Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

BACCARAT SA contre Alain Lim

Litige n° D2009-1446

1. Les parties

Le Requérant est BACCARAT SA, Baccarat, France, représenté par MEYER & Partenaires, France.

Le Défendeur est Alain Lim, Pontault Combault, France.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <baccarat-store.com>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Gandi SAS.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par BACCARAT SA auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 26 octobre 2009.

En date du 27 octobre 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SARL, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 27 octobre 2009, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 3 novembre 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 23 novembre 2009. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 24 novembre 2009, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

Le 24 novembre 2009, le Requérant à sollicité que la procédure soit suspendue pour une période de 20 jours afin de laisser aux parties le soin de négocier un accord de règlement à l'amiable. À la demande du Requérant, la période de suspension a été renouvelée à deux reprises. Le 17 février 2010, vu l'absence de règlement entre les parties, la procédure était ré-instituée.

En date du 24 février 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme Expert unique Nathalie Dreyfus. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

4. Les faits

Le Requérant est la société BACCARAT SA localisée à Baccarat.

Le Requérant est notamment titulaire des droits de marque suivants :

- marque française n°1523101 “vignette BACCARAT” protégée depuis le 29 décembre 1860 pour des produits désignés en classe 21 (renouvelée);

- marque française n°99787695 BACCARAT déposée le 16 avril 1999, dûment enregistrée et renouvelée pour des produits et services désignés en classes 8, 11, 14, 16, 21 et 34;

- marque communautaire n°001816859 BACCARAT déposée le 18 août 2000 et enregistrée le 24 octobre 2001 pour des produits désignés en classes 16 et 18.

Le Requérant a eu connaissance du nom de domaine <baccarat-store.com> réservé le 23 juin 2009.

Ce nom de domaine renvoie vers une page d'attente délivrée par l'unité d'enregistrement.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait acte tout d'abord de ses droits de marque sur le terme “Baccarat”, comme décrit précédemment.

Le Requérant souligne également le caractère notoire de la marque BACCARAT sur laquelle il détient des droits.

Le Requérant indique d'une part que le nom de domaine <baccarat-store.com> est similaire au point de prêter à confusion avec les enregistrements de la marque BACCARAT sur lesquels il détient des droits exclusifs.

Il considère d'autre part que le Défendeur ne dispose d'aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine <baccarat-store.com> dans la mesure, notamment, où il ne bénéficie d'aucun lien avec la société BACCARAT SA et qu'il ne s'est vu consentir aucune licence ou autorisation d'exploitation.

Le Requérant estime en outre que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur pour les motifs suivants :

- le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux simultanément avec plus de 57 autres noms de domaine reprenant une marque notoire et comprenant l'adjonction du terme “store” précédé d'un tiret;

- le Défendeur connaissait, de manière incontestable, le Requérant dans la mesure où il exerce son activité professionnelle dans les secteurs de la bijouterie et de l'horlogerie;

- le Défendeur n'a jamais répondu à la lettre de mise en demeure que le Requérant lui a adressé;

- le nom de domaine <baccarat-store.com> ne fait l'objet d'aucune exploitation.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a adressé aucune réponse au Centre dans le délai imparti et est en conséquence défaillant.

6. Discussion et conclusions

La Commission administrative nommée pour trancher le présent litige se cantonnera à l'application des Principes directeurs. Il s'agit donc de vérifier, pour prononcer ou refuser un transfert ou une annulation de nom de domaine, que les conditions exprimées par les Principes directeurs soient cumulativement réunies.

En vertu du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la procédure administrative n'est applicable qu'en ce qui concerne un litige relatif à une accusation d'enregistrement abusif d'un nom de domaine sur la base des critères suivants :

(i) Le nom de domaine enregistré par le Défendeur est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits;

(ii) Le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s'y attache;

(iii) Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi, dont le paragraphe 4(b) des Principes directeurs donne quelques exemples non limitatifs.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative considère tout d'abord que le Requérant a rapporté la preuve qu'il détenait des droits de marque antérieurs à l'enregistrement du nom de domaine <baccarat-store.com> mais également qu'il était titulaire de nombreux noms de domaine comprenant la marque BACCARAT.

