Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

Lego Juris A/S contre Adrjan Wajdarz

Litige n° DFR2010-0016

1. Les parties

Le Requérant est la Société Lego Juris A/S, Billund, Danemark, représenté par Anna Mejlerö, Stockholm, Suède.

Le Défendeur est Adrjan Wajdarz, Saint Martin Bellevue, France.

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <legocity.fr> enregistré le 30 décembre 2009.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Internet BS. Corp.

3. Rappel de la procédure

Une demande a été déposée par le Requérant, la Société Lego Juris A/S, auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 15 juin 2010 sous forme électronique et le 8 juin 2010 sur support papier.

En date du 9 juin 2010, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 10 juin 2010, l'Afnic a levé l'anonymat du titulaire du nom de domaine. Le 10 juin 2010, le Centre a invité le Requérant à amender sa demande en ce sens. Le 14 juin 2010, le Requérant a déposé un amendement à sa demande.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 17 juin 2010. Conformément à l'article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 7 juillet 2010. Le Défendeur n'ayant pas fait parvenir sa réponse, le Centre a notifié aux parties le défaut du Défendeur le 8 juillet 2010.

Le 13 juillet 2010, le Centre nommait Jean-Claude Combaldieu comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.

4. Les faits

Le Requérant, Lego Juris A/S, est titulaire d'une marque communautaire verbale LEGO n°000039800 déposée le 1er avril 1996 dans les classes 3, 9, 14,16, 20, 24, 25, 28, 38, 41, 42 de la classification de Nice. Cette marque a fait l'objet de revendications de séniorité émanant de douze pays de l'Union européenne.

Le 8 juin 2010 le Requérant a ouvert une procédure devant le Centre aux fins de se faire transférer le nom de domaine <legocity.fr> enregistré le 30 décembre 2009.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait valoir qu'il est basé au Danemark et qu'il est titulaire des marques figurant à l'annexe 3 de sa demande. Dans cette annexe figure la Marque verbale LEGO déposée dans 190 pays dont la marque communautaire visée ci-dessus au point 4 (Les faits). Quelques une de ces marques sont déposées au nom d'autres sociétés mais qui appartiennent au groupe Lego.

La marque LEGO est utilisée en France depuis 1959 mais aussi aux Etats Unis d'Amérique depuis 1953 où les ventes de jeux sous cette marque dépassent largement le milliard de dollars pour les dix dernières années.

Le Requérant détient aussi plus de 1000 noms de domaine comportant le mot “lego”. Une liste est fournie en annexe 5 de la demande.

Cette marque LEGO est mondialement connue depuis des décennies et peut être vue sur de nombreux supports, notamment les emballages des produits vendus par le Requérant. Par exemple, cette marque figure au 8ème rang des 500 marques de premier plan les plus connues à travers le monde sur une liste établie par l'organisation Superbrands U.K. (annexe 6).

Outre les jeux, le groupe Lego a étendu l'utilisation de sa marque aux matériels et logiciels informatiques, livres, vidéos et ensemble de constructions robotiques assistés par ordinateur.

Le Requérant expose que la marque LEGO a un caractère distinctif propre mais aussi acquis. Sa renommée est importante. Selon l'article 6bis de la Convention de Paris, mais aussi des articles 16.2 et 16.3 des accords ADPIC, le statut de cette marque octroie à son détenteur le droit de s'opposer à toute utilisation quelle qu'elle soit de ladite marque ou d'une dénomination similaire prêtant à confusion quels que soient les produits ou services.

Par ailleurs le Requérant fait valoir qu'il a des droits sur le nom de domaine litigieux.

En effet, comme cela a été retenu par des décisions des commissions administratives antérieures devant le Centre, la marque LEGO est une marque connue, distincte et célèbre. L'adjonction du terme “city” n'a aucun impact sur la partie dominante du mot “lego” instantanément reconnaissable en tant que marque déposée mondialement connue. Le risque de confusion est évident de sorte que l'internaute moyen peut penser que le nom de domaine litigieux appartient au Requérant.

