WIPO

 

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

 

DECISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Société Dessange International Contre Paolo De Gaetano

Litige n° D2004-0720

 

1. Les parties

Le requérant est la société Dessange International, Paris, France, représentée par Pierre de Boisse (Novagraaf), Paris, France.

Le défendeur est Paolo De Gaetano, Cannes, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige porte sur le nom de domaine <jacquesdessange.org>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est BookMyName SAS, Paris, France.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Dessange International auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné “Centre”) en date du 8 septembre 2004 (accusé réception du même jour) par courrier électronique et reçue au Centre le 13 septembre 2004, sous format papier.

En date du 9 septembre 2004, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a répondu par courrier électronique du même jour.

Le Centre a vérifié si la plainte répondait bien aux principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “principes directeurs”), aux règles d’application des principes directeurs (ci-après dénommées les “règles”) et aux règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “règles supplémentaires”) pour l’application des principes directeurs précités.

Lors de ces vérifications, il s’est avéré que l’unité d’enregistrement n’était pas Proxad, comme indiqué dans la plainte initiale, mais BookMyName.

Le Centre a adressé au requérant le 16 septembre 2004, une notification d’irrégularité conformément au paragraphe 4.b) des règles.

Le 20 septembre 2004, le Requérant amendait sa plainte afin de répondre à la notification d’irrégularité avec copie au défendeur et aux centres d’enregistrement concernés. Cet amendement a été enregistré par le Centre le 22 septembre, 2004.

Le 24 septembre 2004 la notification de la plainte et l’ouverture d’une procédure administrative est notifiée aux parties avec copie à l’unité d’enregistrement.

Le 25 et le 29 septembre 2004, le défendeur a adressé par courrier électronique ses observations au Centre dans le délai prescrit. Accusé réception lui en a été donné le 20 octobre 2004, avec copie au Requérant.

En date du 22 octobre 2004, le Centre a notifié la nomination de l’expert ainsi que la communication du dossier à la Commission Administrative.

Toute la procédure est donc régulière, en application des principes directeurs, des règles d’application et des règles supplémentaires.

Enfin, en application du paragraphe 11(a) des règles d’application, constatant que l’enregistrement du nom de domaine litigieux auprès de l’unité d’enregistrement est en français, que les deux parties résident en France, et enfin que les documents soumis au Centre sont en français, la langue de procédure est le français.

 

4. Les faits

La requérante, Dessange International, bien connue pour ses salons de coiffure “Jacques Dessange” ainsi que pour ses produits de beauté est titulaire des marques suivantes :

- Marque française “Jacques Dessange” n° 99775735 déposée le 17 février 1999, dans les classes 3 et 42 ;

- Marque communautaire” Jacques Dessange” n° 1898667 déposée le 11 octobre 2000, dans la classe 38 (qui inclut notamment la diffusion d’informations par réseau Internet).

Il est observé de surcroît que Jacques Dessange est le nom patronymique du Président fondateur de la société Dessange International.

Le représentant du requérant, Pierre de Boisse (Novagraaf), a écrit le 17 mai 2004, pour demander au défendeur de rétrocéder le nom de domaine litigieux au requérant. Par courrier du 26 mai 2004, le défendeur a marqué son accord mais, par courrier du 5 juin 2004, a proposé une somme de 10 000 euros. Cette somme n’a pas été acceptée.

De son côté, le défendeur a adressé quelques explications en réponse les 25 et 29 septembre 2004, par courrier électronique adressé au Centre, ce dernier l’ayant diffusé au requérant.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le requérant articule sa plainte sur la base de trois critères figurant au paragraphe 4(a) des principes directeurs.

En premier lieu, il relève que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion aux marques de produits et services sur lesquelles le requérant a des droits.

Il indique tout d’abord qu’il est titulaire de deux marques “Jacques Dessange” :

- Marque française n° 99775735 déposée le 17 février 1999, en classes 3 et 42 ;

- Marque communautaire “ Jacques Dessange” n° 1898667 déposée le 11 octobre, 2000,en classe 38.

Il ajoute que Jacques Dessange est le nom patronymique du fondateur et président de Dessange International.

Le requérant expose que le site <jacquesdessange.org> est une contrefaçon à l’identique de ses marques. Il observe de surcroît que ce site offre en première page des soins de coiffure, des soins esthétiques et un service de salon de beauté. Il y a donc à l’évidence un risque de confusion dans l’esprit du consommateur.

Selon le requérant, l’usage du site constitue de plus un acte de concurrence déloyale.

Enfin, les autres éléments du site, sans rapport avec la politique de communication du requérant, sans rapport avec le monde de l’esthétisme et de la beauté, et, enfin, de qualité très médiocre portent atteinte à l’image de marque du requérant et lui sont parfaitement préjudiciables.

En deuxième lieu, le requérant expose que le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine et n’a aucun intérêt qui s’y rattache.

En effet, le défendeur n’est pas connu dans le domaine considéré ; ce n’est pas son nom patronymique ; il n’a aucune autorisation ni licence des marques susmentionnées. Il en résulte que le défendeur fait un usage déloyal du site et n’a pour but que de détourner les consommateurs en créant une confusion.

En troisième lieu, le requérant expose que le défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

Jacques Dessange est une marque notoire dans le pays de résidence du défendeur mais aussi de nombreux autres pays.

Il ne pouvait ignorer que ces termes étaient protégés par des droits de propriété industrielle. C’est de mauvaise foi qu’il a enregistré ce nom de domaine le 17 novembre 2003.

