WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

Cool S.r.l. contre Jean Louis Haddad

Litige n° DFR2010-0005

1. Les parties

Le Requérant est Cool S.r.l., Milan, Italie, représenté par la Cabinet Studio Rapisardi S.A., Italie.

Le Défendeur est Jean Louis Haddad, Paris, France.

2. Noms de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne les noms de domaine <toy-watch.fr> et <toywatch.fr> enregistrés le 1 mai 2008.

Le prestataire Internet est la société AMEN – Agence des Médias Numériques.

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant Cool S.r.l auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 11 février 2010.

En date du 12 février 2010, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 15 février 2010, l'Afnic a confirmé l'ensemble des données du litige, ainsi qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n'est pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 18 février 2010. Conformément à l'article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 10 mars 2010. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 9 mars 2010.

Le 19 mars 2010, le Centre nommait Martine Dehaut comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.

4. Les faits

Le Requérant est une société de droit italien, ayant notamment pour activité la commercialisation de montres sous la marque TOYWATCH. L'apparition de cette marque sur le marché, d'abord américain puis européen, est semble-t-il assez récente (quelques années). Cette marque connaît apparemment un développement rapide et jouit d'une notoriété croissante, si l'on en juge par les éléments fournis par le mandataire du Requérant.

Le Requérant est titulaire de divers droits de marque, dont :

- la marque communautaire TOYWATCH nº 8600157 déposée le 7 octobre 2009 et enregistrée le 1 mars 2010 en liaison notamment avec des instruments chronométriques;

- la marque internationale TOYWATCH nº 887 013 A déposée le 16 février 2006, visant notamment des montres-bracelets, et en vigueur dans l'Union européenne.

Le Requérant a également réservé les noms de domaine <toy-watch.it>, <toy-watch.eu>, et <toy-watch.us>.

Les noms de domaine litigieux ont été réservés par le Monsieur Jean Louis Haddad le 1 mai 2008. Aucune information n'est disponible, dans le dossier soumis à l'Expert et notamment dans la réponse apportée à la demande, sur les activités économiques du Défendeur.

Le 6 octobre 2009, le Défendeur a adressé un courriel au Requérant, dont le contenu est exactement le suivant : “Madame, Monsieur, je vous informe que je suis propriétaire des noms de domaine en France de (<toy-watch.fr>) et (<toywatch.fr>), ces deux noms de domaine sont à vendre! Je ne vous cache pas que plusieurs sociétés françaises sont intéressées. Dans cette attente”.

Le 9 octobre, le Requérant a adressé un courrier de mise en demeure au Défendeur, par l'intermédiaire de son mandataire, en l'intimant de cesser tout usage des noms de domaines incriminés, et de procéder à leur transfert à son profit.

Le 15 octobre 2009, et par le biais de son conseil en France, le Requérant a demandé à l'unité d'enregistrement des noms de domaine litigieux, la société Amen, de mettre fin à l'accès aux services fournis au Défendeur pour les noms de domaine litigieux. La société Amen a semble-t-il donné suite à cette demande.

Le 20 octobre 2009, le Défendeur a réagi au courrier de mise en demeure en adressant un courriel d'injures au mandataire du Requérant, dont il est préférable de taire la teneur si ce n'est pour mentionner que le Défendeur y a précisé que les noms de domaine litigieux étaient à vendre pour un montant de 700.000 euros.

Le contenu des sites incriminés a évolué : préalablement à la mise en demeure adressée par le mandataire italien du Requérant, le Défendeur affichait en substance le message suivant sur la seule page hébergée : “TOYWATCH (avec reproduction à l'identique du logo associé à la marque) - TOYWATCH la montre 100% chinoise – Avis aux consommateurs, lorsque vous voulez acquérir une montre Toy Watch, sachez réellement ce que vous achetez. – La montre people Toy Watch : - lieu de fabrication : Chine 100% - matériaux : Chine 100% - mouvement Myiota : Chine 100% - Pour un coût total de fabrication de $1 à $15 (0,70€ à 11€)! - Bravo les peoples, vous arborez une montre 100% chinoise!”. Quelques jours après, le Défendeur a ajouté sur les pages hébergées sous les noms de domaine litigieux quelques reproductions des modèles de montres du Requérant.

