WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

Vente-privée.com contre F.M.

Litige n° DFR2010-0009

1. Les parties

Le Requérant est Vente-privée.com de Saint-Denis, France, représenté par le Cabinet Degret, France.

Le Défendeur est F.M.  de Toulouse, France (ci-après le “Défendeur”).

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <ventepriveediscount.fr> enregistré le 17 novembre 2008.

Le prestataire Internet est la société EuroDNS S.A.

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 27 avril 2010, par courrier électronique et le 29 avril 2010, par courrier postal.

Le 27 avril 2010, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations. Le même jour, l'Afnic a révélé l'identité du titulaire du nom de domaine concerné et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la demande. Le 3 mai 2010, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine concerné telles que communiquées par l'Afnic et a invité le Requérant à soumettre un amendement à la demande ou une demande amendée. Le Requérant a déposé un amendement le 5 mai 2010.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 6 mai 2010. Conformément à l'article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 26 mai 2010. Le Défendeur n'a pas fait parvenir de réponse. En date du 28 mai 2010, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

Le 7 juin 2010, le Centre nommait Jean-Claude Combaldieu comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.

4. Les faits

Le Requérant est la société Vente-Privée.com, société de droit français, immatriculée au RCS (Registre du Commerce et des Sociétés) depuis le 30 janvier 2001. “Vente-Privée.com” est la dénomination sociale de ladite société.

Le Requérant exerce une activité de vente en ligne, de façon évènementielle et à ses seuls membres, des articles de grandes marques à des prix très attractifs et inférieurs à ceux pratiqués en boutique.

Le Requérant est titulaire de plusieurs marques :

- Marque française semi figurative VENTE PRIVEE.COM n° 3263431 déposée le 17 décembre 2003 dans les classes 35,38 et 41.

- Marque française semi figurative VENTE PRIVEE.COM n° 3318310 déposée le 14 octobre 2004 dans les classes 35, 38 et 41.

- Marque française semi figurative VENTE PRIVEE n°3393310 déposée le 23 novembre 2005 dans les classes 35, 38 et 41.

- Marque communautaire semi figurative VENTE PRIVEE.COM déposée le 24 octobre 2006 dans toutes les classes de produits et services 1 à 45. Elle a été enregistrée le 20 décembre 2007.

Enfin le Requérant est également titulaire des noms de domaine <vente-privee.com>, <venteprivee.com>, <vente-privee.fr>, <venteprivee.fr>, <vente-privee-voyages.fr>, <vente-privee-discount.com>.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant commence son argumentaire en se présentant. Il expose qu'il a pour activité l'achat et la revente de tous produits, notamment via les outils du commerce électronique. Il crée des ventes événementielles sur Internet, réservées à ses membres, en proposant des produits de grandes marques bénéficiant de fortes décotes par rapport aux prix en boutiques.

Le Requérant insiste sur l'ampleur de son activité et sur sa notoriété.

Sur le premier point il fait valoir que plus de 100.000 colis sont expédiés chaque jour en 2009, que son site “www.vente-privee.com” a été visité par 6,2 millions de personnes en septembre 2009, qu'en décembre 2008 ce site a atteint son milliardième visiteur, que ce site est le 31ème site le plus visité en France, que la presse nationale ou spécialisée a publié de nombreux reportages sur le succès de ce site, que ce dernier est connu par 86% des acheteurs en ligne.

Sur le deuxième point c'est-à-dire la notoriété, qui résulte bien sûr du point précédent, le Requérant expose que la notoriété de son nom et de son site a été reconnue par une décision de la Cour d'Appel de Paris en 2008, par l'INPI à l'occasion d'une procédure d'opposition ainsi que par des Experts du Centre de l'OMPI (VENTE-PRIVEE.COM contre SWITCH, Litige OMPI No. DFR2007-0029; Vente-Privee.com contre Mawuna Koutonin, Litige OMPI No. DTV2008-0002; VENTE-PRIVEE.COM contre F.M. , Litige OMPI No. DFR2010-0006).

Ensuite le Requérant indique qu'il vient de découvrir un nom de domaine <ventepriveediscount.fr> qui renvoie a une page parking éditée par une société SEDO. Cette page propose des liens hypertextes permettant l'accès à des sites marchands qui lui sont directement concurrents comme par exemple <cdiscount.com>, <bazarchic.com>,< brandalley.com>. Il en déduit que ce site litigieux porte gravement atteinte à ses droits et à son image.

Le Requérant rappelle qu'il a des droits sur le nom de domaine litigieux qui découlent de ses marques, de ses sites Web, de sa dénomination sociale et de ses noms de domaine. L'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur constituent ainsi une atteinte à ses droits.

S'agissant des marques le Requérant expose que le nom de domaine litigieux est une contrefaçon car il imite les signes protégés et permet l'accès à des produits ou services identiques ou similaires à ceux visés au dépôt des marques antérieures.