Le Requérant indique aussi que l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence.

La valeur et la notoriété de la marque LEGO ont fait que les atteintes à celle-ci par des noms de domaines tiers se sont multipliées et on fait l'objet de nombreuses procédures administratives UDRP devant le Centre.

Selon le Requérant, le Défendeur n'a aucun droit légitime et n'a reçu aucune autorisation d'utilisation sur le terme “lego”. Le Défendeur trompe les internautes en dirigeant vers des sites commerciaux contenant des liens sponsorisés ternissant ainsi l'image de la marque LEGO.

A trois reprises le Requérant a essayé de prendre contact par lettre avec le Défendeur. Ce dernier n'a jamais répondu.

Dès lors il n'est pas douteux que le Défendeur connaissait l'existence des marques LEGO déposées dans le monde entier et notamment en France. En déposant le nom de domaine litigieux le Défendeur a cherché à détourner le consommateur et a fait un usage déloyal du nom de domaine à des fins lucratives.

En conclusion le Requérant demande que le nom de domaine <legocity.fr> lui soit transmis.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a apporté aucune réponse au Centre.

6. Discussion

L'Expert rappelle que, en application de l'article 1 du Règlement, une atteinte aux droits des tiers est constituée “lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”. En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment “une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.

L'Expert souligne que, en application de l'article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande “lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

Le Requérant a incontestablement des droits sur le nom de domaine litigieux.

En effet le Requérant justifie qu'il est titulaire d'une marque communautaire LEGO en vigueur antérieure à l'enregistrement du nom de domaine litigieux.

Le Requérant produit aussi en annexe une liste de 190 marques LEGO déposées quasiment dans le monde entier dont la marque communautaire valable dans les différents pays de l'Union européenne. Sauf pour cette dernière marque, il est regrettable que le Requérant ne produise dans ses annexes qu'un document interne et non des copies de documents officiels comme par exemple le dépôt d'une marque internationale.

Il est néanmoins établi clairement que le Requérant a des droits sur la marque LEGO et que cette dernière a un caractère notoire comme cela a été établi par plusieurs décisions de commissions administratives du Centre. A cet égard la liste des 500 marques les plus célèbres publiée par Superbrands UK. et qui situe la marque LEGO au 8ème rang entre COCA-COLA et APPLE est probante.

Il est aussi établi que l'adjonction du terme “city”, terme générique qui signifie “cité” ou “ville” en anglais, ne saurait faire échapper à la confusion dès lors qu'il est accolé à la marque LEGO qui, comme nous venons de le voir est une marque largement connue dans le monde et notamment en France.

L'internaute peut légitimement être abusé et croire que le nom de domaine litigieux appartient au Requérant ce dernier utilisant lui même de nombreux noms de domaine comportant la marque LEGO.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

Ce n'est certainement pas le fait du hasard si le Défendeur a enregistré un nom de domaine comportant le mot “lego”. Ce faisant il a méconnu les dispositions de l'article 12.1(4) de la Chartre de nommage qui oblige à vérifier que le nom de domaine choisi ne porte pas atteinte aux droits des tiers, en particulier aux droits de propriété intellectuelle.

Une simple recherche sur les bases de données de l'INPI ou de l'OHMI lui aurait permis de savoir qu'il ne lui était pas possible d'inclure le mot “lego” dans son nom de domaine. Même sans recherche la marque LEGO est notoirement connue.

L'utilisation du nom de domaine litigieux est également fautive car elle cherche à créer la confusion dans l'esprit des internautes et à les attirer à des fins lucratives au détriment des droits du Requérant. Ceci constitue un acte de parasitisme qui n'est pas conforme aux règles loyales du commerce.

Le fait que le Défendeur n'a pas souhaité répondre au Centre dans le cadre de la présente procédure est également significatif.

Par conséquent, l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur constituent une atteinte aux droits des tiers et aux règles de la concurrence.

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne au profit du Requérant la transmission du nom de domaine <legocity.fr>.


Jean-Claude Combaldieu
Expert

Le 19 juillet 2010