Le 9 novembre 2009, le Requérant a déposé une demande contre le Défendeur auprès du Centre, afin d'obtenir le transfert à son profit des noms de domaine <toywatch.fr> et <toy-watch.fr> (Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034). Par décision du 13 janvier 2010, l'Expert unique saisi dans ce dossier a rejeté la plainte. Le raisonnement de cette décision peut être résumé comme suit :

- La marque communautaire du Requérant est postérieure à l'enregistrement des noms de domaine litigieux et il n'en est alors pas tenu compte;

- Le Requérant, la société italienne Cool SRL, n'est pas le titulaire inscrit de la marque internationale nº 887013. Au jour du dépôt de la demande, le titulaire de cet enregistrement est la société britannique Firstcove Technology Ltd. Certes, une demande d'inscription de cession au profit du Requérant a été formulée auprès du Bureau International de l'OMPI à Genève, mais celle-ci n'était pas effective lors du dépôt de la demande. Or, l'inscription de la cession est une condition sine qua non de son opposabilité aux tiers;

- Le Requérant n'a pas démontré que ses propres noms de domaine faisaient l'objet d'une exploitation commerciale (présentation et vente de ses produits sous la marque TOYWATCH). Or, le Requérant ne peut reprocher au Défendeur des actes de concurrence déloyale tirés de l'usage d'un terme identique ou similaire à des noms de domaine, si un usage de ceux-ci pour des produits identiques ou similaires, propre à générer un risque de confusion, n'est pas établi;

- Le Défendeur effectue “un usage non commercial détaché de toutes fins lucratives des noms de domaine litigieux”, et dont l'objectif est “d'informer les consommateurs sur la provenance et la fabrication des montres TOYWATCH. Au titre du principe à valeur constitutionnelle de la liberté d'expression, les juridictions françaises ont pu, à plusieurs reprises, estimer que des sites Internet pouvaient être destinés à dénoncer des pratiques sociales de sociétés dans le respect des droits d'autrui”.

A la suite de cette décision, le Requérant n'a pas saisi les tribunaux compétents.

Le 19 janvier 2010, suite au rejet de la demande, le Défendeur a adressé un nouveau courriel injurieux au mandataire italien du Requérant, tout en laissant la porte ouverte à une issue amiable, à savoir la vente des noms de domaine litigieux.

Enfin, le 11 février 2010, le Requérant a adressé une nouvelle demande au Centre, l'inscription de la marque internationale TOYWATCH nº 887013A ayant été enregistrée le 1 mars 2010.

5. Argumentation des parties

A titre liminaire, l'Expert relève que la qualité du français utilisé dans la demande est à bien des égards insuffisante (quelques parties étant toutefois rédigées correctement), ce qui témoigne d'un certain manque de respect vis-à-vis du Centre et de l'Expert. Et ce d'autant plus que le Requérant est assisté en l'espèce d'un mandataire (voir également Urban Outfitters, Inc contre Web Intelligence, Litige OMPI No. DFR2009-0037). Ceci sans préjudice de la qualité très incertaine du français du Défendeur, personne physique non assistée par un mandataire.

A. Requérant

Les arguments du Requérant peuvent être résumés comme suit :

A titre liminaire, le Requérant expose qu'il détient des droits sur l'élément objet des atteintes, de par l'enregistrement de marque internationale susmentionné, dont il est effectivement devenu le titulaire inscrit. De plus, le Requérant estime que sa marque jouit d'une forte notoriété, y compris en France.

Le Requérant indique par ailleurs que les divers noms de domaine réservés à son nom, et reprenant le terme “toy-watch”, renvoient notamment à des sites exploités en français, et sont exploités pour la vente de montres sous la marque TOYWATCH.

