WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Dailymotion SA contre Bros Gauthier

Litige n° D2009-1163

1. Les parties

Le requérant est Dailymotion SA, Paris, France, représenté par Karima Ben Abdelmalek, France.

Le défendeur est Bros Gauthier, Roubaix, France.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <dailyxmotion.com>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est OVH.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Dailymotion SA auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 1 septembre 2009.

En date du 2 septembre 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 2 septembre 2009, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige. Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 8 septembre 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 28 septembre 2009. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 28 septembre 2009.

En date du 8 octobre 2009, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Martine Dehaut. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

4. Les faits

- A l'appui de sa plainte, le Requérant invoque les droits de marques suivants :

- Marque française DAILYMOTION (verbale) No. 05 3 398 318 du 7 décembre 2005, au nom de Dailymotion SARL, sis 231 rue Saint Honoré, 75001 Paris;

- Marque internationale DAILYMOTION (verbale) No. 931 390 du 25 avril 2007, au nom de Dailymotion (société anonyme), sis 35 bis rue Greneta, F-75002 Paris.

- Le Requérant n'ayant développé aucune information dans la plainte sur ses activités et sur la notoriété de sa marque DAILYMOTION, et sur la manière dont il a pris connaissance du nom de domaine litigieux, l'Expert, comme il y est habilité, a accédé au site du Requérant, disponible à l'adresse “www.dailymotion.com”. L'Expert a constaté que ce site est dédié à l'hébergement et à la diffusion de vidéos. Dans la rubrique presse disponible sur ce site, un des communiqués daté du 28 avril 2009 mentionne ce qui suit :

- “Dailymotion network accueille 55 millions de visiteurs uniques en mars 2009, selon les derniers chiffres publiés par l'institut comScore Media Metrix. Dailymotion est l'un des deux seuls acteurs français à figurer dans les 50 premières audiences mondiales. (…)Disponible dans 18 versions locales donc chaque page d'accueil présente des contenus distincts, Dailymotion poursuit son développement international. Le nombre global de visiteurs uniques s'est accru de + 52,1 % entre mars 2008 et mars 2009 (source: comScore mars 2009). L'audience a progressé sur tous les continents avec une croissance de 49,6 % en Europe et 30 % aux Etats-Unis, par exemple. Dailymotion occupe désormais le 42ème rang des audiences internationales, confirme son appartenance au cercle fermé des 50 sites Internet les plus visités au monde et son statut de portail vidéo de référence (source: comScore mars 2009). En France, Dailymotion touche 1 internaute sur 3, soit 11,8 millions de visiteurs uniques en mars 2009. Dailymotion est le 2ème site de divertissement le plus visité par les internautes français (source: comScore mars 2009)”.

- Ces informations corroborent la renommée dont bénéficie Dailymotion SA, au sein des internautes.

Dans sa réponse, le défendeur indique quant à lui que le nom de domaine litigieux est exploité en liaison avec “un site de qualité proposant de la vidéo pornographique, des services de visiochat ainsi qu'un sexshop afin de fournir quotidiennement un service pour aider à la masturbation d'où dailyxmotion dont la traduction est entendue comme ‘mouvement x quotidien' à entendre comme ‘masturbation' par nos clients”. Ce site Internet est exploité en français.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Dans son exposé des moyens, le Requérant expose essentiellement ce qui suit :

- Sur la similitude du nom de domaine avec ses marques, le Requérant relève que “dailyxmotion.com ressemble en tous points à la marque et au nom de domaine dailymotion: seule la lettre “x” placée au milieu du nom de domaine litigieux fait la différence. Cette pratique consistant à remplacer les lettres d'un nom de domaine ou d'une marque protégée par d'autres lettres est connue sous le nom de typosquatting. Cette technique repose sur les éventuelles fautes de frappe des internautes”.

- Sur l'absence de droit ou d'intérêt légitime du Défendeur, le Requérant indique que “il ne semble en aucun cas que le Défendeur ait voulu à aucun moment, faire une utilisation de bonne foi de ce nom de domaine. L'usage de ce nom de domaine par le Défendeur est illégitime car il induit les utilisateurs de Dailymotion en erreur en exploitant leurs fautes de frappe. Il est injuste car il utilise des mots clés similaires à ceux utilisés par Dailymotion, comme ‘vidéo', ‘films', ‘streaming', ‘partage' qui servent à décrire toute l'activité de Dailymotion”.

