WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Société PagesJaunes contre Amel Hamdaoui

Litige n° D2010-0351

1. Les parties

La Requérante est la Société PagesJaunes, Sèvres, France, représenté par DS Avocats, France.

Le Défendeur est Amel Hamdaoui, Guelma, Algérie, représenté par la Société Canal Internet, France.

2. Noms de domaine et unités d'enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <quidonc.com> et <quidonc.net>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Tucows Inc.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par la Société PagesJaunes auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) le 8 mars 2010.

Le 9 mars 2010, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, Tucows Inc., aux fins de vérification des éléments du litige tels que communiqués par le Requérant. Le même jour, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.

Le 15 mars 2010, le Centre a invité Tucows Inc. à lui confirmer que le nom de domaine <quidonc.net>, dont la date d'échéance d'enregistrement est le 30 mai 2010, serait bloqué durant la procédure en dépit de son éventuelle expiration. L'unité d'enregistrement a adressé ce même jour au Centre un courrier électronique confirmant ce blocage.

Le 15 mars 2010 toujours, le Centre a transmis aux parties un courrier électronique rédigé tant en français qu'en anglais concernant la langue de la procédure, attirant l'attention de la Requérante sur le fait que la langue du contrat d'enregistrement était l'anglais, et l'invitant à justifier le recours au français comme langue de la procédure dans les trois jours. Le 18 mars 2010, la Requérante a sollicité que le français soit la langue de la présente procédure, motif étant tiré du fait que le Défendeur avait spontanément répondu aux mises en demeure qui lui avaient été adressées en français, témoignant ainsi de sa compréhension de cette langue. Le 19 mars 2010, le Défendeur a également informé le Centre qu'il souhaitait que cette affaire soit entendue en français. Étant donné l'accord ainsi intervenu entre les parties, le Centre a avisé les parties par courrier électronique le 19 mars 2010 que la langue de la procédure serait le français.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 22 mars 2010, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 11 avril 2010. Le Défendeur a envoyé deux courriers électroniques au Centre les 25 mars et 8 avril 2010 et fait parvenir sa réponse le 11 avril 2010.

En date du 16 avril 2010, le Centre a nommé dans le présent litige comme expert unique Philippe Gilliéron. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

4. Les faits

La Requérante a pour activité l'édition et la diffusion d'annuaires professionnels en ligne disponibles sur le site accessible depuis le nom de domaine <pagesjaunes.fr>, auquel renvoie directement le nom de domaine <quidonc.fr> propriété de la Requérante.

La Requérante est titulaire des marques françaises suivantes :

- La marque verbale QUIDONC, enregistrée sous le n° 98 725 735 pour les produits et services des classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42 avec une date de priorité remontant au 31 mars 1998;

- La marque verbale LES PAGES QUIDONC, enregistrée sous le n° 98 728 601 pour les produits et services des classes 9 et 38 avec une date de priorité remontant au 17 avril 1998;

- La marque semi-figurative QUIDONC, enregistrée sous le n° 03 3 216 899 pour les produits et services des classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42 avec une date de priorité remontant au 24 mars 2003.

Ayant constaté que le Défendeur avait enregistré les noms de domaine <quidonc.com> et <quidonc.net>, la Requérante a adressé une première mise en demeure au Défendeur le 27 janvier 2009 en attirant son attention sur l'existence des marques précitées et en lui faisant injonction de solliciter la radiation de ces noms de domaine.

Par un courrier faussement daté du 8 décembre 2008 faisant cependant expressément référence à la mise en demeure du 27 janvier 2009, le Défendeur a répondu que les noms de domaine en question ne contrevenait en rien aux droits de la Requérante.

Cette dernière lui a adressé le 26 février 2009 une seconde mise en demeure réitérant sa demande. Le Défendeur y a répondu par courrier du 28 avril 2009 en maintenant sa position. Face à cette demande, le Défendeur a toutefois consenti à cesser l'exploitation de ces noms de domaine et à les mettre en vente, invitant du même coup la Requérante à lui adresser une offre, tout en attirant son attention sur le fait que “le présent courrier ne peut être considéré comme une sollicitation d'achat de notre part, c'est simplement un courrier d'information suite à vos précédents courriers”.

