permettent de retenir, en l’absence de contestation du défendeur, que la procédure peut être conduite en français.

 

7. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, afin d’obtenir gain de cause dans cette procédure et obtenir le transfert du nom de domaine, le requérant doit prouver que chacun des trois éléments suivants est satisfait :

1. Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits (voir ci-dessous, section A); et

2. Le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache (voir ci-dessous, section B); et

3. Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi (voir ci-dessous, section C).

Le paragraphe 4(a) in fine des Principes directeurs indique qu’il appartient au requérant d’apporter la preuve que ces trois éléments sont réunis.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Cette condition soulève deux questions : (1) le requérant a-t-il des droits sur une marque de produits ou de services et (2) le nom de domaine est-il identique ou semblable à cette marque au point de prêter à confusion?

Concernant la première question, la requérante a démontré qu’elle est titulaire de la marque verbale EDITIONS MARIE CLAIRE, déposée en France le 9 avril 2004 en classes 16, 35, 38 et 41.

Concernant la seconde question, l’expert considère que le nom de domaine est, sinon identique, à tout le moins extrêmement similaire à la marque de la requérante. En effet, la seule omission de la lettre “s” à la fin du mot “editions”, qui ne modifie d’ailleurs pas l’identité phonétique des deux désignations, n’est pas de nature à distinguer celles-ci et éviter un risque de confusion.

Par conséquent, l’expert retient que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits, conformément au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

La requérante affirme que le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine, ni d’intérêt légitime s’y rapportant. Le défendeur, qui a fait défaut, ne s’est pas prononcé.

Selon le paragraphe 4(c) des Principes directeurs, un défendeur peut prouver ses droits sur un nom de domaine et les intérêts légitimes qui s’y attachent en démontrant l’une des circonstances ci-après :

“i) avant d’avoir eu connaissance du litige, vous [défendeur] avez utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

ii) vous [défendeur] (individu, entreprise ou autre organisation) êtes connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

iii) vous [défendeur] faites un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.”

Dans le cas d’espèce, le défendeur n’a pas pris position dans le cadre de la procédure et n’a par conséquent pas fourni d’indications selon lesquelles il disposerait de droits ou d’intérêts légitimes s’y rapportant.

Il n’existe par ailleurs aucune indication au dossier indiquant que le défendeur aurait des droits l’autorisant à utiliser le nom de domaine. En particulier, le nom de domaine ne correspond pas à son nom et il n’est pas titulaire d’une marque correspondant au nom de domaine. Il n’a pas non plus été autorisé par le requérant à faire usage de la marque “Editions Marie Claire”. Il ne résulte pas non plus du dossier que le défendeur aurait été connu sous le nom de domaine. Enfin, l’usage que le défendeur a fait du nom de domaine, au moyen duquel il renvoyait sur une page internet contenant des liens commerciaux sans rapport apparent avec lui-même ou avec la requérante, ne peut pas être considéré comme une offre de bonne foi de produits et services, ou comme un usage non commercial légitime ou un usage loyal.

Par conséquent, l’expert retient que le défendeur n’a pas de droits sur le nom de domaine, ni d’intérêts légitimes s’y rapportant, conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La requérante soutient que le défendeur a enregistré le nom de domaine de mauvaise foi.

Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs liste quatre conditions qui peuvent être constitutives de l’enregistrement et usage d’un nom de domaine de mauvaise foi. Ces circonstances ne sont pas exhaustives. En particulier, le paragraphe 4(b)(iv) mentionne la circonstance suivante :

“(iv) en utilisant ce nom de domaine, vous [défendeur] avez sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne vous appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de votre site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.”

Il ressort clairement du dossier que le défendeur n’a pas utilisé le nom de domaine pour offrir lui-même des produits ou services. En revanche, il a utilisé ce nom pour renvoyer, par l’intermédiaire de liens, les utilisateurs d’Internet sur plusieurs sites web qui exercent une activité commerciale mais sont sans rapport avec la requérante. Les sites auxquels il est ainsi renvoyé sont des entreprises qui offrent des produits et services à des fins lucratives. Ce faisant, le défendeur a manifestement tenté d’attirer le public vers des entreprises sans rapport avec la requérante, en créant une confusion initiale entre la marque de celle-ci et le nom de domaine.

L’expert considère en outre que la combinaison, dans le nom de domaine, du nom “Marie Claire” avec la désignation générique “Edition”, et ce alors que la requérante est précisément active dans le domaine de l’édition de magazines féminins sous le titre “Marie Claire”, est l’indication que le défendeur connaissait selon toute vraisemblance la marque de la requérante au moment de l’enregistrement de son nom de domaine.

Pour ces raisons, l’expert considère que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi, conformément au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

 

8. Décision

Conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, l’expert ordonne que le nom de domaine <editionmarieclaire.com> soit transféré au requérant.


Fabrizio La Spada
Expert Unique

Le 5 octobre 2006