WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

BANQUE ACCORD contre Jean Aime

Litige n° D2005-1239

 

1. Les parties

Le requérant est BANQUE ACCORD, Croix, France, représenté par Cabinet Dreyfus & Associés, France.

Le défendeur est Jean Aime, Londres, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d´Irlande du Nord.

 

2. Noms de domaine et unités d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <oneybanque.com> et <oney-carte-de-credit.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est sont InnerWise, Inc., connu sous le nom ItsYourDomain.com, et Key-Systems GmbH, connu sous le nom domaindiscount24.com.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par BANQUE ACCORD auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 1 décembre 2005.

En date du 1 décembre 2005, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, InnerWise, Inc. d/b/a ItsYourDomain.com.

Key-Systems GmbH dba domaindiscount24.com, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 14 décembre 2005.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 15 décembre 2005, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 4 janvier 2006. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 9 janvier 2006, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 23 janvier 2006, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Daniel J. Gervais. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

La commission administrative constate également que la langue du contrat d’enregistrement d’un des noms de domaine est le français (même si le registraire est situé en Allemagne, le contact avec le Défendeur s’est opéré par l’entremise d’un revendeur français) alors que la langue du contrat concernant le second nom de domaine est l’anglais. Les Règles d’application prévoient que la langue des procédures (Règle 11) et celle des communications aux parties (Règle 2d) est celle du contrat. La commission peut cependant “décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative.” Or, il serait inopportun de forcer le requérant à déposer deux plaintes pratiquement identiques dans deux langues différentes. Normalement, la procédure devrait donc se dérouler en anglais ou en français.

L’emploi par le défendeur du français pour enregistrer l’un des contrats d’enregistrement, le fait que les deux noms de domaine se composent de termes en langue française (“banque” et “carte de crédit”), le fait que le site apparemment opéré par ou avec le consentement du défendeur étaient en langue française et l’existence (selon la preuve déposée par le Requérant) de communications entre l’unité d’enregistrement et le réservataire en français et le fait que le Défendeur ait répondu à la transmission de la plainte (voir sous 5B ci-dessous) permettent de conclure que celui-ci comprend le français. En vertu de la discrétion qui lui est conférée par la Règle 11 et en l’absence d’opposition du défendeur, la commission accepte de considérer ensemble les questions relatives aux deux noms de domaine susdits dans le cadre de cette procédure.

 

4. Les faits

Le Requérant, une filiale du Groupe Auchan, est spécialisée dans la distribution de produits et services financiers (crédit, épargne, assurance, cartes de paiement internationales et privatives), la monétique et la gestion de la relation clients à distance et sur les points de vente de ses enseignes partenaires. Elle déclare avoir plus de 3,8 millions de clients en Europe dont plus de 2,2 millions en France. Le 1er décembre 2004, le Requérant a racheté la banque en ligne Egg devenue par la suite Oney, connue pour ses activités cartes et crédit, et qui constitue en outre une entité complémentaire aux activités développées par le Requérant. Les produits ONEY sont donc gérés par lui.

Le Requérant détient et exploite le nom de domaine oney.fr en relation avec la marque ONEY. Le Requérant détient de nombreux enregistrements de la marque ONEY en France et ailleurs dans le monde en relation avec des services financiers (notamment ceux compris dans les classes 9, 35, 36, 38 et 39). Ces enregistrements ont été effectués avant l’enregistrement des noms de domaine.

Les noms de domaine en litige renvoient vers des services offerts par le Requérant ainsi que ceux des concurrents directs.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

A l’appui de sa plainte, le Requérant soutient que les noms de domaine sont identiques voire similaires au point de créer un risque de confusion car ils reproduisent entièrement la marque ONEY pour laquelle le Requérant dispose d’un nombre significatif de droits de marques. En outre, les termes “banque” et “carte de crédit” sont purement descriptifs et n’ont aucune influence significative sur l’impression produite par les noms de domaine en cause.

Le Défendeur n’est en aucune manière affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser et à enregistrer sa marque ou à procéder à l’enregistrement de noms de domaine incluant la marque en question. Il n’est ni licencié, ni tiers autorisé à utiliser la marque, y compris à titre de nom de domaine. En outre, le Défendeur n’a aucun droit antérieur, ni intérêt légitime sur ce nom de domaine. Le Défendeur n’a jamais utilisé le terme ONEY d’aucune manière que ce soit avant ou après l’enregistrement du nom de domaine litigieux, exception faite du nom de domaine <oneybanque.fr> qui fait également l’objet d’une procédure PARL devant le Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’OMPI. Le Défendeur n’est pas connu sous le nom de ONEY. De plus, ONEY n’est pas le nom de famille du Défendeur. Enfin, ce nom reproduit une marque incontestablement notoire, notamment en Angleterre, pays de résidence du Défendeur, car elle résulte du rachat des activités de la société EGG France. Le Défendeur ne pouvait dés lors pas prétendre qu’il ne connaissait pas la marque ONEY du fait de sa notoriété.