Par courriers des 14 mai et 27 octobre 2009, la Requérante a une nouvelle fois fait valoir ses droits par l'entremise de son conseil et enjoint le Défendeur à procéder à la radiation des noms de domaine litigieux. Ces courriers sont demeurés sans réponse.

5. Argumentation des parties

A. Requérante

La Requérante allègue tout d'abord le fait que les noms de domaine <quidonc.com> et <quidonc.net> constituent des contrefaçons des marques précitées dont elle est titulaire.

La Requérante allègue ensuite qu'elle n'a jamais autorisé le Défendeur à réserver à quelque titre que ce soit les noms de domaine litigieux. Le Défendeur n'a jamais été connu pour faire usage de la marque QUIDONC de quelque manière que ce soit et ne bénéficie d'aucun droit sur cette désignation.

Le fait que le Défendeur ait mis en vente les noms de domaine litigieux pour un montant de 100 000 euros témoigne de sa mauvaise foi et de l'entrave délibérée faite à la Requérante de récupérer ces noms de domaine.

La Requérante allègue enfin que l'absence d'usage par le Défendeur des noms de domaine en cause caractérise la réservation passive et illégitime, une attitude qui aurait été jugée comme constituant un acte d'usage de mauvaise foi à de nombreuses reprises.

B. Défendeur

Le Défendeur allègue qu'entre 2004 et 2006, le site rattaché au nom de domaine <quidonc.com> était exploité pour offrir des prestations en matière informatique. La gestion du site aurait ensuite été confiée à la société Canal Internet gérée par un dénommé B. Hamdaoui. Entre 2008 et 2009, le site rattaché à ce nom de domaine aurait proposé une collection de liens URL pointant vers divers sites (impôts, finances, informations), en attendant le développement d'un site de commerce en ligne. Le Défendeur n'offre toutefois aucune preuve à l'appui de ces allégations.

Le Défendeur allègue qu'à la suite des mises en demeure qui lui ont été adressées par la Requérante, il aurait cessé toute activité et décidé de mettre en vente les noms de domaine litigieux, de sorte qu'aucune offre identique ou similaire à celle proposée par la Requérante n'aie jamais lieu sous ces noms de domaine. À ce fait s'ajoute selon le Défendeur qu'aucun risque de confusion ne résulterait des noms de domaine litigieux avec les marques de la Requérante, puisque son annuaire serait avant tout exploité sous le nom de domaine <pagesjaunes.fr>; preuve en serait selon le Défendeur le fait que les noms de domaine litigieux n'apparaissent nullement dans les résultats offerts par une recherche effectuée au moyen de Google en tapant les mots clés “quidonc” ou “qui” et “donc”.

Le Défendeur allègue ensuite que, contrairement aux allégations de la Requérante, la dénomination “quidonc” est générique et que, étant le premier à l'avoir enregistrée sous les noms de domaines de premier niveau concernés, on ne peut lui opposer le fait qu'il n'aurait aucun intérêt légitime sur ces désignations, le principe du premier arrivé premier servi étant applicable.

Le Défendeur allègue enfin que la Requérante ne saurait le considérer comme étant de mauvaise foi, dès lors qu'entre le dépôt de la marque QUIDONC en 1998 et l'enregistrement du nom de domaine <quidonc.fr> en 2005 se sont écoulées sept ans, sept ans durant lesquels la Requérante aurait très bien pu enregistrer les noms de domaine aujourd'hui réclamés. Le Défendeur expose au surplus que les activités déployées entre 2004 et 2006 témoignent de sa bonne foi et d'une utilisation légitime de ces noms de domaine, de sorte que l'on ne saurait aujourd'hui voir dans la mise en vente de ces sites un agissement de mauvaise foi, cette mise en vente n'étant que la résultante des mises en demeure qui lui ont été adressées par la Requérante. L'offre de 100 000 euros figurant à une certaine époque sur le site rattaché aux noms de domaine litigieux ne pourrait lui être opposée, puisqu'elle a aujourd'hui disparu et n'est plus d'actualité.

