WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Phildar contre Dominique Bonnet

Litige n° DFR2007-0056

1. Les parties

Le Requérant est la société Phildar, Roubaix, France, représenté par le cabinet Beau de Loménie, Paris, France.

Le Défendeur est Dominique Bonnet, Lyon, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <pildar.fr> enregistré le 28 mai 2007.

Le prestataire Internet est la société EuroDNS, Luxembourg.

 

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 23 novembre 2007, par courrier électronique et le 29 novembre 2007, par courrier postal.

Le 26 novembre 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 26 novembre 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, levant l’anonymat du Défendeur.

Suite à la communication de l’identité du titulaire du nom de domaine par le Centre, le Requérant a soumis un amendement à sa demande le 6 décembre 2007. Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la ”Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 12 décembre 2007. Conformément au paragraphe 15(a) du Règlement, le défendeur n’ayant adressé aucune réponse dans le délai imparti expirant le 2 janvier 2008, le Centre a adressé le 3 janvier 2008 aux parties une notification de défaut du défendeur.

Le 16 janvier 2008, le Centre nommait Stéphane Lemarchand comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le Requérant est spécialisé dans la fabrication et la commercialisation de laine et de vêtements. Il exerce son activité commerciale sous la dénomination “Phildar” et jouit d’une grande renommée pour désigner de la laine et des vêtements auprès du public concerné.

Le Requérant est à cet égard notamment titulaire d’une marque verbale française PHILDAR déposée le 3 juillet 2003 et enregistrée sous le numéro 03 3234419 pour désigner des produits et services relevant des classes 1 à 45. Cette marque est au nom de la société “Les Fils De Louis Mulliez” qui constituait l’ancienne dénomination sociale de la société Phildar, ce changement de dénomination sociale étant intervenu le 27 juillet 2004.

Le Requérant est également titulaire d’une marque verbale communautaire PHILDAR déposée le 30 avril 1997 et enregistrée le 19 novembre 2003 sous le numéro 545814 pour viser des produits et services des classes 16, 25, 41 et 42.

En outre, le Requérant a enregistré, le 25 septembre 1996, le nom de domaine <phildar.fr> sous lequel il exploite son site Internet pour la promotion et la vente de ses produits en ligne.

Le Défendeur est Monsieur Dominique Bonnet. Il a enregistré le nom de domaine <pildar.fr>, objet de la présente procédure, le 28 mai 2007. Bien que le Requérant indique dans sa demande que ce site n’est plus actif à ce jour, il ressort des investigations menées par l’Expert que ledit site est entre temps redevenu actif et l’est toujours aujourd’hui, la page web vers laquelle pointe le nom de domaine <pildar.fr> étant similaire à l’impression de page web communiquée par le Requérant en pièce n°9. Il ressort de la pièce n°9 communiquée par le Requérant que ce nom de domaine fait l’objet d’une exploitation par le Défendeur pour un site Internet dit “parking” qui renvoie vers divers sites Internet dédiés à des activités dans le domaine de la laine, du tricot et des vêtements.

Le Requérant a adressé le 24 juillet 2007 un email de réclamation au Défendeur (resté anonyme), par le biais de l’interface existant sur le site de l’Afnic qui permet de joindre un contact administratif de nom de domaine.

Cette réclamation étant restée sans réponse, le Requérant a décidé de soumettre le présent litige au Centre.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant considère que le nom de domaine litigieux enregistré par le Défendeur le 28 mai 2007 porte atteinte (i) aux marques verbales françaises et communautaire PHILDAR sur lesquelles il détient des droits antérieurs, puisqu’elles ont fait l’objet d’un dépôt respectivement le 3 juillet 2003 et le 30 avril 1997, (ii) au nom de domaine <phildar.fr> sur lequel il détient également des droits antérieurs, celui-ci ayant été enregistré le 25 septembre 1996, et (iii) à la dénomination sociale PHILDAR sous laquelle il exerce son activité depuis le 27 juillet 2004.

Le Requérant considère que le nom de domaine <pildar.fr> présente un degré élevé de similitude avec les marques et la dénomination sociale du Requérant, puisqu’il ne s’en distingue que par la suppression de la lettre “h”, qui n’a selon le Requérant, qu’un très faible impact visuel et phonétique, et l’ajout de l’extension “.fr”, qui n’est pas selon lui un élément distinctif du nom de domaine litigieux puisqu’il s’agit d’une référence à l’extension pays de ce nom de domaine.

