CENTRE D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

FNAC contre Production Cosmopolite

Litige n° D2010-1538

1. Les parties

Le Requérant est FNAC, Ivry-Sur-Seine, France, représenté par Inlex IP Expertise, France.

Le Défendeur est Production Cosmopolite, La Courneuve, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <fnac.pro>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est OVH.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par FNAC auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 10 septembre 2010.

En date du 13 septembre 2010, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 16 septembre 2010, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d’application"), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 28 septembre 2010, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 18 octobre 2010. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 21 octobre 2010, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 27 octobre 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Marie-Emmanuelle Haas. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la société FNAC, créée en 1954. Cette société est une chaîne de magasins spécialisés dans la distribution de produits culturels (notamment livres, vidéos, disques, ordinateurs) et électroniques (notamment matériels audios et vidéos) et fournit de nombreux services notamment culturels (réservations de places de spectacles, voyages, assistance informatique, formations…).

Le Requérant indique disposer de nombreux magasins dans le monde (Brésil, Espagne, Portugal, Grèce, etc.) et exploiter le site Internet "www.fnac.com" qui est connu et accessible partout dans le monde. Le Requérant précise être titulaire de nombreux enregistrements de marque antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux et portant sur la dénomination FNAC, dont notamment deux marques françaises FNAC n° 1392472, 1454178, cinq marques semi-figuratives françaises FNAC n° 1568645, 1568646, 1568917, 96631714, 98747835, les marques françaises semi-figuratives FNAC DIGITALE n° 033208378 et FNAC LOGICIELS n° 1623974, les marques françaises FNAC MUSIC n° 1630953, FNAC SERVICE n° 1268884, trois marques communautaires FNAC n° 000180885, 000149708, 004532297et une marque communautaire FNAC.COM n° 001781376, ainsi que neuf marques internationales, protégeant notamment des produits culturels, électroniques et multimédias et/ou des services y relatifs.

Le Requérant est également titulaire de noms de domaines sous différentes extensions composés du seul terme FNAC, soit notamment <fnac.com>, <fnac.fr>, <fnac.tm.fr>, <fnac.info>, <fnac.biz>, <fnac.be>, <fnac.eu>. Quatre sociétés du groupe FNAC sont titulaires de quatre noms de domaines FNAC sous des extensions nationales.

Enfin, la dénomination sociale du Requérant est la dénomination FNAC.

Le Requérant a découvert que, le 25 février 2009, le Défendeur avait enregistré le nom de domaine litigieux <fnac.pro>, qui n’est pas exploité.

Par courrier recommandé du 3 juillet 2009 et email du 10 juillet 2009, le Requérant demandait au Défendeur de lui justifier la raison de l’enregistrement de deux noms de domaine, dont le nom de domaine litigieux.

Le Défendeur n’a donné aucune réponse à cette lettre de mise en demeure, ni aux courriels et lettres de relance adressés les 3 et 20 août 2009.

Par lettre recommandée du 18 décembre 2009 et par courriel du 21 décembre 2009, le Requérant, constatant cette absence de réponse, demandait le transfert du nom de domaine litigieux, enregistré de mauvaise foi.

Aucune réponse n’a été donnée par le Défendeur, malgré une relance du 27 janvier 2010.

C’est dans ces circonstances que le Requérant a saisi le Centre afin d’obtenir le transfert, à son profit, du nom de domaine litigieux <fnac.pro>.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant est titulaire de nombreux enregistrements de marque portant sur la dénomination FNAC antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux, pour désigner notamment des produits et services culturels, électroniques et multimédias, et lui conférant une protection en France et dans de nombreux pays.

Le Requérant est titulaire de différents noms de domaine portant sur le seul terme FNAC et dont l’enregistrement est antérieur à celle du nom de domaine litigieux.

Le Requérant utilise la dénomination sociale FNAC depuis sa création en 1954.

Le Requérant estime que le nom de domaine litigieux reprend à l’identique sa dénomination sociale et ses marques.

En second lieu, le Requérant indique que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. En effet, il n’existe aucun lien entre la société ni le groupe FNAC et la société Production Cosmopolite, et qu’elle ne bénéficie d’aucune autorisation d’utilisation de la marque FNAC ou de réservation du nom de domaine litigieux. Le Défendeur n’est pas connu sous le nom de FNAC. Le Défendeur n’a pas mis en ligne de site Internet justifiant l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

En dernier lieu, le Requérant estime que l’enregistrement du nom de domaine litigieux a été effectué de mauvaise foi et uniquement dans un but de gain commercial.

