Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

Pierre & Vacances Marques Sas c. Monsieur Boubaz Mohamed

Litige No. DMA2009-0001

1. Les Parties

La requérante est Pierres & Vacances Marques SAS, ayant son siège à Paris, France, représentée par Melbourne IT Digital Brand Services AB, Stockholm, Suède.

Le défendeur est Monsieur Boubaz Mohamed, domicilié à Asnières sur seine, France.

2. Nom de domaine et Prestataire de service internet

Le litige concerne le nom de domaine <pierreetvacances.ma>.

Le prestataire de service internet est : shelly-co ayant son siège à Harhoura Temara (Maroc).

3. Rappel de la Procédure

Une demande a été déposée par la requérante auprès du Centre d'Arbitrage et de Médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”), le 6 juillet 2009 par courrier électronique et le 7 juillet 2009 par courrier postal.

Le 8 juillet 2009, le Centre a adressé à l'Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications (ci-après l'“ANRT”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et le gel des opérations.

Le 10 juillet 2009, l'ANRT a confirmé l'ensemble des données du litige et aussi qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige, n'est pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du .ma (ci-après le “Règlement”) adopté le 1er avril 2007 en conformité avec la Charte de nommage du .ma adopté par l'ANRT.

Conformément à l'article 15(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la procédure administrative, a été adressée au défendeur le 22 juillet 2009.

Conformément à l'article 16(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse étant le 12 août 2009, le défendeur a fait parvenir une réponse le 14 juillet 2009.

Le 12 août 2009, le Centre a notifié au défendeur qu'il n'avait pas respecté le délai indiqué dans la notification de la demande d'ouverture de la procédure alternative de résolution du litige pour présenter sa réponse dans le délai du 11 août 2009.

Le 12 août 2009, le défendeur a répondu en notifiant cette réponse au Centre et à la requérante, en affirmant que la communication a été adressée à toutes les parties y compris le Centre par e-mail du 14 juillet 2009.

Le 13 août 2009 par e-mail adressé aux parties, le Centre a précisé au défendeur qu'il considère donc la communication du 14 juillet 2009 comme la réponse complète et définitive du défendeur.

Le 19 août 2009, le Centre nommait M. Mehdi Salmouni-Zerhouni comme Expert dans le présent litige.

L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance conformément à l'article 5 du Règlement.

4. Les Faits

La Société Pierres & Vacances Marques SAS déclare faire partie du groupe Pierres & Vacances Marques SAS qui intervient dans le domaine des résidences de vacances en France, mais aussi en Europe, Tunisie et au Maroc où elle possède une sélection de résidences.

La requérante affirme que la marque PIERRE ET VACANCES est une marque connue du groupe, déposée par Pierres & Vacances Marques SAS sous le N°446103 le 29/05/1979 dans les classes 35, 36, 37, 39 et 42.

La requérante déclare qu'elle est également titulaire du nom de domaine suivant : <pierreetvacances.com>. Comme elle est aussi titulaire de plus de 200 autres noms de domaine <pierreetvacances> sous divers TLD.

De son côté, le défendeur déclare avoir enregistré le nom de domaine <pierreetvacances.ma> le 22 avril 2008. Il reconnaît expressément être le véritable titulaire du nom de domaine litigieux depuis cette date.

5. Les arguments des parties

A. Ceux de la requérante

Dans sa demande du 6 juillet 2009, la requérante articule ses moyens de fait et de droit autour des trois grands principes de l'article 2(a) du Règlement c'est-à-dire l'identité ou ressemblance du nom de domaine litigieux avec une marque de fabrique, de commerce ou de service du requérant, l'absence de droits ou d'intérêt légitime du défendeur, un enregistrement ou utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

1. L'identité ou ressemblance (similitude) au point de prêter à confusion entre le nom de domaine et une marque sur laquelle la requérante a des droits.

La requérante expose qu'elle est titulaire de la marque PIERRE ET VACANCES N°446103 du 29 mai 1979 revendiquant le Maroc et qu'elle est titulaire de plus de 200 noms de domaine. Elle indique que le nom de domaine <pierreetvacances.ma> a été enregistré le 22 avril 2008, soit plus de 20 ans après l'enregistrement de la marque N°446103 du 29 mai 1979 revendiquant le Maroc.

Elle précise que le nom de domaine <pierreetvacances.ma> est identique à la marque internationale PIERRE ET VACANCES.

L'adjonction de l'extension “.ma” du nom de domaine du premier niveau TLD n'a aucun impact sur l'impression globale de la partie dominante du nom de domaine et par conséquent n'est pas pertinente pour déterminer la similitude prêtant à confusion entre la marque déposée et le nom de domaine.