Sur la question de l'utilisation ou de l'enregistrement des noms de domaine en violation de ses droits ou des règles de concurrence, le Requérant émet une série d'arguments, présentés dans l'ordre suivant :

- Les noms de domaine litigieux sont très proches des marques antérieures du Requérant;

- “La reproduction de la marque appartenant à un tiers sans autorisation constitue une atteinte qui doit être sanctionnée et il appartenait au Défendeur, avant de procéder à l'enregistrement du nom de domaine, conformément à l'article 14.1(4) de la Charte de Nommage de l'AFNIC, de vérifier que cet enregistrement ne portait pas atteinte aux droits des tiers”;

- “Le terme “TOYWATCH” est distinctif et notoire, ce qui ne pouvait pas être ignoré par le Défendeur qui, de surcroît, n'a aucun droit, ni aucun intérêt légitime qui pourrait justifier la réservation des noms de domaine litigieux”;

- Les noms de domaine sont utilisés pour héberger un site qui, loin d'être assimilable à un simple contenu à caractère polémique et autorisés eu égard à la liberté d'expression, ne comporte que des informations dénigrantes et mensongères. De ce fait, la mauvaise foi du Défendeur est avérée.

- Le Requérant estime par ailleurs que la tentative de monnayage des noms de domaine litigieux, à l'initiative du Défendeur, confirme que ce dernier agit de mauvaise foi.

B. Défendeur

Dans sa réponse parvenue au Centre par courriel du 9 mars 2010, le Défendeur, fait valoir, en substance :

- Que lors de l'enregistrement des noms de domaine litigieux, la marque TOYWATCH du Requérant était totalement inconnue en France et de fait les produits TOYWATCH n'étaient pas distribués dans ce territoire;

- Qu'il n'utilise pas les noms de domaine litigieux pour concurrencer le Requérant; l'exploitation qui en est effectuée ne poursuit qu'un objectif d'information des consommateurs.

6. Discussion

L'Expert rappelle que, en application de l'article 1 du Règlement, une atteinte aux droits des tiers est constituée “lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”. En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment “une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.

L'Expert souligne que, en application de l'article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande “lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.

Cette demande présente une spécificité importante, dans la mesure où une décision a déjà été rendue, le 13 janvier 2010, par un autre Expert, concernant les mêmes parties et les mêmes noms de domaine. L'Expert doit dès lors déterminer, avant toute chose, l'incidence de la décision rendue dans le litige Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034 sur cette nouvelle procédure.

(i) Incidence de la décision rendue dans le Litige OMPI No. DFR2009-0034

Conformément à l'article 20(a) du Règlement, “l'Expert statue sur la demande au vu des écritures et des pièces déposées par les deux parties, dans le respect du présent règlement”.

Conformément à l'article 22 du Règlement, “(a) Hormis le cas réglementé à l'alinéa (b), une décision ordonnant la suppression ou la transmission du nom de domaine objet du litige est exécutée par l'Afnic une fois écoulé le délai de (20) jours civils à compter du jour de la communication de la version électronique de la décision aux parties et à l'Afnic. L'exécution de la décision reste soumise aux conditions de la Charte applicable.

(b) Au cas où le défendeur transmet à l'Afnic, dans ce délai de vingt (20) jour civils, un document attestant qu'un tribunal français a été saisi d'une procédure (…), l'Afnic suspend l'application de la décision jusqu'à ce qu'elle reçoive soit un document attestant que ladite procédure n'a plus lieu d'être; soit qu'une décision de justice ne soit intervenue dans les termes prévus au sein de la Charte applicable”.

En l'espèce, une décision a été rendue le 13 janvier 2010 dans le cadre de la procédure Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034 entre les mêmes parties, et concernant les mêmes noms de domaine. Aucun tribunal n'a été saisi par la suite, et dans les délais impartis, d'une demande concernant le même objet, de sorte que cette décision est devenue ferme et exécutoire.

L'Expert aurait souhaité que les parties développent plus profondément l'argumentation concernant l'admissibilité de la nouvelle demande. Il s'agit d'une question essentielle, sur laquelle l'Expert doit se prononcer.