Le Requérant souligne que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé par le Défendeur en parfaite connaissance de la renommée du Requérant, dans le but de bénéficier financièrement de cette réservation ou de nuire à la société du Requérant.

Le fait que le Requérant et le Défendeur sont tous deux domiciliés en France amène à supposer légitimement que le Défendeur avait connaissance de la marque objet du litige et laisse présager de sa mauvaise foi. Le Requérant s’appuie sur l’affaire Heineken Espana, S.A. v. Domingo Gonzalez Ruiz, Litige OMPI No. D2001-1202.

Le Défendeur n’a pas mis en ligne de site Internet qui aurait pu éventuellement justifier une réservation de bonne foi, s’agissant d’un cas de passive holding. Le Requérant appuie son raisonnement sur une affaire Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003.

Le Défendeur est un habitué de cette pratique, puisqu’il a déjà fait l’objet d’une procédure UDRP concernant le nom de domaine <europages.com>, qui a donné lieu à une décision de transfert.

L’enregistrement du nom de domaine litigieux est trompeur pour les tiers car, si un site web était mis en ligne à partir de <fnac.pro>, il serait assimilé à un site officiel du Groupe FNAC s’adressant aux professionnels.

Le Requérant considère donc que le nom de domaine <fnac.pro> doit lui être transféré.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a adressé aucune réponse au Centre dans le délai imparti et est en conséquence défaillant.

6. Discussion et conclusions

Les Principes directeurs sont applicables aux litiges concernant les noms de domaine ayant une extension en ".pro". Il s’agit donc de vérifier si les conditions énumérées dans les Principes directeurs sont remplies en l’espèce afin de pouvoir se prononcer sur la demande de transfert du nom de domaine litigieux <fnac.pro>.

En vertu du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que les éléments suivants sont réunis:

(i) le nom de domaine enregistré par le détenteur est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits ; et

(ii) le détenteur du nom de domaine n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache ; et

(iii) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant prouve qu’il est titulaire de nombreux enregistrements de marque portant sur la dénomination FNAC désignant divers produits culturels, électroniques, multimédias, ainsi que les services qui y sont associés et des services de publicité, lui conférant une protection dans différents pays, et principalement en France, où le Requérant a son siège social et où est domicilié le Défendeur.

Ces marques sont antérieures à l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur.

Le Requérant démontre également qu’il est titulaire de noms de domaine antérieurs portant sur la seule dénomination FNAC et notamment de <fnac.com>, qui a une vocation internationale.

Le Requérant fait usage de la dénomination FNAC à titre de dénomination sociale au moins depuis l’année 1970. En effet, aucun des documents produits par le Requérant ne permet de conclure que la société FNAC a été créée en 1954 comme cela est affirmé.

Le nom de domaine litigieux reprend en intégralité ou partiellement les marques du Requérant. Il est de jurisprudence constante que l’extension du nom de domaine, en l’espèce ".pro", ne doit pas être prise en compte dans l’appréciation de l’identité ou de la similitude entre le nom de domaine et les marques du requérant (voir notamment Europages c. Société Cosmopolite Production, Litige OMPI No. D2009-0641).

Par conséquent, la Commission administrative considère que la condition édictée au paragraphe 4(a)(i) est remplie.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le Défendeur n’est titulaire d’aucun droit de marque sur la dénomination FNAC et n’est pas connu pour exercer une quelconque activité commerciale sous une dénomination correspondant au nom de domaine litigieux.

Conformément à la possibilité qui lui est laissée par le paragraphe 10(a) des Règles d’application, la Commission administrative a pu constater lors d’une recherche sur la base de données Infogreffe (registre du commerce et des sociétés), que le Défendeur, soit la société Production Cosmopolite (ou Cosmopolite Production), a une activité de production et de commercialisation dans les domaines de l’audiovisuel, du multimédia et de la publicité. Le Défendeur exerce donc une activité qui est identique ou similaire aux produits et services visés par les marques antérieures du Requérant.

Le Requérant n’a jamais accordé au Défendeur son autorisation ou une quelconque licence quant à l’usage de ses marques FNAC ou sur l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Il n’existe aucun lien entre la société du Défendeur et la société ou le groupe du Requérant.

Compte tenu de la renommée des marques du Requérant sur le territoire français et du fait que le Défendeur est domicilié en France, le Défendeur avait nécessairement connaissance des droits détenus par le Réquerant sur les marques FNAC à l’époque de l’enregistrement du nom de domaine litigieux (Deutsche Bank Aktiengesellschaft v. New York TV Tickets Inc., Litige OMPI No. D2001-1314).