La requérante soutient qu'en raison de la notoriété de la marque PIERRE ET VACANCES déposée, le risque de confusion est élevé, que le public perçoive le nom du domaine du défendeur comme un nom de domaine appartenant à la requérante ou ayant une certaine relation commerciale avec la requérante.

Elle conclut que la requérante est la détentrice de la célèbre marque PIERRE ET VACANCES. Le nom de domaine litigieux est identique à la marque déposée PIERRE ET VACANCES de la requérante enregistrée plus de 20 ans avant la date de l'enregistrement du nom de domaine par le défendeur le 22 avril 2008.

2. Le défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache.

La requérante soutient que le défendeur ne possède aucune marque déposée enregistrée ou aucun nom de marque correspondant au nom de domaine <pierreetvacances.ma>.

La requérante cite une décision rendue par la commission administrative selon laquelle “le défendeur n'est pas lié aux noms de domaine en question, que ce soit par son nom ou son activité”, Chinatrust Commercial Bank Ltd et Chinatrust Bank (U.S.A) v. China Holding Company, Incorporated, Litige OMPI No. D2001-0826, pour justifier l'absence d'intérêt légitime.

La requérante soutient qu'aucune licence ou autorisation d'aucune sorte d'utiliser la marque PIERRE ET VACANCES n'a été donnée par la requérante au défendeur. Elle cite une décision de la commission administrative Guerlain SA v. Peikang, Litige OMPI No. D2000-0055, qui a déclaré que en l'absence d'une licence ou d'une autorisation de la part du requérant d'utiliser l'une de ses marques déposées ou de faire une demande ou d'utiliser un nom de domaine comprenant ses marques, il est clair que le défendeur ne peut pas prétendre faire un usage réel ou de bonne foi ou un usage légitime des noms de domaine”.

La requérante précise que le défendeur n'utilise pas le nom de domaine en relation avec une offre de biens et services de bonne foi. Il n'a pas prouvé de préparatifs justifiant son utilisation du nom de domaine. A cette fin, ce nom de domaine litigieux ne correspond pas depuis son enregistrement à un site web actif.

La requérante soutient que le défendeur était au courant des projets de la requérante de s'implanter au Maroc au moment de l'enregistrement. C'est la notoriété de la marque déposée qui a incité le défendeur à enregistrer le nom de domaine.

En conséquence, le défendeur n'a aucun droit ni intérêt légitime à disposer du nom de domaine litigieux.

3. Le nom de domaine a été enregistré ou utilisé de mauvaise foi.

La requérante soutient entre autre que le défendeur avait certainement connaissance de la réputation de la marque déposée PIERRE ET VACANCES au moment de l'enregistrement de son nom de domaine. Ces circonstances suggèrent que le nom de domaine a été enregistré de mauvaise foi.

La requérante rappelle qu'elle avait adressé le 24 février 2009 une lettre en anglais, injonction de mettre fin à une pratique illégale ou déloyale en précisant que l'utilisation de PIERRE ET VACANCES dans le nom de domaine constitue une violation des droits de la marque détenue par la requérante et en exigeant le transfert immédiat du nom de domaine. Cette lettre est restée sans réponse.

Un rappel a été fait par lettre du 11 mars 2009 par courrier recommandé.

Le 8 avril 2009, la requérante a envoyé une lettre au défendeur. Ce dernier a répondu le 17 avril 2009 en affirmant qu'il était le propriétaire du nom de domaine.

Le 20 avril 2009, la requérante a adressé une réponse au défendeur restée sans suite.

La requérante précise que le nom de domaine n'est pas lié à un site web actif et le défendeur n'a pas encore utilisé le nom de domaine.

La requérante cite la décision Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003 où il est précisé que la commission peut tirer les conclusions sur l'utilisation de mauvaise foi du nom de domaine en raison des circonstances lors de l'enregistrement et vice versa.

B. Ceux du défendeur

Le 14 juillet 2009, le défendeur a fait parvenir au Centre et à la requérante par e-mail une réponse dans laquelle il affirme “je suis totalement d'accord pour une alternative amiable pour vous éviter d'entrer dans des procédures judiciaires interminables avec perte de temps et d'argent”.

Le défendeur précise que le nom de domaine était disponible et il l'a réservé et acheté officiellement chez une unité d'enregistrement compétent avec l'idée de créer un site internet de l'immobilier avec les noms génériques : la pierre et les vacances.

Il a acheté tout simplement le nom de domaine qui était disponible en affirmant le principe selon lequel le premier arrivé, le premier servi.

Le défendeur conclut en précisant qu'il est disponible pour une solution amiable en demandant à la requérante une proposition financière raisonnable et il transférera immédiatement le nom de domaine en question en abandonnant son projet avec ce nom (voir ultérieurement).