De plus, à partir du 25 mai 2004 (date à laquelle le défendeur a reçu la lettre recommandée du 17 mai 2004, envoyée par le représentant du requérant), le défendeur était parfaitement informé de ce que le nom de domaine avait été réservé en fraude des droits du requérant.

A la demande de rétrocession du nom de domaine, le défendeur a tenté de monnayer la cession contre 10 000 euros. Ceci est une preuve supplémentaire de la mauvaise foi.

En conclusion, le requérant demande que la commission administrative ordonne que le nom de domaine <jacquesdessange.org> lui soit transféré.

B. Défendeur

Le défendeur a répondu dans deux courriers électroniques des 25 et 29 septembre 2004.

Il reproche au requérant de ne pas s’être intéressé plus tôt (depuis des années) à faire enregistrer les noms de domaine pouvant le concerner afin d’éviter des litiges. Il précise que personne n’a soulevé d’objections au moment de l’enregistrement du nom de domaine et ajoute “comme vous le voyez tout ça n’est pas ma faute ! Je n’ai rien à voir avec cette dispute …”

Enfin, dans un courrier du 5 juin 2004 adressé au représentant du requérant, il explique que le nom de domaine qu’il a enregistré est une abréviation de Jacques DES SANtos General Electric et que l’homonymie avec Jacques Dessange est une pure coïncidence.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) de Règles indique à la Commission administrative les principes de base à utiliser pour se déterminer à l’occasion d’une plainte : la Commission doit décider sur la base des exposés et documents soumis selon les Principes directeurs et Règles d’application ainsi que toutes les règles ou principes légaux qui lui semblent applicables.

Appliqué à ce cas, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs indique que le requérant doit prouver chacun des points suivants :

(i) Le nom de domaine enregistré par le défendeur est identique ou semblable au point de prêter à confusion avec la marque invoquée par le requérant ;

(ii) Le défendeur n’a ni droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine enregistré ;

(iii) Le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le requérant a établi clairement que Dessange International détenait des marques verbales “JACQUES DESSANGE”. Il en cite deux, une française et une communautaire, avec les pièces justificatives.

Nous observons que Jacques Dessange est aussi le nom commercial et l’enseigne sous lesquels le requérant exerce son activité de salons de coiffure notoirement connus en France mais aussi d’autres pays étrangers.

Rappelons qu’il est constant dans la procédure UDRP qu’il convient de ne pas tenir compte des “gTLD” tels que “biz”, “net”, “org” … pour apprécier la similitude des noms de domaine avec des marques antérieures.

La commission administrative constate qu’il y a une identité totale entre les marques déposées par la requérante et le nom de domaine déposé par le défendeur.

Dans ces conditions le critère d’identité ou de similitude prêtant à confusion est établi.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le défendeur n’a jamais eu aucun lien avec le requérant. Il n’a jamais reçu le moindre droit d’utiliser des marques “JACQUES DESSANGE”.

Il n’y a aucune homonymie entre le nom du défendeur et le nom Jacques Dessange.

On peut même considérer que la lettre du 26 mai 2004 du défendeur (répondant à un courrier du 17 mai 2004 du représentant du requérant) dans laquelle il confirme immédiatement qu’il est disposé à céder le nom de domaine qu’il a déposé est en soi une reconnaissance tacite du fait qu’il n’avait aucun droit.

Nous concluons donc que le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Plusieurs circonstances démontrent que l’enregistrement et l’usage ont été fait de mauvaise foi.

Comme nous l’avons vu, Jacques Dessange est une marque notoire dans le domaine de la coiffure et des produits de beauté. Ses salons sont nombreux en France mais aussi dans certains pays étrangers. Il est impensable que le défendeur vivant en France n’ait pas eu connaissance de ces circonstances, même s’il n’a pas fait une recherche de marque. Il existe un salon de coiffure Jacques Dessange à Cannes, résidence de M. de Gaetano.

Il serait de plus surprenant que le fait que la page de garde du site “jacquesdessange.org” propose des prestations de coiffure, des soins esthétiques ou un service de salon de beauté soit un simple hasard.

La justification a posteriori d’une simple coïncidence homonymique avec les mots Jacques DES SANtos General Electric est un autre élément de mauvaise foi tant cette explication très imaginative n’est pas crédible.

De surcroît, à partir du moment où le défendeur a reçu la lettre recommandée du représentant du requérant en date du 17 mai 2004, il était officiellement informé de la situation délicate dans laquelle il se trouvait. Le fait qu’il ait néanmoins persisté et essayé de négocier pour 10 000 euros la cession du site litigieux est aussi un élément de mauvaise foi.

 

7. Décision

Vu les paragraphes 4(i) de Principes Directeurs et 15 des Règles,

La commission administrative décide :

(a) Que le nom de domaine <jacquesdessange.org> enregistré par Monsieur Paolo de Gaetano est identique, ou du moins similaire au point de prêter à confusion avec les marques “Jacques Dessange” et autres droits du requérant, la société DESSANGE INTERNATIONAL.

(b) Que Monsieur Paolo de Gaetano n’a aucun droit ni intérêts légitimes à disposer du nom de domaine précité.

(c) Que ce nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, la commission administrative ordonne que le nom de domaine <jacquesdessange.org> soit transféré au requérant.


Jean-Claude COMBALDIEU
Expert unique

Le 29 octobre 2004