Le simple enregistrement d’un nom de domaine ne confrère à son titulaire aucun droit ou intérêt légitime. Rien n’indique que le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services ou fait des préparatifs sérieux à cet effet. Le site est inexploité depuis l’enregistrement du nom de domaine litigieux et le Défendeur est défaillant.

Compte tenu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition du paragraphe 4(a)(ii) est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Les marques du Requérant sont renommées en France et la société FNAC est largement connue du grand public, comme en attestent notamment les articles de presse communiqués par le Requérant. Le Défendeur étant domicilié en France, il avait connaissance des droits de marque du Requérant sur ces marques lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux. C’est même certainement cette notoriété qui a incité le Défendeur à enregistrer ce nom de domaine.

Le Requérant a tenté d’obtenir le transfert amiable du nom de domaine litigieux en adressant au Défendeur divers courriers et emails, tous restés sans réponse. La Commission administrative s’appuie sur les décisions News Group Newspapers Limited and News Network Limited v. Momm Amed Ia, Litige OMPI No. D2000-1623, Nike, Inc. v. Azumano Travel, Litige OMPI No. D2000-1598 and America Online, Inc. v. Antonio R. Diaz, Litige OMPI No. D2000-1460, dans lesquelles l’absence de réponse à une lettre de mise en demeure, ou de toute tentative de prise de contact, a été considérée comme un élément pertinent dans le cadre de l’appréciation de la mauvaise foi.

Compte tenu des éléments de l’espèce, le Défendeur avait nécessairement connaissance des droits antérieurs du Requérant lors de l’enregistrement du nom de domaine <fnac.pro>

De plus, le Requérant a démontré que le Défendeur a déjà fait l’objet d’une procédure administrative UDRP dans des circonstances comparables au cas d’espèce et ayant donné lieu à une décision de transfert

La Commission administrative considère que le nom de domaine a été enregistré en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et constate que le Défendeur est coutumier d'une telle pratique, ce qui caractérise un enregistrement de mauvaise foi au sens de l’article 4(b)(ii) des Principes directeurs.

Le nom de domaine litigieux ne fait l’objet d’aucune exploitation depuis son enregistrement. Il s’agit d’un cas de "passive holding". La décision Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003, précisant que les critères du paragraphe 4(a) des Principes directeurs ne sont pas exhaustifs, a considéré que le critère de l’usage de mauvaise foi n’implique pas forcément un acte positif et que l’inaction peut dans certaines circonstance être retenue au titre de l’usage de mauvaise foi.

La Commission administrative s’appuie également sur l’affaire Polaroid Corporatio c. Jay Strommen, Litige OMPI No. D2005-1005.

Elle constate que :

- les marques du Requérant jouissent d’une grande renommée et sont largement connues,

- le Défendeur n’a fourni aucun élément justifiant un usage actuel ou futur et de bonne foi du nom de domaine litigieux,

- et que le Défendeur n’a pas répondu à la plainte.

En outre, l’usage que le Défendeur pourrait éventuellement faire du nom de domaine litigieux serait susceptible de générer un risque de confusion avec les marques du Requérant, laissant croire à l’existence d’une autorisation donnée par le Requérant ou d’un quelconque lien avec le Requérant, ce qui n’est pas le cas.

Au regard de ce qui précède, la Commission administrative considère que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi, et que par conséquent la condition énumérée au paragraphe 4(a)(iii) est remplie.

7. Décision

Vu les paragraphes 4(a) et 4(b) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative considère que :

- le nom de domaine <fnac.pro> est identique ou similaire aux marques de produits ou de services sur lesquelles le Requérant a des droits,

- le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache,

- le nom de domaine <fnac.pro> a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

La Commission administrative constate que les conditions requises par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont remplies et que le Requérant a prouvé remplir les conditions d’enregistrement du gTLD ".pro". La Commission administrative ordonne en conséquence le transfert du nom de domaine <fnac.pro> au Requérant1.

Marie-Emmanuelle Haas
Expert Unique
Le 8 novembre 2010


1 La RegistryPro Ltd étant la seule autorité habilitée à apprécier les conditions d’enregistrement d’un tel nom de domaine, la Commission administrative ordonne subsidiairement l’annulation du nom de domaine <fnac.pro> dans l’hypothèse où RegistryPro Ltd refuserait de transférer le nom de domaine litigieux au Requérant.