La Commission administrative retient ensuite que le nom de domaine litigieux est une imitation de la marque BACCARAT. À ce titre, la Commission administrative constate qu'il a déjà été décidé à plusieurs reprises que l'incorporation d'une marque dans son intégralité peut-être suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou similaire à la marque enregistrée du requérant (AT & T Corp v. Gormally William, Litige OMPI No. D2005-0758; Quixtar Investments, Inc v. Dennis Hoffman, Litige OMPI No. D2000-0253).

S'agissant de l'adjonction du gTLD “.com”, la Commission administrative rappelle qu'il a également été établi dans plusieurs décisions UDRP que les extensions génériques de premier niveau ne sont pas un élément distinctif pris en considération lors de l'évaluation du risque de confusion entre la marque du Requérant et le nom de domaine litigieux (Accor SA c. jacoop.org, Litige OMPI No. D2007-1257).

Ainsi, l'ajout du gTLD “.com” n'est pas suffisant pour distinguer le nom de domaine de la marque du Requérant.

S'agissant enfin de l'ajout du terme générique “store” précédé d'un tiret, la Commission administrative estime que l'ajout de termes génériques à un nom de domaine est insuffisant pour créer une distinction avec la marque du requérant (Alstom v. FM Laughna, Litige OMPI No. D2007-1736 ; Groupe Auchan v. Jakub Kamma, Litige OMPI No. D2007-0565). En outre, le terme “store” désigne de manière générale, en langue française, un point de vente. Ainsi, l'adjonction de ce terme conduit non pas à minimiser le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque du Requérant, mais a contrario à le renforcer. Les internautes pourraient ainsi être amenés à croire que le nom de domaine appartient au Requérant ou tout du moins qu'il y est lié. Par ailleurs, il pourrait laisser croire à un point de vente de produits “Baccarat” sur l'Internet.

En conséquence, il est établi que le Défendeur a réservé un nom de domaine similaire à la marque BACCARAT au point d'entraîner un risque de confusion avec cette marque. La Commission administrative considère alors que la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Conformément aux Principes directeurs, il incombe au Requérant de prouver l'absence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur. Dans la mesure où il peut être parfois difficile d'apporter une preuve négative, il est généralement admis que le Requérant doit établir prima facie que le Défendeur n'a pas de droits ni d'intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux (Europages v. Société Cosmopolite Production, Litige OMPI No. D2009-0641; Crédit du Nord v. Monsieur Yohann Imbert Devreality (Devreality Informatique), Litige OMPI No. D2009-0537).

En l'espèce, la Commission administrative constate que le Requérant a établi que le Défendeur n'a ni droit, ni intérêt légitime. En effet, le nom de domaine litigieux n'est pas utilisé en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, pas plus qu'il n'en fait un usage non commercial légitime ou loyal.

Il est incontestable, au vu des preuves rapportées par le Requérant, que la marque BACCARAT jouit d'une notoriété mondiale. Ainsi, le Défendeur ne peut raisonnablement prétendre qu'il avait l'intention de développer une activité légitime en enregistrant un nom de domaine comprenant la marque notoire du Requérant accompagnée du terme “store”.

En outre, en rapportant la preuve que le Défendeur a enregistré, le même jour, plus de 57 autres noms de domaine reprenant une marque notoire associée au terme “store”, la Commission administrative ne peut que constater que ce dernier avait probablement en tête la marque du Requérant et visait le secteur du luxe dans lequel s'illustre ce dernier, lors de l'enregistrement du nom de domaine <baccarat-store.com>.

Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la deuxième condition du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Aux fins du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que la réalité de cet enregistrement et usage de mauvaise foi soit constatée par la Commission administrative, par les circonstances ci-après :

(i) les faits montrent que le titulaire du nom de domaine a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d'une autre manière l'enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que vous pouvez prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine ;

(ii) le titulaire du nom de domaine a enregistré le nom de domaine en vue d'empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et il est coutumier d'une telle pratique ;

(iii) le titulaire du nom de domaine a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d'un concurrent; ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine, le titulaire du nom de domaine a sciemment tenté d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation de son site ou espace Web ou d'un produit ou service qui y est proposé.