L'Expert constate que le Requérant a exposé a minima de nouveaux faits suite à la décision du 13 janvier 2010, à savoir, que la cession de marque au profit du Requérant était désormais inscrite au Registre internationale des marques et que le mandataire avait reçu de nouvelles communications du Défendeur.

En l'absence de règle spécifique, au sein du Règlement, sur l'autorité attachée à une décision technique et sur la possibilité pour la partie perdante de redéposer une demande ayant le même objet, l'Expert doit en premier lieu déterminer les règles de droit qui doivent guider son appréciation.

L'article 1351 du code civil stipule que “l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité”. Autrement dit, l'effet négatif de l'autorité de la chose jugée implique qu'est en principe irrecevable toute nouvelle demande, à la condition de la triple identité de parties, d'objet et de cause.

L'interprétation de cette disposition fait l'objet d'une jurisprudence abondante. Cela étant, l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux jugements et, entre les parties, aux transactions et aux sentences arbitrales. Or, les décisions rendues dans le cadre du Règlement PARL sont de nature technique et ne peuvent être assimilées à des jugements ou à des sentences arbitrales. Néanmoins, la jurisprudence développée par les tribunaux français peut à tout le moins offrir un cadre de réflexion à l'Expert, dans la présente affaire.

De même que peut guider l'Expert la jurisprudence développée dans le cadre des décisions rendues dans les procédures UDRP, également sous l'hospice du Centre. De nombreuses décisions ont été rendues par les Experts sur la question du “re-filing” (nouveau dépôt de plainte). De fait, dans une décision rendue dans le cadre de la procédure alternative de résolution de conflit applicable aux noms de domaines de premier niveau de la Confédération Helvétique (.CH), l'expert saisi a décidé d'appliquer, par analogie, les principes dégagés par la jurisprudence UDRP sur la question du “refiling” (Attilio Meyer AG v. Claro S.C.R.L., Litige OMPI No. DCH2008-0030).

Les décisions rendues dans le cadre des procédures UDRP considèrent que le dépôt d'une nouvelle plainte identique doit être en principe rejeté, et considéré comme inadmissible, sauf dans des circonstances exceptionnelles et très limitées : en effet il appartient au Requérant, lorsqu'il décide d'introduire une nouvelle plainte, de s'assurer que tous les éléments nécessaires à son admissibilité sont réunis (voir à cet égard la décision de principe rendue dans l'affaire Grove Broadcasting co. Ltd v. Telesystems Communications Limited, Litige OMPI No. D2000-0703, pierre angulaire de la doctrine du “re-filing” dans les procédures UDRP).

Parmi les éléments qui permettent d'admettre la recevabilité d'un nouveau dépôt de plainte, les commissions administratives retiennent normalement l'apparition de faits nouveaux, postérieurs à la première plainte, et susceptibles d'avoir une incidence sur la décision de la commission administrative. Ainsi par exemple, dans l'affaire Alpine Entertainment Group Inc v. Walter Alvarez, Litige OMPI No. D2007-1082, les trois experts saisis ont estimé que la circonstance selon laquelle le droit de marque du requérant, qui n'était pas enregistré lors du dépôt de la première plainte, l'avait été depuis, constituait un élément nouveau susceptible d'avoir une incidence notable sur le résultat de la plainte. Et la décision d'ajouter que “cette nouvelle preuve n'existait pas lors de la décision précédente et n'a dès lors pas pu être prise en compte par la commission administrative en liaison avec son appréciation du premier critère des Principes Directeurs. La commission administrative estime dès lors que le nouveau dépôt de plainte devrait être admis par la présente commission administrative” (traduit de l'anglais).

En l'espèce, les parties sont identiques, ainsi que l'objet du litige, à savoir une demande de transfert des noms de domaine litigieux au profit du Requérant. Quant à la cause, son identité est à tout le moins partielle : en effet, le Requérant estime que l'usage ou l'enregistrement des noms de domaine contestés portent atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en droit français ou communautaire. Or, les éléments fournis à l'appui de cette argumentation sont strictement identiques à ceux sur lesquels l'expert saisi dans l'affaire Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034 s'est déjà prononcé.