6. Discussion et Conclusions

L'article 2 du Règlement prévoit qu'il appartient au requérant de prouver contre le défendeur cumulativement que :

- le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de fabrique, de commerce ou de service sur laquelle le requérant a des droits protégés au Maroc;

- le défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache;

- et le nom de domaine a été enregistré ou est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, il y a lieu de s'attacher à vérifier que chacune de ces conditions est bien remplie par la requérante.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La requérante a établi détenir des droits à titre de marque sur la dénomination PIERRE ET VACANCES en particulier sur le territoire marocain par le dépôt international N°446103 du 29 mai 1979 revendiquant et désignant le Maroc.

L'Expert constate qu'il ne saurait être contesté que le nom de domaine du défendeur <pierreetvacances.ma> reproduit à l'identique la marque PIERRE ET VACANCES de la requérante.

L'Expert considère en conséquence que le critère posé à l'article 2(a)(i) du Règlement est rempli.

B. Droit et intérêt légitime

L'Expert constate que le défendeur ne prétend pas détenir de droit de marque sur la dénomination PIERRE ET VACANCES ou de licence lui permettant d'utiliser cette dénomination.

Le défendeur n'a pas fait valoir un usage antérieur de la dénomination PIERRE ET VACANCES.

L'Expert considère, au vu des arguments présentés et également des conclusions de l'Expert relatives au paragraphe sur la mauvaise foi, que la condition posée à l'article 2(a)(ii) du Règlement à savoir le défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime, est remplie.

C. Enregistrement ou usage de mauvaise foi

Dans son e-mail du 14 juillet 2009, le défendeur écrit “Faites moi une proposition financière et je transfère immédiatement le nom de domaine en question en abandonnant mon projet avec ce nom”. La requérante avait proposé le prix de 50€ couvrant les frais d'enregistrement.

Dans son e-mail du 12 août 2009, le défendeur était “stupéfié devant leur proposition de 50 €, l'indignation totale devant cette offre venant d'une entreprise qui brasse des millions de bénéfices par an”.

Il ressort de cette déclaration que le comportement du défendeur tombe sous le coup de l'article 2(b)(i) du Règlement qui précise “que la preuve de la mauvaise foi peut résulter des faits montrant que le défendeur a enregistré … le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d'une autre manière l'enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de fabrique, de commerce ou de service protégée au Maroc … à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que le défendeur peut prouver avoir déboursés en rapport direct avec ce nom de domaine”.

L'Expert considère que le dépôt du nom de domaine <pierreetvacances.ma> enregistré par le défendeur et non exploité, a été fait de mauvaise foi. Le défendeur ne pouvait ignorer l'existence de la société requérante, de ses activités et de sa marque PIERRE ET VACANCES.

Le fait qu'il soit indigné par la proposition de la requérante de payer 50 € pour les frais d'enregistrement laisse sous-entendre l'intention du défendeur d'avoir enregistré le nom de domaine litigieux pour le céder à un prix lui permettant de réaliser un bénéfice substantiel.

En conséquence de quoi, l'Expert retient que le critère posé à l'article 2(a)(iii) du Règlement est rempli conformément à l'article 2(b)(i) du Règlement.

Conclusions

Vu la demande de la requérante déposée le 6 juillet 2009 et l'amendement du 14 juillet 2009;

Vu le dépôt international de la marque PIERRE ET VACANCES N°446103 du 29 mai 1979, renouvelé et valable jusqu'au 29 mai 2019 revendiquant le Maroc;

Vu le nom de domaine <pierreetvacances.ma> enregistré par le défendeur le 22 avril 2008 auprès du prestataire de service, la Société shelly-co à Temara Maroc;

Vu la communication du défendeur du 14 juillet 2009;

Vu la charte de nommage relative aux modalités de gestion administrative, technique et commerciale des noms de domaine internet “point ma” adoptée par l'ANTR;

Vu le Règlement sur la procédure alternative de résolution de litiges du .ma en vigueur au Maroc;

L'Expert décide :

(a) que le nom de domaine <pierreetvacances.ma> enregistré par Monsieur Mohamed Boubaz le 22 avril 2008 est identique ou du moins similaire au point de prêter à confusion avec la marque PIERRE ET VACANCES de la requérante;

(b) que Monsieur Mohamed Boubaz n'a aucun droit, ni intérêt légitime à disposer du nom de domaine <pierreetvacances.ma>;

(c) que le nom de domaine <pierreetvacances.ma> a été enregistré de mauvaise foi.

7. Décision

L'Expert ordonne que le nom de domaine <pierreetvacances.ma> soit transféré à la Société requérante Pierre & Vacances Marques SAS conformément à l'article 21(b) du Règlement.


M. Mehdi Salmouni-Zerhouni
Expert unique

Le 31 août 2009