La Commission administrative retient que, compte tenu de la réputation de la marque BACCARAT, le Défendeur connaissait probablement l'existence de la marque du Requérant. La connaissance de la marque notoire comprise dans le nom de domaine litigieux, au moment de l'enregistrement du nom de domaine, est considérée comme étant un indice de mauvaise foi (Caisse d'Epargne I Pensions de Barcelona (“La Caixa”) c. Eric Adam, Litige OMPI No. D2006-0464 ; Lancôme Parfums et Beauté & Cie, L'Oréal, v. 10 ventes, Litige OMPI No. D2008-0226).

La Commission administrative constate en outre que le Défendeur a fait en sorte que ses coordonnées postales n'apparaissent pas sur les bases de données en ligne. Toutefois, et contrairement à ce que le Requérant énonce, son identité – nom et prénom – a toujours été rendue accessible.

La Commission administrative estime que l'absence de coordonnées postales, d'email, de numéro de téléphone et de fax du titulaire d'un nom de domaine a probablement eu pour objet de rendre les tentatives de prises de contact plus complexes, ce qui n'est pas en faveur du Défendeur.

Par ailleurs, le Requérant considère que le fait que le Défendeur n'a pas réclamé la lettre de mise en demeure qu'il lui a été adressée constitue un indice de mauvaise foi. Cet argument a en effet été retenu à plusieurs reprises par des experts dans les procédures UDRP (Bayerische Motoren Werke AG v. (This Domain is For Sale) Joshuathan Investments, Inc., Litige OMPI No. D2002-0787).

Selon le Requérant, le Défendeur exerce son activité professionnelle dans les secteurs de la bijouterie et de l'horlogerie. Il détient notamment deux enregistrements de marques françaises : n°09365742 STEEL IMPACT et n°09365714 STYLE ADDICT, toutes deux déposées le 11 mars 2009 en classes 9, 14 et 18. La classe 14 visant notamment la joaillerie et la bijouterie. Le Requérant soutient que le Défendeur est directeur général et gérant de la société GEMSTAR SAS, connue par l'intermédiaire de ses marques de bijoux: Phebus Créations et Didier Defond. Toutefois, le Requérant ne rapporte pas la preuve de ces allégations. En conséquence de quoi, ces allégations ne peuvent être retenues par la Commission administrative.

Au vu de tout ce qui précède, il ne fait aucun doute que le Défendeur avait connaissance du Requérant et de la marque BACCARAT, lors de l'enregistrement du nom de domaine <baccarat-store.com>.

La Commission administrative constate ensuite, comme le souligne le Requérant, que le nom de domaine litigieux redirige vers une page d'attente de l'unité d'enregistrement.

La Commission administrative considère qu'un tel usage peut être assimilé à une détention passive dès lors que le Défendeur n'utilise pas le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, pas plus qu'il n'en fait un usage non commercial légitime ou loyal.

A plusieurs reprises, des experts dans les procédures UDRP ont estimé que l'absence d'exploitation d'un nom de domaine ou l'inaction d'un titulaire peut dans certaines circonstances être considérée comme un usage de mauvaise foi (Malayan Banking Berhad c. Beauty, Sucess & Truth International, Litige OMPI No. D2008-1393; Intel Corporation c.The Pentium Group, Litige OMPI No. D2009-0273).

Il est enfin très peu probable que le Requérant soit en mesure, un jour, d'utiliser le nom de domaine de bonne foi.

La Commission administrative considère que le Requérant a apporté des preuves suffisantes prouvant l'enregistrement et l'usage de mauvaise foi. En conséquence, la troisième condition est remplie.

7. Décision

Conformément aux paragraphes 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <baccarat-store.com>.


Nathalie Dreyfus
Expert Unique

Le 8 mars 2010