L'élément nouveau sur lequel se fonde en partie la nouvelle demande est la cession au bénéfice du Requérant de la marque internationale TOYWATCH produisant ses effets dans l'Union européenne, qui est désormais inscrite au Registre international et qui dès lors est opposable aux tiers. L'Expert estime, par analogie avec l'opinion exprimée dans l'affaire Alpine Entertainment Group Inc v. Walter Alvarez, Litige OMPI No. D2007-1082, que cette circonstance constitue un fait nouveau, intervenu postérieurement au dépôt de la première demande, et susceptible d'avoir une incidence sur l'évaluation de la recevabilité de la demande.

L'Expert considère dès lors que la demande DFR2010-0005 doit être examinée au fond, en application des articles 1 et 20(c) du Règlement. Cette opinion est confortée par le fait que, dans sa décision du 13 janvier 2010, l'expert saisi dans l'affaire Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034 semble laisser la porte ouverte au dépôt d'une nouvelle demande; “au jour du dépôt de la plainte, le Requérant ne peut valablement opposer de droits aux tiers sur les marques internationales TOYWATCH, objets de l'acte de cession (…). La situation aurait été différente si l'inscription effective au Registre des marques de la cession de la marque internationale TOYWATCH (…) avait été produite au jour du dépôt de la plainte”.

L'Expert précise toutefois que le bien fondé de cette nouvelle demande ne sera évalué qu'à la lumière de l'enregistrement de marque invoqué par le Requérant et des droits que celui-ci lui confèrent, à l'exclusion de toute autre circonstance, fait ou motif juridique allégué dans la nouvelle demande. Et ce dans la limite des opinions et évaluations déjà formulées par l'Expert saisi dans l'affaire Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034.

En effet, ainsi qu'il a été constaté dans l'affaire Attilio Meyer AG v. Claro S.C.R.L., Litige OMPI No. DCH2008-0030 susmentionnée, il est important que l'Expert nouvellement saisi accepte les constatations de la décision précédente, et ce afin d'éviter que des plaintes ne soient systématiquement redéposées jusqu'à ce que la partie intéressée obtienne satisfaction.

En particulier, l'expert n'examinera pas si l'enregistrement ou l'usage des noms de domaine litigieux porte atteinte aux règles de la concurrence ou du comportement loyal en droit français ou communautaire. En effet, cette question a déjà été tranchée par l'expert saisi dans l'affaire Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034 sur la base des mêmes faits et moyens de droit.

(ii) Droits du requérant sur le nom de domaine

Comme indiqué lors de l'exposé des faits, le Requérant est bien le titulaire inscrit de la marque internationale TOYWATCH nº 887 013, déposée antérieurement à la réservation des noms de domaine litigieux, produisant ses effets dans l'Union européenne et visant divers produits dont les montres-bracelet.

(iii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

Pour les motifs exposés au point (i) ci-dessus, l'Expert va uniquement s'attacher à déterminer si l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine litigieux porte atteinte à la marque internationale TOYWATCH nº 887013 du Requérant. Et ce dans les limites des opinions et constatations effectuées dans la décision rendue dans l'affaire Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034.

En droit communautaire, applicable en l'espèce, l'existence d'une atteinte à un droit de marque est généralement subordonnée à la reconnaissance d'un risque de confusion. Le risque de confusion s'apprécie au regard de la similitude des signes comparés, en tenant compte de leur caractère distinctif intrinsèque ou acquis par l'usage, et de la similitude des produits et services couverts par les marques. A titre exceptionnel, une protection accrue est conférée à celles des marques jouissant d'une renommée (voir en ce sens les dispositions des articles 8.1 (b) et 8.5 du règlement communautaire sur la marque communautaire, Règlement (CE) Nº40/94 du Conseil).

Il existe une similitude évidente entre la marque du Requérant, constituée du vocable TOYWATCH associé à des éléments figuratifs, et les noms de domaine <toywatch.fr> et <toy-watch.fr>. Il n'est pas nécessaire de s'attarder sur ce point.