Pour terminer, le Défendeur fait valoir que la plainte déposée par la Requérante s'apparente à une tentative de recapture illicite du nom de domaine, conformément au paragraphe 15(e) des Règles d'application.

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Requérante a démontré être titulaire de marques composées exclusivement ou en combinaison avec d'autres éléments de la désignation QUIDONC.

On suivra le Défendeur lorsqu'il allègue que l'annuaire exploité par la Requérante l'est en réalité sous le nom de domaine <pagesjaunes.fr>, sans que la dénomination “quidonc” ne figure sur la page en question. On suivra encore le Défendeur lorsqu'il allègue que les statistiques attestant de l'importance de l'annuaire proposé par la Requérante auprès de la communauté des internautes en France n'ont trait qu'au site <pagesjaunes.fr>, sans que ces statistiques ne prouvent la notoriété de l'une ou l'autres des marques QUIDONC dont la Requérante est titulaire.

Ces faits sont toutefois sans pertinence pour l'issue du présent litige. Seul importe conformément au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs le fait qu'un défendeur soit titulaire d'un ou de plusieurs noms de domaine susceptibles d'entraîner un risque de confusion avec une ou plusieurs marques sur laquelle le requérant possède des droits.

Ainsi la synthèse des tendances générales des décisions rendues par les commissions administratives sur certaines questions relatives aux principes UDRP (ci-après : “Synthèse”) retient-elle en son chiffre 1.1 qu'il suffit que le requérant détienne une marque enregistrée pour satisfaire au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs. La question de savoir dans quel pays et pour quels produits ou services cette marque aurait été enregistrée est sans pertinence aucune pour admettre que le requérant détient des droits sur une marque au sens où l'exige ce paragraphe (Uniroyal Engineered Products, Inc. v. Nauga Network Services, Litige OMPI No. D2000-0503; Thaigem Global Marketing Limited v. Sanchai Aree, Litige OMPI No. D2002-0358).

Une fois les droits de marque établis, seule importe la question de savoir s'il résulte entre la marque et le nom de domaine un risque de confusion et ce, indépendamment de l'éventuel contenu du site rattaché au nom de domaine litigieux, des prestations proposées par les parties ou de la notoriété de ces marques (cf. Synthèse, chiffre 1.2, qui cite à ce titre Arthur Guiness Son & Co (Dublin) Ltd v. Dejan Macesic, Litige OMPI No. D2000-1698; Dixons Group Plc v. Mr. Abu Abdullaah, Litige OMPI No. D2001-0843; AT&T Corp. v. Amjad Kausar, Litige OMPI No. D2003-0327).

Or, en l'espèce, le risque de confusion entre la marque verbale QUIDONC propriété de la Requérante et les noms de domaine <quidonc.com> et <quidonc.net> ne fait aucun doute, la marque étant contenue à l'identique dans les noms de domaine litigieux.

Par conséquent, la Commission administrative considère que le critère posé au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est rempli.

B. Droits ou légitimes intérêts

S'agissant de la preuve d'un fait négatif, la Commission administrative estime que lorsqu'un requérant a allégué avec des documents à l'appui le fait que le défendeur n'a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine comme en l'espèce, il incombe au défendeur d'établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S'il n'y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes (cf. Synthèse, chiffre 2.1 ainsi que, par exemple, Eli Lilly and Company v. Xigris Internet Services, Litige OMPI No. D2001-1086; Do The Hustle LLC v. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624).

La Requérante allègue n'avoir jamais autorisé le Défendeur à enregistrer les noms de domaine litigieux. De son côté, le Défendeur allègue en guise de moyen de défense avoir exploité son site de bonne foi pour y offrir des prestations en matière informatique durant les années 2004 à 2006. Il ne produit cependant aucun document à l'appui de ces allégations. Or, de simples allégations sont à l'évidence insuffisantes. Compte tenu de la répartition du fardeau de la preuve, c'est bien au Défendeur qu'il incombait d'apporter les preuves nécessaires à l'appui de ses allégations. Il n'a pas jugé bon de le faire et devra en supporter les conséquences.