Le Requérant en déduit que ces différences ne sont pas de nature à écarter tout risque de confusion dans l’esprit du public et échapperont au contraire à un consommateur d’attention moyenne n’étant pas confronté aux signes en présence simultanée.

Le Requérant considère en outre que le nom de domaine <pildar.fr> constitue l’imitation du nom de domaine <phildar.fr> puisqu’il n’en diffère que par la suppression de la lettre “h”. Selon le Requérant, le risque de confusion est évident puisque ces deux dénominations suscitent une impression d’ensemble très proche. Le Requérant soutient que ce risque de confusion est encore plus fort du fait de la grande renommée du Requérant pour désigner de la laine et des vêtements.

Le Requérant soutient que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine <pildar.fr> ni aucun droit légitime qui s’y attache, puisqu’il ressort des recherches effectuées par le Requérant qu’il n’existe aucune marque PILDAR et que le Défendeur n’est titulaire d’aucune marque PILDAR. Le Requérant ajoute que le Défendeur n’a aucun lien juridique avec lui et ne bénéficie d’aucune autorisation lui permettant de faire usage du nom de domaine enregistré.

Selon le Requérant, en ne vérifiant pas avant l’enregistrement du nom de domaine litigieux que cet enregistrement ne portait pas atteinte aux droits de tiers, le Défendeur n’a pas respecté ses obligations aux termes de la Charte. Le Requérant ajoute que cet enregistrement ne pouvait avoir été effectué de bonne foi, puisque, compte tenu de la renommée attachée en France à la marque et à la dénomination sociale du Requérant, le Défendeur, qui réside en France, ne pouvait en ignorer l’existence. Le Requérant ajoute à ce titre que son courrier de réclamation adressé au Défendeur le 24 juillet 2007 est resté sans réponse.

Le Requérant considère également que l’utilisation par le Défendeur du nom de domaine <pildar.fr> porte atteinte aux droits du Requérant, puisque le signe litigieux a été utilisé par le Défendeur pour diriger les Internautes vers une page dite “de parking” disposant de liens commerciaux et hypertextes pointant vers des sites concurrents relatifs à des activités dans le domaine du tricot, de la laine et des vêtements. Le Requérant soutient que ces agissements constituent un comportement déloyal visant à tirer indûment profit de la renommée attachée aux différents signes PHILDAR.

Le Requérant sollicite, par conséquent, le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.

 

6. Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Requérant en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission à son profit.

L’Expert rappelle que, conformément aux dispositions de l’article 20 (c) du Règlement “L’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Chartre et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, s’il justifiait de droits sur ce nom de domaine.

(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux

L’Expert constate que le Requérant est titulaire de droits antérieurs sur la dénomination PHILDAR à titre de marque verbale, de dénomination et de nom de domaine.

L’Expert constate que le nom de domaine <pildar.fr> est une imitation de la marque verbale détenue par le Requérant depuis 1997 pour ce qui est de sa marque communautaire (et depuis 2003 pour ce qui est de sa marque française), de la dénomination sous laquelle il exerce son activité depuis 2004 et du nom de domaine <phildar.fr> détenu par le Requérant depuis 1996.

L’Expert estime que le nom de domaine litigieux est la reproduction quasi-identique du signe PHILDAR sur lequel le Requérant justifie détenir des droits. La suppression de la lettre “h” ne suffit pas à écarter le risque de confusion engendré en raison de l’imitation de la marque et du nom de domaine antérieurement détenus par le Requérant. (Louis Vuitton v. Nett-Promotion, Litige OMPI n° D2000-0430, <luisvuitton.com>; Bang & Olufsen a/s v. Unasi Inc., Litige OMPI n° D2005-0728, <bag-olufsen.com>, <bagolufsen.com>, <bang-olusen.com>, <bangolusen.com>).

De nombreuses décisions rendues par des experts dans le cadre de procédures de règlement alternatif des litiges portant sur des gTLDs ou sur des ccTLDs en “.fr” ont considéré que la suppression d’une lettre est inopérante à faire disparaître l’imitation de la marque au sens du droit français (Voir notamment, s’agissant des gTLDs, les décisions Louis Vuitton v. Nett-Promotion, Litige OMPI n° D2000-0430, relative à <luisvuitton.com>; Bang & Olufsen a/s v. Unasi Inc., Litige OMPI n° D2005-0728 relative à <bag-olufsen.com>, <bagolufsen.com>, <bang-olusen.com>, <bangolusen.com>; et s’agissant des ccTLDs en “.fr”, les décisions Carrefour et Carrefour Hypermarchés v. Eurostastic Limited, Litige OMPI n° DFR 2005-0011 relative à <carefour.fr>; Orange France v. KLTE Ltd, Litige OMPI n° DFR2005-0020 relative à <oarange.fr>, <orande.fr>, <orenge.fr>, <organge.fr>, <ornage.fr>, <ornge.fr>, <oronge.fr>, <prange.fr>).