Il apparaît clairement que le Défendeur connaissait ou aurait dû connaître le Requérant ainsi que la marque ONEY au jour de la réservation des noms de domaine. Il est difficile de soutenir que le Défendeur n’était pas au courant de l’existence du Requérant au jour de la réservation dudit nom du fait de la combinaison des termes “oney”, “banque” et “carte de crédit” indiquant expressément la volonté du Défendeur de profiter de la notoriété de la marque. Par ailleurs, le nom de domaine <oneybanque.com> pointe vers une page inactive, ce qui ne peut être considéré comme une présence de bonne foi sur internet. Quant au nom de domaine <oney-carte-de-credit.com>, il a été sciemment enregistré par le Défendeur dans le but de tirer profit de ses activités dans la mesure où le nom est également utilisé pour promouvoir, via un système de liens sponsorisés, des marques et des sociétés directement concurrents du Requérant. Ainsi, le Défendeur a procédé à l’enregistrement des noms de domaine en cause en sachant parfaitement qu’il portait atteinte aux droits de marque du Requérant. En enregistrant des noms de domaine reprenant à l’identique une marque notoire dont il ne pouvait ignorer l’existence, le Défendeur a créé un risque de confusion avec la marque du Requérant de manière à attirer les internautes afin d’obtenir une compensation financière. Ce type de manœuvre est une preuve évidente de la mauvaise foi du réservataire.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu sur le fond à la plainte du requérant et son défaut a été dûment constaté et notifié. Le Défendeur a toutefois indiqué dans une communication avec le Centre qu’il avait acheté le nom de domaine “in the open market” et qu’il était prêt à le vendre “pour un prix honnête.”

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles prévoit que “[l]a Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que:

(a) Son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits.

(b) Il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

(c) Son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

C’est au Requérant de faire la preuve des trois éléments énoncés ci-dessus (paragraphe 4 in fine). Toutefois, le paragraphe 14(b) précise que, en l’absence de circonstances exceptionnelles, si une partie ne se conforme pas aux dispositions ou conditions des présentes règles ou à une instruction de la commission, celle-ci peut en tirer les conclusions qu’elle juge appropriées.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Cette première partie de l’analyse se scinde en deux branches. En premier lieu, le Requérant a-t-il fait la preuve qu’il détient des droits dans une marque? En second lieu, les noms de domaine en litige sont-ils similaires au point de prêter à confusion avec une marque dont le Requérant est titulaire?

Dans le cas qui nous occupe, la réponse aux deux questions qui précèdent ne fait aucun doute. Le Requérant détient la marque ONEY et les noms de domaine en litige peuvent prêter à confusion avec cette marque car ils incorporent ladite marque et y ajoute un terme descriptif des services du Requérant.

La Commission conclut donc en faveur du Requérant sur ce premier élément.

B. Droits ou légitimes intérêts

Selon le paragraphe 4(c) des Principes directeurs, le Défendeur peut faire la preuve de son droit ou intérêt légitime ”en particulier, par l’une des circonstances ci-après:

(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, vous [le défendeur] avez utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

(ii) vous (individu, entreprise ou autre organisation) [le défendeur] êtes connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) vous [le défendeur] faites un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.”

Le requérant doit cependant déposer en preuve des éléments qui démontrent qu’à première vue (prima facie) le défendeur n’a ni droit, ni intérêt légitime. Une fois ces éléments déposés en preuve, il incombe au défendeur de prouver son droit ou intérêt.

Le Requérant a démontré que le Défendeur ne fait pas un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine, qu’il n’est pas connu sous ce nom. Dans un cas le nom de domaine n’est pas utilisé, dans l’autre, il est utilisé dans un but commercial illégitime. Compte tenu de la notoriété de la marque du Requérant, il est presque impossible de parler de préparatifs ou d’utilisation légitime et de bonne foi par le Défendeur qui, à tout événement, n’a pas déposé de preuves.

Le Requérant a donc gain de cause sur ce second point.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le paragraphe 4(b) des Principe directeurs énonce ce qui suit:

“… la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la commission administrative, par les circonstances ci-après:

(i) les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que le Défendeur peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine,  

(ii) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et le Défendeur est coutumier d’une telle pratique,  

(iii) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent ou  

(iv) en utilisant ce nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne appartenant au Défendeur, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.  

L’un des noms de domaine a clairement été utilisé aux fins d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne appartenant au Défendeur, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant. L’autre nom de domaine est demeuré inutilisé, ce qui peut, en particulier dans le cas de marques notoires, constitué un cas de mauvaise foi. Voir à ce sujet la décision très souvent citée dans l’affaire Telstra Corporation Limited contre Nuclear Marshmallows, OMPI Litige No. D2000-0003.

Il apparaît donc que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi, telle que ce concept est défini dans les Principes directeurs.

 

7. Décision

Pour les raisons ci-dessus, la Commission administrative décide que les noms de domaine enregistré par le Défendeur sont similaires au point de prêter à confusion en leur partie distinctive avec la marque ONEY dont le Requérant est titulaire; que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime à faire valoir sur lesdits noms de domaine; et que les circonstances permettent de conclure que les noms de domaine ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi par le Défendeur.

En conséquence, conformément au paragraphe 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles, la Commission requiert que l’enregistrement des noms de domaine <oneybanque.com> et <oney-carte-de-credit.com> soient transférés au Requérant.


Daniel J. Gervais
Expert Unique

Le 30 janvier 2006