En ce qui concerne la comparaison des signes, le Requérant relève que le vocable “discount” est dépourvu de toute distinctivité car il décrit une caractéristique commune à tous les sites Internet similaires à savoir la commercialisation de produits à prix réduits. Ce terme générique “discount”, qui décrit une caractéristique des services désignés par les marques, ne saurait faire échapper le site litigieux au risque de confusion de la part des internautes (voir notamment la décision Guinot SAS contre Vladimir Sobolkov, Litige OMPI No. D2008-0225).

Le Requérant ajoute que le nom de domaine litigieux porte atteinte à la renommée des ses marques. En effet, en particulier en raison de la notoriété déjà reconnue de ces marques, il est évident que le Défendeur a cherché à tirer profit d'une manière injustifiée de cette notoriété, à tromper et à détourner la clientèle du Requérant ce qui lui est préjudiciable.

De plus l'offre à la vente, proposée en ligne par le Défendeur, du nom de domaine litigieux imitant les marques notoires du Requérant est un acte sanctionnable par le code la Propriété Intellectuelle. Cela prouve d'ailleurs que le Défendeur cherche uniquement à tirer profit de cet enregistrement frauduleux.

Le Requérant fait aussi valoir que l'enregistrement et l'exploitation du nom de domaine litigieux porte atteinte à ses sites Web et à sa dénomination sociale. Voir par exemple la décision LES ECHOS contre KLTE Ltd, Litige OMPI No. DFR2005-0012 qui a estimé que le nom de domaine <lesecho.fr> prête à confusion avec le quotidien “Les Echos”.

Enfin le Requérant développe l'argument selon lequel les agissements du Défendeur constituent des atteintes aux règles de la concurrence et au comportement loyal en matière commerciale. Il rappelle les atteintes portées à ses droits sur les marques, sur sa dénomination sociale et sur ses sites Internet (dont <vente-privee-discount.com>) et sur la confusion volontairement entretenue par le Défendeur en vue de détourner la clientèle.

L'enregistrement anonyme, bien que légal, est souvent analysé par certaines commissions administratives de l'OMPI comme un élément de mauvaise foi (voir Reviderm AG v. Niko International, Litige OMPI No. D2007-0113). A cet égard, à la suite de la levée de l'anonymat par l'AFNIC, le Requérant rappelle dans son amendement à la demande que le Défendeur, Madame Fabienne Marlat, est bien connue du Centre pour avoir déjà été obligée à transférer des noms de domaine déposés par elle (voir Société nouvelle d'études, d'éditions et de publicité SNEEP contre Madame F.M. , Litige OMPI No. DFR2009-0041 et VENTE-PRIVEE.COM contre F.M. , Litige OMPI No. DFR2010-0006).

En conclusion générale le Requérant demande que le nom de domaine <ventepriveediscount.fr> lui soit transmis.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a apporté aucune réponse au Centre.

6. Discussion

L'Expert rappelle que, en application de l'article 1 du Règlement, une atteinte aux droits des tiers est constituée “lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”. En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment “une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.

L'Expert souligne que, en application de l'article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande “lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

Si on se réfère aux titres de propriété intellectuelle visés au point 4 de la présente décision (Les faits), le Requérant détient des droits privatifs sur lesdits titres. Parmi ces droits figurent des marques - toutes antérieures à l'enregistrement du nom de domaine litigieux - utilisant l'expression “vente-privee” ou “vente-privee.com” (cette dernière étant aussi la raison sociale du Requérant).

Au regard des pièces fournies, notamment l'importance de la consultation en ligne de son site Internet, nous considérons que le Requérant a apporté la preuve de la notoriété de ses marques. Comme mentionné plus haut la Cour d'appel de Paris, l'INPI ainsi que des experts du Centre ont déjà formulé la même opinion.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

Le Défendeur a repris l'expression “vente privée”, sans tiret de séparation ce qui ne change rien du point de vue de la similarité des signes.

Le choix de l'expression “vente privee” par le Défendeur ne peut être le fruit du hasard. Il ne pouvait ignorer la renommée et les droits antérieurs attachés à cette expression. Bien plus, en ajoutant le terme descriptif “discount” le Défendeur a implicitement reconnu le caractère distinctif de l'expression “vente privée” ainsi que son pouvoir attractif.

L'enregistrement du nom de domaine litigieux porte donc atteinte aux droits du Requérant sur ses marques. Rappelons en outre que le Requérant a aussi un nom de domaine <vente-privee-discount.com> qui est très exactement celui retenu par le Défendeur.

La proximité entre les signes et les produits et services concernés suscite incontestablement un risque de confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne qui peut croire en la même origine que les signes du Requérant.

Si on ajoute que les signes du Requérant bénéficient d'une notoriété certaine il n'est pas douteux que l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine litigieux portent atteinte aux droits du Requérant et lui causent un préjudice.

Enfin la confusion sciemment recherchée entre les sites du Requérant et le site litigieux constitue un comportement déloyal contraire à l'éthique qui devrait gouverner la vie des affaires.

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <ventepriveediscount.fr>.


Jean-Claude Combaldieu
Expert

Le 9 juin 2010