Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Les Editions Neressis contre Rochdi Kamel

Litige n° D2009-0424

1. Les parties

La requérante est Les Editions Neressis, Paris, France, représenté par le Cabinet Bertrand & Associés, France.

Le défendeur est Rochdi Kamel, Hammamet, Tunisie.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <tunisie-pap.com>.

L'unité d'enregistrement, auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré, est 1&1 Internet AG.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Les Editions Neressis auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 1er avril 2009.

En date du 2 avril 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, 1&1 Internet AG, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la requérante. Le 3 avril 2009, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 8 avril 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 28 avril 2009. Le défendeur a fait parvenir sa réponse complète et définitive le 27 avril 2009.

En date du 13 mai 2009, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Christophe Imhoos. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

Entretemps, en date du 23 avril 2009 a requérante a déposé des documents additionnels en mains du Centre qui a en transmis copie au défendeur le même jour tout en indiquant aux parties qu'il appartenait à la Commission administrative, une fois nommée, de décider sur l'admissibilité desdits documents, voire de tout acte d'instruction complémentaire.

4. Les faits

La société requérante a notamment pour activité l'édition depuis 1975de la revue hebdomadaire “De particulier a particulier”. Elle est titulaire des marques DE PARTICULIER A PARTICULIER, marque française semi-figurative N° 073503106déposée à l'INPI le 25 mai 2007 pour viser les classes 16, 35, 38et 41de la classification internationale, et P.A.P. DE PARTICULIER A PARTICULIER, marque française verbale N° 1518035déposée à l'INPI le 17 mai 1988 et régulièrement renouvelée pour viser les classes 16, 35et 41de la classification internationale (Pièces N° 3et 4de la plainte). Depuis 1996, la requérante exploite, sous le nom de domaine <pap.fr> un site internet où sont diffusées, dans une organisation différente, les annonces publiées dans le journal (Pièces N° 9et 20 de la plainte).

Le défendeur a procédé à l'enregistrement du nom de domaine litigieux auprès de 1&1 Internet AG en date du 10octobre2007 (Pièce N° 1de la plainte). Le défendeur exploite ledit nom de domaine comme site de l'immobilier “De Particulier à Particulier” en Tunisie (Pièce N° 2de la plainte).

5. Argumentation des parties

A. Requérante

La requérante expose en droit ce qui suit :

1. Le nom de domaine <tunisie-pap.com> constitue l'imitation illicite au point de prêter à confusion avec le signe P.A.P. DE PARTICULIER A PARTICULIER, utilisé à titre de marque et avec le nom de domaine <pap.fr>.

En l'espèce, le nom de domaine <tunisie-pap.com> reprend (i) la dénomination d'attaque de la marque antérieure et (ii) le nom de domaine <pap.fr>, notoirement connu. Par ailleurs, l'adjonction géographique “tunisie” constitue un facteur aggravant du risque de confusion, le public étant amené à croire que la société requérante dispose d'un portail spécialisé dans les annonces immobilières en Tunisie. Ce d'autant que le site “www.tunisie-pap.com” est présenté comme le site de l'immobilier “de Particulier à Particulier” en Tunisie. Le consommateur ne pourra dès lors que considérer le nom de domaine litigieux comme un actif de la société requérante.

2. Le défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime s'y attache.

Le défendeur ne dispose d'aucun intérêt légitime dans l'enregistrement du nom de domaine <tunisie-pap.com>, la seule motivation de sa réservation étant, sans doute, de tenter de revendre ce nom de domaine à la requérante en escomptant un profit rapide.

3. Le nom de domaine <tunisie-pap.com> doit être considéré comme ayant été enregistré et étant utilisé de mauvaise foi.

Le défendeur, qui dispose d'une adresse en France, ne pouvait pas ignorer l'existence de la dénomination “pap” compte tenu de sa très forte notoriété sur le territoire français. L'enregistrement de ce nom de domaine a manifestement pour but soit de créer une confusion dans l'esprit du public qui recherche un bien immobilier en Tunisie en associant indument le nom de domaine litigieux à l'activité de la société requérante, soit de revendre ce nom de domaine à un prix prohibitif. Dans les deux cas, c'est bien une attitude de mauvaise foi qui a déterminé le défendeur.