L’Expert considère en l’espèce que le nom de domaine litigieux est un cas évident de typosquatting, dans la mesure où cette suppression d’une seule lettre par rapport au nom de domaine enregistré par le Requérant vise à détourner les internautes qui commettent une erreur de frappe en voulant accéder au site Internet “www.phildar.fr” et omettent de taper la lettre “h” entre le “p” et le “i”, sont alors dirigés vers un site Internet offrant des liens vers des sites dédiés à la laine et au tricot, et sont donc amenés à penser que ce site est exploité par le Requérant.

L’Expert considère en outre que l’ajout de l’extension “.fr” n’altère en rien le risque de confusion engendré à raison de l’imitation de la marque antérieure et de l’usurpation des noms de domaine antérieurs. En effet, l’adjonction d’une extension pour le moins commune dans le domaine des services rendus sur l’Internet ne confère à l’ensemble aucun caractère distinctif permettant d’écarter tout risque de confusion.

L’Expert constate en outre que le Requérant est une société commerciale spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de laine et de vêtements disposant d’une notoriété particulièrement forte en France dans ce domaine auprès du public concerné.

L’Expert considère donc que le Défendeur domicilié en France ne pouvait ignorer les droits antérieurs détenus par le Requérant. Le Défendeur avait en outre parfaitement connaissance de l’activité exercée par le Requérant dans le domaine de la fabrication et la commercialisation de laine et de vêtements, puisque le nom de domaine litigieux renvoie vers des sites Internet dédiés à des activités dans le domaine de la laine, du tricot et des vêtements. C’est donc en pleine connaissance de cause qu’il a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux, sachant dès lors pertinemment porter atteinte aux droits d’un tiers.

En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenu en violation des droits antérieurs du Requérant dont il est titulaire et du principe de loyauté dans les relations commerciales.

(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers

L’Expert constate que le Requérant est une société commerciale qui a pour activité la fabrication et la commercialisation de laine et de vêtements, et qu’il exerce cette activité notamment par le biais de son site Internet “www.phildar.fr” depuis 1996.

L’Expert constate que le nom de domaine litigieux, dont le signe consiste en la reproduction de la marque du Requérant à la seule différence que la lettre “h” est supprimée du mot “phildar”, dirige les internautes qui commettent une erreur de frappe en voulant accéder au site Internet “www.phildar.fr” et omettent de taper la lettre “h”, vers le site Internet parking du Défendeur qui référence des adresses de sites Internet proposant des articles dans le domaine de la laine et du tricot.

L’Expert considère donc que le nom de domaine litigieux est utilisé par le Défendeur dans le seul but de détourner les internautes qui cherchent à se connecter à la page web du Requérant, lesquels seront d’ailleurs bien surpris de n’aboutir à aucune information utile concernant le Requérant.

L’Expert estime par conséquent que l’utilisation que fait le Défendeur du nom de domaine litigieux est empreinte d’une particulière mauvaise foi, dans la mesure où le Défendeur crée à dessein un risque de confusion dans l’esprit des internautes et cherche ainsi à tirer indûment profit de la forte notoriété dont dispose le Requérant dans le domaine concerné, afin de générer un trafic important vers le site qu’il a mis en place, trafic constituant généralement une source de revenus non négligeables. Outre tirer profit de la notoriété de la dénomination “Phildar” en matière de fabrication et de commercialisation de laine et de vêtements, le Défendeur détourne ainsi une partie non négligeable des internautes intéressés, en les induisant en erreur et en leur laissant croire qu’aucune information utile concernant “Phildar” n’est disponible. A l’évidence, un tel comportement est déloyal.

L’Expert constate par ailleurs que le Défendeur n’a pas jugé utile de répondre aux arguments exposés par le Requérant dans sa demande et n’a donc pas contesté les faits qui lui sont reprochés.

En conséquence, l’Expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenue en violation des droits antérieurs du Requérant dont il est titulaire et du principe de loyauté dans les relations commerciales.

 

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <pildar.fr>.


Stéphane Lemarchand
Expert

Le 30 janvier 2008