WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Groupe Auchan contre Event & Go

Litige n° DFR2007-0026

 

1. Les parties

Le Requérant est Groupe Auchan, Croix, France, représenté par Cabinet Dreyfus & Associés, France.

Le Défendeur est Event & Go, Amiens, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <auchanbox.fr> enregistré le 2 janvier 2007.

Le prestataire Internet est la société UNETUN.

 

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 15 juin 2007, par courrier électronique et le 21 juin 2007, par courrier postal.

Le 21 juin 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 21 juin 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 28 juin 2007. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a notifié le défaut du Défendeur en date du 19 juillet 2007.

Le 9 août 2007, le Centre nommait Martine Dehaut comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le Requérant expose notamment les faits suivants à l’appui de sa demande :

“Groupe Auchan a une activité dans la grande distribution. Le premier magasin AUCHAN est créé en 1961 à Roubaix dans le quartier des “Hauts Champs”. En 1967, le premier hypermarché Auchan ouvre à Roncq et le premier centre commercial en 1969 à Englos. Dans les années 80, le Groupe Auchan prend une dimension internationale et commence à ouvrir des magasins dans divers pays. Groupe Auchan est aujourd’hui présent dans 12 pays et régions et intervient dans les 4 domaines d’activités suivants : Hypermarchés, Supermarchés, Immobilier et Banque.

A présent, Groupe AUCHAN est connu principalement pour son activité de vente au détail par hypermarchés et supermarchés est l’un des leaders mondiaux dans le domaine de la vente au détail. Groupe AUCHAN emploie environ 165.000 personnes, sur plus de 1000 sites répartis dans les 12 pays et régions où il est présent.”

Compte tenu de ses activités, le Requérant est titulaire de nombreux droits de marques en France et dans d’autres pays portant sur le signe AUCHAN, ou comprenant ce terme, et notamment :

- Marque française AUCHAN, n° 05 3386906, en date du 19 octobre 2005, en classe 03.07.13, 03.07.21, 37.01.01 (classification de Vienne) et en classe 1 à 45 (classification de Nice);

- Marque française AUCHAN, n° 06 3427727 en date du 9 mai 2006, en classe 07.03.21, 29.02.00, 37.01.01 (classification de Vienne) et en classe 01 à 45 (classification de Nice)

- Marque française AUCHAN, n° 1258525, en date du 25 janvier 1984, en classe 01 à 42

- Marque française AUCHAN, n° 99768478, en date du 12 janvier 1999, en classe 01.03.01, 03.07013, 26.04.13, 37.01.01 (classification de Vienne) et en classe 29, 30 et 37 (classification de Nice).

- Marque française AUCHAN 04 3292297, en date du 17 mai 2004, en classe 01 à 45 Marque communautaire AUCHAN, n°000283101, en date du 31 mai 1996 en classes 1 à 42;

- Marque communautaire AUCHAN, n° 004510707, en date du 26 juin 2005 en classes 35, 38;

- Marque internationale AUCHAN, n° 284616, en date du 05 juin 1964 en classes 3, 9, 11, 25, 29, 32;

- Marque internationale AUCHAN, n° 332854, en date du 24 janvier 1967, en classes 1, 6, 7, 10, 12, 13, 14, 15, 17, 19, 20, 22, 23, 24, 26, 27, 31, 33, 34, 35, 38, 39, 40, 41, 42;

- Marque internationale AUCHAN n° 407814, en date du 22 avril 1974, en classes 1 à 42;

- Marque internationale AUCHAN, n° 531717, en date du 22 novembre 1988, en classes 3, 9, 11, 25, 29,32;

- Marque internationale AUCHAN n° 580995, en date du 29 janvier 1992, en classes 2, 3, 4, 5, 8, 9, 11, 16, 18, 21, 25, 29, 30;

- Marque internationale AUCHAN n° 585353, en date du 11 mai 1992, en classes 3, 9, 11, 25, 29, 32;

- Marque internationale AUCHAN n° 625533, en date du 19 octobre 1994, en classes 1 à 42;

- Marque internationale AUCHAN, n° 626147, en date du 31 octobre 1994, en classes 2, 3, 4, 5, 8, 9, 11, 16, 18, 21, 25, 29, 30, 32, 36, 37;

- Marque internationale AUCHAN n° 658656, en date du 29 juillet 1996, en classes 1, 6, 7, 10, 12, 13, 14, 15, 17, 19, 20, 22, 23, 24, 26, 27, 28, 31, 33, 34, 35, 38, 39, 40, 41, 42;

- Marque internationale AUCHAN n° 673493, en date du 25 mai 1997, en classes 3;

- Marque internationale AUCHAN n° 713595, en date du 03 juin 1999, en classes 29, 30, 31;

- Marque américaine AUCHAN, n° 2868275, du 3 août 2004 en classes 3, 9, 11, 25, 29, 32, 35, 36, 37, 38 et 42;

- Marque américaine A AUCHAN, n° 2873113, du 17 août 2004 en classes 3, 9, 11, 25, 29, 32, 35, 36, 37, 38 et 42.

