WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) contre Jacques Wiltord

Litige n° DFR2007-0016

 

1. Les parties

Le Requérant est le Conservatoire National des Arts et Métiers (le “CNAM”), Paris, France, représenté par le cabinet Wagret, Paris, France.

Le Défendeur est Jacques Wiltord, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <wwwcnam.fr> enregistré le 21 décembre 2006.

Le prestataire Internet est la société EURODNS, Luxembourg.

 

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 12 avril 2007, par courrier électronique et le 23 avril 2007, par courrier postal.

Le 13 avril 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 16 avril 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le 18 avril 2007, le Requérant a soumis un amendement à sa demande. Le Centre a vérifié que la demande et l’amendement répondent bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la ”Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 7 mai 2007. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a notifié le défaut du Défendeur en date du 29 mai 2007.

Le 13 juin 2007, le Centre nommait Stéphane Lemarchand comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le Requérant est le Conservatoire National des Arts et Métiers, établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel dédié à la formation depuis sa création en 1794. Le Requérant exerce son activité tant sous la dénomination “Conservatoire National des Arts et Métiers” que sous l’acronyme “CNAM”.

Le Requérant est à cet égard notamment titulaire d’une marque semi figurative française déposée le 13 décembre 2001et enregistrée sous le numéro 013136878 pour désigner des produits et services relevant des classes 9, 16, 25, 38, 41 et 42, ainsi que d’une marque verbale française “Conservatoire National des Arts et Métiers, CNAM” déposée le 13 décembre 2001 et enregistrée sous le numéro 013136879 pour désigner des produits et services relevant des classes 9, 16, 25, 38, 41 et 42.

En outre, le Requérant a enregistré le 1er janvier 1995 le nom de domaine <cnam.fr> sous lequel il exploite son site Internet.

Le Défendeur est Monsieur Jacques Wiltord. Il a enregistré le nom de domaine <wwwcnam.fr> objet de la présente procédure le 21 décembre 2006. Ce nom de domaine est actuellement exploité par le Défendeur pour un site Internet dit “parking” qui renvoie vers divers sites Internet dédiés à la formation.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel créé en 1794 qui propose différents types de formations à un vaste public (étudiants, salariés, demandeurs d’emploi, professions libérales et artisans), et plus particulièrement des formations professionnelles destinées aux adultes.

Le Requérant considère que le nom de domaine litigieux porte atteinte aux marques semi figurative et verbale françaises sur lesquelles il détient des droits antérieurs, puisqu’elles ont toutes deux fait l’objet d’un dépôt le 13 décembre 2001.

Le Requérant soutient que l’adjonction des lettres  “www” au terme “cnam” , initiales de “world wide web”, qui précèdent généralement les adresses Internet, n’excluent pas le risque de confusion avec les marques du demandeur, mais au contraire, le renforce. Le Requérant cite la décision rendue en ce sens dans le cadre du litige Mejeriforeningen Danish Dairy Board v. Spiral Matrix, Litige OMPI n° D2006-0233.

Le Requérant en déduit qu’il existe un important risque de confusion dans l’esprit du consommateur qui est amené à penser que le nom de domaine litigieux est exploité par le Requérant, titulaire des marques CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET METIERS, CNAM.

Le Requérant considère que le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits privatifs qu’il détient sur sa dénomination en vertu du décret n° 88-413 du 22 avril 1988 relatif au Conservatoire National des Arts et Métiers, et ajoute que cette dénomination est utilisée par le Requérant depuis sa création en 1794. Le Requérant soutient que cette atteinte est particulièrement grave s’agissant d’un établissement disposant d’une importante notoriété en France et régi par une disposition de droit français, dans la mesure où le nom de domaine litigieux a été réservé en “.fr”, extension française de premier niveau.

Le Requérant considère en outre que le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits privatifs qu’il détient sur son propre nom de domaine <cnam.fr>, enregistré antérieurement et exploité pour la présentation des diverses activités du Requérant. En effet, le Requérant fait valoir que le nom de domaine litigieux est utilisé pour créer un risque de confusion avec son propre nom de domaine.

Le Requérant considère également que le nom de domaine litigieux porte atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale, dans la mesure où le Défendeur ne pouvait ignorer, lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, l’existence du Requérant, eu égard à la forte notoriété de cet organisme en France.