Concernant par ailleurs l'utilisation des noms de domaine litigieux en liaison avec des produits et services identiques ou similaires à ceux identifiés par la marque antérieure, la décision rendue dans l'affaire Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034 l'expert s'est prononcé comme suit :

En premier lieu, l'expert a jugé que le Défendeur n'effectuait pas un usage commercial des noms de domaine litigieux. Le contenu des sites Internet incriminés n'a pas évolué depuis le dépôt de la première demande, et dans ces conditions il n'y a pas lieu de se prononcer sur une éventuelle identité ou similitude de produits ou services.

En second lieu, l'expert saisi lors de la première demande a jugé que le Défendeur effectuait un usage des noms de domaine à titre d'information, non susceptible d'être qualifié d'acte de contrefaçon compte tenu de la prévalence du droit à la libre expression conformément à la jurisprudence française. Là encore, en l'absence de toute évolution substantielle du contenu du site incriminé depuis le dépôt de la première demande, l'Expert s'interdit de revenir sur les appréciations portées dans la première décision.

Certes, le Requérant indique dans sa demande que les informations présentées dans les sites litigieux sont fallacieuses; notamment sur l'origine des mouvements utilisés pour les montres TOYWATCH (qui proviendraient du Japon et non de Chine), et sur le coût de fabrication des montres. Cet argument est étayé au moyen d'un extrait du site Internet de la société japonaise Myiota, mais en tout état de cause aurait pu et dû être invoqué dans le cadre de la première demande (il semblerait que cet argument ait déjà été avancé et prouvé dans le cadre de l'affaire Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034, et que l'expert alors saisi en avait pris connaissance lors de son appréciation). Il ne s'agit pas d'un élément nouveau, intervenu après le dépôt de la première demande et susceptible d'être pris en compte, puisqu'en effet le contenu du site du Défendeur n'a pas connu d'altération significative.

Dès lors, l'Expert ne peut que constater que les conditions d'une atteinte à la marque du Requérant ne sont pas réunies.

En résumé, le dépôt d'une nouvelle demande impliquant les mêmes parties et ayant pour objet une demande de transfert des mêmes noms de domaine dans le cadre d'une procédure PARL, ne peut être admise que dans ces circonstances limitées, et notamment si le Requérant est à même de faire valoir des faits nouveaux, intervenus postérieurement au dépôt de la première demande, et susceptibles d'avoir une incidence directe sur l'évaluation de son bien fondé. Tel est le cas lorsque le Requérant devient, suite au dépôt d'une première demande, le titulaire inscrit d'un droit de marque susceptible d'être l'objet d'une atteinte. Tel n'est pas le cas, en revanche, d'un argument qui aurait pu être développé dès le dépôt de la première demande, comme en l'espèce le caractère fallacieux des affirmations du Défendeur sur le site incriminé.

En tout état de cause, l'Expert saisi dans le cadre d'une nouvelle demande ne peut aucun cas être assimilé à une instance d'appel, et ne peut dès lors pas approuver, censurer ou modifier les constatations et opinions exprimées dans la première décision, pour autant qu'elles concernent l'interprétation des mêmes faits et des mêmes dispositions juridiques.

En l'espèce, quand bien même les signes comparés sont très proches, l'Expert est lié par les conclusions de la décision rendue dans l'affaire Cool S.r.l contre Jean Louis Haddad, Litige OMPI No. DFR2009-0034, aux termes desquelles il a été constaté que le Défendeur effectuait un usage non commercial des noms de domaine litigieux, en usant du droit à valeur constitutionnelle à la liberté d'expression, afin d'informer les consommateurs sur la provenance et la fabrication des montres TOYWATCH.

Dans ces conditions, la demande doit être rejetée.

Naturellement toutefois, le Requérant reste libre s'il estime opportun de saisir les tribunaux français compétents. Ceux-ci n'étant en tout état de cause pas liés par les décisions prises dans le cadre des procédures PARL.

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne le rejet de la demande.


Martine Dehaut
Expert

Le 2 avril 2010