Le Requérant a apporté la preuve de l’existence de ces droits de marque par le biais d’extraits de bases de données.

Le Défendeur, quant à lui, serait actif dans le domaine de la publicité.

Le nom de domaine litigieux a été réservé par le Défendeur le 2 janvier 2007, en même temps que le nom de domaine <auchanbox.com>. C’est d’ailleurs l’existence de ce second nom de domaine qui a retenu, dans un premier temps, l’attention du Requérant (celui-ci fait également l’objet d’une procédure simultanée en application des Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), sous la référence D2007-0886).

Ainsi, après avoir constaté l’existence du nom de domaine <auchanbox.com>, le Requérant (lui-même ou par l’intermédiaire de son mandataire) a adressé le 13 mars 2007 un courrier au Défendeur, afin de lui en demander le transfert amiable.

Dans sa réponse du 16 avril 2007, le Défendeur indique ce qui suit : “Le nom de domaine <auchanbox.com> n’a selon nous rien à voir avec le groupe Auchan. Si cependant vous souhaitez nous faire une proposition de rachat, nous sommes à votre disposition”.

Le 23 mai 2007, et après avoir pris connaissance de l’existence du nom de domaine <auchanbox.fr> également réservé par le Défendeur, le Requérant a à nouveau pris contact avec ce dernier afin de demander le transfert des deux noms de domaine litigieux. Le Requérant n’a effectué aucune proposition de rachat. Le Défendeur n’a apparemment pas répondu à cette seconde mise en demeure.

Le nom de domaine <auchanbox.fr> n’est pas actif.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant expose que la réservation du nom de domaine <auchanbox.com> porte atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, et constitue une atteinte aux règles de concurrence et de comportement loyal en matière commerciale.

Concernant l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle, le Requérant invoque essentiellement les dispositions des articles L 713-3, 5 et 6 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).

Concernant l’atteinte aux règles de concurrence et de comportement loyal en matière commerciale, le Requérant estime que les faits rapportés sont constitutifs d’agissements parasitaires et de concurrence déloyale, susceptibles d’être sanctionnés en application des dispositions de l’article 1382 du Code Civil.

A plusieurs reprises, le Requérant invoque la mauvaise foi du Défendeur dans ses agissements, dans la mesure où, essentiellement, la marque AUCHAN jouit d’une importante notoriété en France. Notoriété que le Défendeur, français et résidant en France, ne pouvait ignorer au moment de réserver le nom de domaine litigieux.

Le Requérant demande le transfert du nom de domaine <auchanbox.fr> à son profit, étant titulaire de droits de marque sur l’élément objet de l’atteinte.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.

 

6. Discussion

Conformément aux dispositions de l’article 20 (c) du Règlement, “[l]’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

En application de cette disposition, il appartient en premier lieu à l’Expert de déterminer si, au regard du droit français, l’enregistrement ou l’usage du nom de domaine <auchanbox.fr> porte atteinte aux droits du Requérant. En second lieu, la mesure de réparation demandée étant le transfert du nom de domaine litigieux, l’Expert doit s’assurer de l’existence des droits du Requérant sur l’élément objet de l’atteinte.

A. Atteinte aux droits du Requérant

Tant l’article 1 du Règlement que l’article 19(1) de la Charte définissent de manière non exhaustive l’atteinte aux “droits des tiers” comme une atteinte

- à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle);

- aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale;

- au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne.

Le Requérant invoque en premier lieu une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, à savoir une atteinte à ses nombreux droits de marque portant sur le terme AUCHAN. Concrètement, le Requérant fait référence aux articles L 713-3 et L 713-5 du CPI.

Concernant le grief de contrefaçon, article L 713-3 CPI, il est de jurisprudence constante en France que le simple enregistrement d’un nom de domaine ne constitue pas, en soit, un acte de contrefaçon, à défaut d’une exploitation du nom de domaine en liaison avec des produits et services identiques ou similaires à ceux identifiés par le droit de marque antérieur (Affaire Locatour, Cour de cassation chambre commerciale, 13 décembre 2005). Or, le nom de domaine incriminé n’est pas exploité par son titulaire.