- Sur l'enregistrement et l'utilisation de mauvaise foi, le Requérant précise que “le Défendeur essaie volontairement d'attirer les utilisateurs vers son site en utilisant leurs fautes de frappe; De plus, cette exploitation créée un risque de confusion dans l'esprit de l'utilisateur dans la mesure où les mots clés sont similaires à ceux utilisés pour le site Dailymotion (accessible à l'adresse “www.dailymotion.fr” et “www.dailymotion.com”).

B. Défendeur

En substance, le Défendeur a invoqué les arguments suivants dans sa réponse :

- Sur la similitude portant à confusion, entre les signes en présence, le Défendeur explique qu'il ne “conteste pas la propriété de la marque Dailymotion par le Requérant”, mais précise que “Dailymotion ne peut être entendu comme une marque sans signification type “google”, la traduction de l'anglais du terme dailymotion est “mouvement quotidien”. Le défendeur réfute par ailleurs toute pratique de typosquatting, dès lors que “la lettre X située entre daily et motion a un sens dans la mesure où elle définit le contenu du site et ne peut être considéré comme une faute d'orthographe no une lettre ajoutée mais comme un mot à part entière ayant un sens (…). Il est impossible de faire une faute de frappe transformant dailymotion en dailyxmotion dans la mesure où sur un clavier azerty ou qwerty le x et le m soit les lettres litigieuses sont à 15 cm de distance soit l'opposé”.

- Sur ses droits et intérêts légitimes, le défendeur indique, ainsi que rappelé dans l'exposé des faits, que dailyxmotion signifie “mouvement x quotidien” et constitue la désignation légitime d'un site pornographique destiné à l'aide à la masturbation. Le Défendeur précise qu'il ne crée pas de risque de confusion avec les marques du Requérant, compte tenu des différences “entre les ergonomies, couleurs, services entre les deux sites”.

- Sur sa prétendue mauvaise foi, le Défendeur rappelle qu'il n'y a pas de pratique de typosquatting en l'espèce, et que “le nom de domaine dailyxmotion a été choisi lors d'une blague. Le Défendeur discutant de la fréquence de la masturbation humaine a ainsi créé dailyxmotion traduit de l'anglais en “mouvement x quotidien” soit la masturbation journalière et a par la suite créé une multitude de services associés afin de rendre la masturbation quotidienne de ses clients plus agréable. Il n'a donc jamais été question de dailymotion lors de l'élaboration du produit”.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d'apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :

- Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits,

- Le Défendeur ne dispose d'aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache,

- Le nom de domaine est enregistré et utilisé de mauvaise foi.

La Commission administrative examine ci-après le bien fondé de l'argumentation du Requérant sur ces trois points.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

A titre liminaire, l'expert relève que les marques du Requérant sont enregistrées, l'une au nom d'une SARL Dailymotion, l'autre au nom d'une SA Dailymotion. Chacune a une adresse distincte, dont de fait aucune ne coïncide avec l'adresse de la société Dailymotion telle que figurant dans la plainte. C'est du moins ce qui ressort des copies des marques versées au dossier. En principe, dans de telles circonstances, l'Expert estime qu'il est approprié de demander des explications à la partie concernée. Néanmoins, en l'espèce, le défendeur a expressément indiqué qu'il ne conteste pas les droits du Requérant sur la marque DAILYMOTION, de sorte que l'Expert retient que les marques invoquées sont effectivement celles du Requérant (ce que semble confirmer, par ailleurs, une vérification du registre du commerce effectuée en ligne par l'Expert).

L'Expert écarte toute pratique de typosquatting en l'espèce. Ainsi que le souligne le Défendeur, le typosquatting est une forme de cybersquatting qui se fonde sur les fautes de frappe commises par les internautes au moment de saisir une adresse sur un navigateur de l'Internet. Or, s'agissant de “dailyxmotion”:

- Il n'y a pas eu substitution d'une lettre par une autre, mais ajout d'une lettre supplémentaire, à savoir un “x”, et

- Cette lettre supplémentaire est très éloignée, sur le clavier azerty ou qwerty, des lettres qui la précèdent et la suivent immédiatement, à savoir le “y”et le “m”.