Pour les motifs qui précèdent, la requérante demande à la Commission administrative constituée dans le cadre de la présente procédure administrative de prononcer une décision ordonnant que le nom de domaine <tunisie-pap.com> soit transféré au requérant conformément au paragraphe 4(i) des Principes directeurs.

B. Défendeur

Le défendeur a fait valoir ce qui suit :

1. Le mot “pap” est un sigle qui peut signifier plusieurs choses dont “porte” en arabe. Plusieurs centaines de noms de domaine commencent d'ailleurs par ce mot. Ce mot ne peut pas désigner une seule société, organisme ou marque, partant il ne peut être exclu dans la dénomination d'un nom de domaine.

2. Le défendeur, tunisien, n'a pas de domicile en France.

3. Le défendeur n'a jamais pensé utiliser le nom de domaine <tunisie-pap.com> de mauvaise foi, ni vendre ce nom de domaine à la requérante, les revenus publicitaires provenant de celui-ci étant largement supérieur à son prix. Le contenu du site “www.tunisie-pap.com” n'est destiné ni aux français, ni aux européens; il s'adresse gratuitement aux annonceurs tunisiens. Le risque de confusion du public avec les activités de la requérante doit être écarté car le site en question ne comporte pas le logo de cette dernière, de même que la référence monétaire est le dinar tunisien. La requérante et le défendeur ne sont pas concurrents et ce dernier n'a pas eu l'intention de perturber les opérations commerciales de la requérante car les activités de cette dernière ne concernent pas le territoire tunisien et les annonces publicitaires sont effectuées par et pour des tunisiens. Il n'y a aucun risque de confusion.

Le défendeur conclut qu'il y a “recapture illicite du nom de domaine” et en demande la constatation par la Commission administrative en application du paragraphe 15(e) des Règles d'application.

C. Communications ultérieures

La requérante, dans ses observations additionnelles en date du 23 avril 2009, relève que le terme “pap” bénéficie d'une notoriété incontestable dans tous les pays francophones dans le domaine de l'immobilier, confirmée par des décisions de justice sur la question (Pièces N° 60et 61de la plainte). En outre le terme “pap” ne signifie pas “porte” en langue arabe mais plutôt “bab” (Pièce N° 62 de la plainte). La notoriété du terme “pap” n'aurait pas du échapper au défendeur, les ressortissants du pays duquel consultent des sites français et sont amenés à connaître le portail de la requérante, ceci d'autant que cette dernière est amené à proposer des biens en Tunisie (Pièce N° 59 de la plainte).

Le défendeur y répond le 24 avril 2009 que le nombre d'objets immobiliers proposé par la requérante en Tunisie est faible en comparaison de ce qu'offre le défendeur dans ce pays. Peu de tunisiens francophones ne consultent le site de la requérante. Concernant la traduction des mots “pap” ou “bab”, les deux veulent dire “porte” ou “portail”.

6. Discussion et conclusions

En date du 23 avril 2009 la requérante a complété son argumentation et soumis cinq pièces supplémentaires sur lesquels le défendeur s'est prononcé le 24 avril 2009 comme mentionné ci-dessus.

Conformément aux paragraphes 10 et 12des Règles d'application, il appartient à la Commission administrative, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, de se déterminer au préalable sur leur admissibilité et le cas échéant, sur tout acte de procédure supplémentaire attendu que les Règles d'application ne prévoient aucune clause particulière pour le dépôt de documents additionnels, sauf en réponse à une notification d'irrégularité ou sur la demande du Centre ou de la commission administrative elle-même. Ainsi dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation énoncé ci-dessus et plus particulièrement dans un souci de permettre aux parties de faire valoir équitablement leurs arguments (paragraphes 12et 10(b) des Règles d'application), la Commission administrative décide de déclarer recevables les écritures et pièces complémentaires reçues des parties, respectivement en date des 23 et 24avril2009 sans que cela ne rendre nécessaire de quelconques autres actes de procédure.