La Commission administrative est d'avis que la mise en vente des sites en question ne peut être considérée comme une activité légitime, d'autant plus qu'elle est intervenue après que le Défendeur a vu son attention expressément attirée sur les droits de la Requérante, et que l'offre initialement émise par le Défendeur sur un site de vente aux enchères affichait le montant de 100 000 euros. Une telle utilisation, faite en connaissance de cause des droits de la Requérante sur la marque QUIDONC, ne peut être considérée comme étant légitime.

Par conséquent, la Commission administrative considère que le critère posé au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est rempli.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Défendeur n'ayant apporté aucun élément susceptible de démontrer qu'il aurait enregistré le nom de domaine dans le but d'offrir des prestations en matière informatique comme il allègue, la Commission administrative en est réduite à s'en tenir aux constatations résultant des pièces figurant au dossier.

La Commission administrative peine à croire que le Défendeur, domicilié en Algérie, aurait enregistré le nom de domaine litigieux sans avoir eu connaissance des droits de marque de la Requérante. Cette probabilité est d'autant plus réduite que l'utilisation faite par le Défendeur au moment où il a été avisé du litige consistait en un annuaire en ligne, soit en des prestations comparables à celles proposées par la Requérante au travers de ses sites <pagesjaunes.fr> et <quidonc.fr>. La comparaison, plus que troublante, amène la Commission administrative à conclure en l'absence de preuve contraire que le nom de domaine a été enregistré par le Défendeur dans le seul but d'entraver les activités de la Requérante et d'exploiter sa renommée en détournant les internautes à son profit. Ce fait semble d'autant plus avéré que le dénommé B. Hamdaoui, avec lequel le Défendeur semble entretenir des rapports étroits, a d'ores et déjà donné lieu à des décisions où il apparaissait comme le titulaire d'un nom de domaine consistant en une marque de haute renommée, décisions où le transfert dudit nom de domaine a été ordonnée (voir : Dell Computer Corporation v. MTO C.A. and Diabetes Education Long Life, Litige OMPI No. D2002-0363). Il ne fait dès lors guère de doute selon la Commission administrative que l'enregistrement des noms de domaine litigieux par le Défendeur n'est pas le fruit du hasard, et que ce dernier connaissait la marque de la Requérante au moment où il a procédé à leur enregistrement.

Cette mauvaise foi est confirmée par la mise en vente des noms de domaine en question, proposée par le Défendeur après qu'il a pourtant vu son attention expressément attirée sur l'existence des droits de la Requérante. Seule une offre proposant à la Requérante de lui transférer des noms de domaine pour un montant n'excédant pas les frais de gestion liés à l'exploitation de ces noms aurait pu être considérée comme raisonnable et formée de bonne foi. Tel n'est en tous les cas assurément pas le cas d'une offre publique affichant un montant de 100 000 euros; peu importe que cette offre ait ensuite été retirée du moment que son existence est avérée. En décider autrement reviendrait à admettre que la violation intentionnelle par un défendeur des droits d'un requérant peut constituer un intérêt légitime, ce qui serait à l'évidence contraire au but poursuivi par les Principes directeurs (Madonna Ciccone, p/k/a Madonna v. Dan Parisi and “Madonna.com”, Litige OMPI No. D2000-0847). C'est également le lieu de rappeler que, conformément à l'opinion majoritaire des Commissions administratives, les discussions ayant eu lieu entre les parties après que l'attention du défendeur a été attirée sur l'existence des droits du requérant peut être exploitée pour démontrer sa mauvaise foi suivant les circonstances du cas d'espèce, ne serait-ce qu'en raison du fait que le défendeur attend fréquemment d'avoir été avisé du litige par le requérant avant de se manifester, comme il en est allé en l'espèce (Synthèse, chiffre 3.6, qui cite à cet égard CBS Broadcasting, Inc. v. Gaddor Saidi, Litige OMPI No. D2000-0243; Magnum Piering, Inc. v. The Mudjackers and Garwood S. Wilson, Sr., Litige OMPI No. D2000-1525).

Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que le critère posé au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est rempli.

8. Décision

Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine <quidonc.com> et <quidonc.net> soient transférés à la Requérante.


Philippe Gilliéron
Expert Unique

Le 21 avril 2010