L’Expert note par ailleurs qu’il ne dispose pas d’éléments lui permettant de déterminer si les activités habituelles du Défendeur sont susceptibles d’être identiques ou similaires à celles du Requérant et, partant, si une contrefaçon de ses marques AUCHAN peut être légitimement crainte (Arrêt Locatour précité).

En application de l’article L 713-3 CPI et de cette jurisprudence, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine <auchanbox.fr> ne contrefait pas les marques AUCHAN.

L’Expert ajoute qu’il ne paraît pas approprié de considérer, in abstracto, que toute exploitation du nom de domaine incriminé, pour quelque activité que ce soit, serait nécessairement contrefactrice des droits du Requérant, dans la mesure où certaines de ses marques couvrent toutes les classes de la classification internationale.

L’Expert estime en revanche que sont applicables en l’espèce les dispositions de l’article L 713-5 CPI, au terme duquel l’emploi d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.

Les tribunaux français ont en effet fait application de cette disposition dans le cas de noms de domaine constitués d’une marque renommée, après avoir considéré que le seul bénéfice d’un tel enregistrement justifiait une sanction (Affaire La Redoute, TGI Nanterre, 31 janvier 2000).

Invoquée à plusieurs reprises, la notoriété ou la renommée de la marque AUCHAN n’a toutefois pas été démontrée par le Requérant. L’Expert estime néanmoins que la connaissance qu’a le public français de la marque AUCHAN est un fait notoire, compte tenu notamment de la présence massive, sur le territoire national, des supermarchés et hypermarchés du Requérant.

En tout état de cause, le volume de procédures en application des Principes directeurs impliquant la marque AUCHAN est en soit révélateur de sa notoriété (Groupe Auchan v. John Hilinski, Litige OMPI n° D2007-0268 <auchanenglos.com>; Groupe Auchan v. R. Wijma, Litige OMPI n° D2007-0175 <auchandirect.mobi>; Groupe Auchan v. xmxzl, Litige OMPI n° DCC2006-0004 <auchan.cc>; Auchan v. Cantucci Commercial Corp., Litige OMPI n° D2005-1195; <auchan-france.biz>; <auchan-france.com>; <auchan-france.info>; <auchan-france.net>; <auchan-france.org>; <auchan-hypermarches.biz>; <auchan-hypermarches.com>; <auchan-hypermarches.info>; <auchan-hypermarches.net>; <auchan-hypermarches.org>; Auchan v. Hostdatviet, Litige OMPI n° D2006-1096, <dauchan.net>; Auchan v. Web4comm Srl Romania, Litige OMPI n° DRO2005-0001, <auchan.ro>; Auchan v. Oushang Chaoshi, Litige OMPI n° D2005-0407, <oushang.net>).

Le Défendeur n’a d’ailleurs nullement contesté l’existence de cette notoriété, invoquée à la fois dans les mises en demeure qui lui ont été adressées, et dans la demande à laquelle il n’a pas répondu.

L’Expert partage les arguments développés par le Requérant concernant la similitude des signes “Auchan” et <auchanbox.fr>. Abstraction faite du nom de domaine de premier niveau “.fr” qui n’est pas appropriable en tant que tel, l’Expert note que le nom de domaine litigieux consiste en la simple juxtaposition du terme “Auchan”, placé en position d’attaque, et du terme “box”, signifiant boîte en anglais. Le public français, et qui plus est le public utilisant l’Internet, a généralement une connaissance à tout le moins basique de l’anglais, lui permettant de connaître la signification du terme “box”.

Confronté au signe “auchanbox”, le public y percevra et y détachera immédiatement la marque AUCHAN.

De fait, le Défendeur n’a vraisemblablement pas choisi par hasard d’associer la marque AUCHAN, dont il avait très certainement connaissance, au suffixe “box”.

Dans ces conditions, l’Expert estime que l’enregistrement du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits du Requérant, et est de fait susceptible d’être sanctionné en application de l’article L 713-5 CPI.

Contrairement aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine génériques, la reconnaissance du bien-fondé d’une demande introduite dans le cadre de la Procédure alternative de résolution de litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique n’implique pas l’existence d’une atteinte aux droits des tiers lors de la réservation et de l’exploitation du nom de domaine litigieux.

Dans ces conditions, et par économie de procédure, il n’est pas nécessaire que l’Expert se prononce sur l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle du Requérant lors de l’exploitation du nom de domaine <auchanbox.fr>.

B. Droits du Requérant sur l’élément objet de l’atteinte

Le Requérant a prouvé l’existence de nombreux droits de marque portant sur le signe AUCHAN.

Le Requérant est ainsi fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux, en conformité avec les dispositions de la Charte.

 

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <auchanbox.fr>.


Martine Dehaut
Expert

Le 31 août 2007