Sur le fond, le paragraphe 15(a) des Règles d'application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément au Principe directeur aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu'elle juge applicable”.

Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant de prouver contre le défendeur cumulativement que :

(i) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le requérant a des droits; et

(ii) il n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache; et

(iii) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, il y a lieu de s'attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La requérante a établi détenir des droits sur les marques semi-figurative et verbale DE PARTICULIER A PARTICULIER et P.A.P. DE PARTICULIER A PARTICULIER déposées le 25 mai 2007 et 17 mai 1988, respectivement (Pièces N° 3et 4 de la plainte).

La Commission considère que le nom de domaine <tunisie-pap.com> prête à confusion avec les marques de la requérante. L'adjonction du terme “tunisie” n'étant pas déterminante à cet égard.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs prévoit une liste non-exhaustive de circonstances qui, si la Commission considère les faits comme établis au vu de tous les éléments de preuve présentés peuvent constituer, la preuve des droits du défendeur sur le nom de domaine ou de son intérêt légitime qui s'y attache. Ces circonstances sont les suivantes:

(i) avant d'avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet; ou

(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

La Commission, à l'examen du dossier, ne voit pas en quoi le défendeur aurait des droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine <tunisie-pap.com>.

Le défendeur ne prétend pas avoir acquis de droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine sur les marques en question ou les services qui y seraient rattachés. Pas plus qu'il ne prétend avoir obtenu une quelconque autorisation pour exploiter les marques en question à titre de nom de domaine.

Au contraire, comme le souligne la requérante, le défendeur fait un usage du nom de domaine litigieux en profitant de la renommée des marques en question en créant une confusion sur l'usage des marques en cause, cet usage est développé ci-après sous le point C de la décision.

La Commission considère par conséquent que le requérant a établi que le défendeur n' a pas de droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine <tunisie-pap.com>.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit une liste non-exhaustive de circonstances qui, pour autant que leur réalité soit constatée par la commission administrative, établissent la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Une telle preuve est donnée par l'une des circonstances ci-après :

(i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d'une autre manière l'enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu'il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine; ou

(ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d'empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d'une telle pratique; ou

(iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d'un concurrent; ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation de son espace ou espace Web ou d'un produit ou service qui y est proposé.

Il apparaît clairement des éléments et pièces versés aux débats qu'en utilisant le nom de domaine <tunisie-pap.com>, le défendeur a sciemment tenté d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un espace Web en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec les marques de la requérante en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation de son espace Web pour les services qui y sont proposés.

Le défendeur admet non seulement utiliser lui-même le nom de domaine litigieux à des fins lucratives, mais également dans le même secteur d'activité que la requérante, soit la vente d'objets immobiliers, qui plus est en Tunisie, le volume de transactions important peu à cet égard. Le défendeur, en agissant de la sorte, créé objectivement un risque de confusion auprès des internautes, quels qu'ils soient, sur l'affiliation du défendeur à la société requérante aux bénéfices de droits de marques dûment établis, pour certaines de longue date et que le défendeur, opérant dans le même secteur d'activités, ne pouvait ignorer.

Ainsi, la Commission administrative considère que les circonstances visées au paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs sont établies dans le cas d'espèce.

Le transfert du nom de domaine <tunisie-pap.com> sera en conséquence ordonné en faveur de la requérante. La demande de rejet de la plainte pour abus de procédure administrative (paragraphe 15(e) des Règles d'application) est rejetée.

7. Décision

Pour les raisons ci-dessus exposées, la Commission administrative décide que la requérante a apporté la démonstration que le nom de domaine <tunisie-pap.com> prête à confusion avec les marques sur lesquelles la requérante a des droits, que le défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache et que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission ordonne que l'enregistrement du nom de domaine <tunisie-pap.com> soit transféré à la requérante.


Christophe Imhoos
Expert Unique

Le 27 mai 2009