Néanmoins, les signes DAILYMOTION - marques antérieures - et <dailyxmotion.com>, nom de domaine litigieux de second niveau - présentent, aux yeux de l'Expert, une similitude propre à créer une confusion. En effet ces deux signes, relativement longs (11 et 12 lettres), ne se distinguent que par l'insertion, dans le nom de domaine litigieux, de la lettre “x” placée au milieu et partant faiblement perceptive visuellement. Cette importante similitude visuelle est renforcée sur le plan sémantique, dans la mesure où à tout le moins une partie des internautes est susceptible d'isoler les termes “daily/motion” et “daily/x/motion”, respectivement.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou l'intérêt légitime du défendeur sur le nom de domaine telles que :

(i) avant d'avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet,

(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services, ou

(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

L'Expert est très réservé sur les arguments exposés par le défendeur pour établir l'offre de bonne foi de produits et services sous le nom de domaine litigieux. Il n'est pas question de remettre en cause le contenu du site hébergé, mais le choix ayant conduit à l'adoption du nom de domaine litigieux. En effet, la plupart des internautes français ou francophones sont probablement dans l'incapacité de comprendre la signification de l'expression “daily motion”, ou “daily x motion”, et surtout d'effectuer un lien avec le concept qui justifierait l'adoption du nom de domaine litigieux, à savoir la “masturbation quotidienne”. De fait, un tel message n'est nullement explicite sur la page d'accueil du site du Défendeur. Par ailleurs, le Défendeur n'a fait valoir aucun droit sur l'élément objet de la plainte.

Dans ces conditions, l'Expert considère que les arguments du Défendeur sur ses droits ou intérêts légitimes ne sont pas convaincants.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l'une des circonstances suivantes est susceptible d'établir que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi :

(i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d'une autre manière l'enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu'il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine,

(ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d'empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d'une telle pratique,

(iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d'un concurrent, ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation de son espace ou espace Web ou d'un produit ou service qui y est proposé.

En enregistrant et en exploitant un nom de domaine très similaire à la marque DAILYMOTION, le Défendeur a certainement entendu profiter du pouvoir attractif de cette dernière pour obtenir le plus grand nombre de visiteurs possibles sur son site. En effet, ainsi que rappelé dans l'exposé des faits, la marque DAILYMOTION jouit en France et dans d'autres territoires d'une notoriété importante, étant un des sites Internet les plus visités dans le monde (parmi les 50 sites les plus visités, début 2009). De fait, contrairement à ce qu'indique le Défendeur, l'Expert ne peut pas concevoir que celui-ci, en sa qualité de professionnel de l'Internet, n'ait jamais pensé au site bien connu du Requérant lors de l'enregistrement et de l'activation du nom de domaine litigieux. A cet égard, ses explications sur la signification de l'expression “daily x motion”, même si elles paraissent cohérentes, échappent à la majorité des internautes et n'ont très certainement pas guidé le choix du Défendeur lors de l'adoption du nom de domaine litigieux.

En définitive, l'enregistrement et l'usage du nom de domaine litigieux constituent des actes de parasitisme susceptibles de détourner une partie du trafic des Internautes, et de dilution par ternissement, susceptibles de dégrader l'image du site populaire <dailymotion.com>.

Ces agissements caractérisent la mauvaise foi du Défendeur, dans l'enregistrement et l'usage du nom de domaine <dailyxmotion.com>, et justifient son transfert au profit du Requérant.

Les décisions du Centre ayant retenu la mauvaise foi dans de telles circonstances sont nombreuses et constantes en ce sens. La Commission invitera les parties à se référer notamment à Guildinvest contre Krys, Litige OMPI No. D2003-0592; Tour de Charme, S.A.R.L., Sony Music, Entertainment (Holland) B.V. et Mademoiselle Patricia Kaas contre Stars en Direct, Litige OMPI No. D2002-O733; Mondial Assistance SAS contre Visiotex S.A., Litige OMPI No. D2003-0107; Endemol Développement c. Julien Houlier Litige OMPI No. D2002-1048.

7. Décision

Pour les motifs exposés ci-dessus, et en application du paragraphe 4(i) des Principes Directeurs, et du paragraphe 15 des Règles, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine <dailyxmotion.com> au profit du Requérant.


Martine Dehaut
Expert Unique

Le 20 octobre 2009