Le Requérant considère qu’en réservant le nom de domaine <wwwcnam.fr>, le Défendeur cherche à attirer les internautes qui, souhaitant accéder au site Internet du Requérant “www.cnam.fr”, commettent une erreur de frappe en oubliant de taper un point entre “www” et “cnam”.

Le Requérant fait valoir à cet effet que c’est avec une particulière mauvaise foi que le Défendeur a cherché à tirer profit de la renommée du Requérant, en réservant le nom de domaine litigieux pour un site Internet parking proposant des liens redirigeant les internautes vers d’autres sites Internet offrant des prestations de formation.

Enfin, le Requérant entend préciser qu’il a engagé une procédure amiable préalable en vue de résoudre le présent litige, sans succès. En effet, le Requérant indique avoir adressé, le 31 janvier 2007, au prestataire Internet auprès duquel le nom de domaine litigieux a été enregistré, une réclamation, qui est restée lettre morte.

Le Requérant sollicite, par conséquent, le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.

 

6. Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission à son profit.

L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement: “L’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tels que définis à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément, objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, s’il justifiait de droits sur ce nom de domaine.

(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux

L’Expert constate que le Requérant est titulaire de droits antérieurs sur la dénomination “cnam” à titre de marque verbale, de dénomination et de nom de domaine.

L’Expert constate que le nom de domaine <wwwcnam.fr> est une imitation de la marque verbale détenue par le Requérant depuis 2001, de la dénomination sous laquelle il exerce son activité depuis 1794 et du nom de domaine <cnam.fr> détenu par le Requérant depuis 1995.

L’Expert estime que la seule différence consistant en l’ajout des lettres “www” placées juste devant le terme “cnam”, loin d’altérer le risque de confusion le renforce au contraire, puisque l’adjonction de ces trois lettres, qui représentent les initiales de “world wide web”, précède généralement toutes les adresses Internet.

De nombreuses décisions rendues par des experts dans le cadre de procédures de règlement alternatif des litiges portant sur des gTLDs ont considéré qu’un nom de domaine consistant du préfixe “www” adjoint à une marque était un cas de typosquatting, d’une part parce que le préfixe “www” n’a pas de caractère distinctif dans le contexte d’un nom de domaine, et d’autre part parce que le “www” devient source de confusion lorsque l’internaute omet de taper le point entre ce préfixe et le nom de domaine. Dans ces décisions, les experts ont estimé que de tels noms de domaines étaient substantiellement similaires à la marque imitée. (Voir notamment la décision Scania CVAB (Publ) v. Unaci, Inc., Litige OMPI n° D2005-0585 relative à <wwwscania.com> et les nombreuses décisions citées dans la décision CSC Holdings, Inc v. Elbridge Gagne, Litige OMPI n° D2003-0273 relative à <wwwamctv.com>).

L’Expert considère en l’espèce que le nom de domaine litigieux est un cas évident de typosquatting, dans la mesure où cet ajout vise à détourner les internautes qui commettent une erreur de frappe en voulant accéder au site Internet “www.cnam.fr” et omettent de taper le point entre les termes “www” et “cnam”, sont alors dirigés vers un site Internet offrant des liens vers des sites dédiés à la formation, et sont donc amenés à penser que ce site est exploité par le Requérant.

L’Expert considère en outre que l’ajout de l’extension “.fr” n’altère en rien le risque de confusion engendré à raison de l’imitation de la marque antérieure et de l’usurpation des noms de domaine antérieurs. En effet, l’adjonction d’une extension pour le moins commune dans le domaine des services rendus sur l’Internet ne confère à l’ensemble aucun caractère distinctif permettant d’écarter tout risque de confusion.

L’Expert constate en outre que le Requérant est un organisme dédié à la formation disposant d’une notoriété particulièrement forte en France dans ce domaine.

L’Expert considère donc que le Défendeur domicilié en France ne pouvait ignorer les droits antérieurs détenus par le Requérant. Le Défendeur avait en outre parfaitement connaissance de l’activité exercée par le Requérant dans le domaine de la formation, puisque le nom de domaine litigieux renvoie vers des sites de formation. C’est donc en pleine connaissance de cause qu’il a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux, sachant dès lors pertinemment porter atteinte aux droits d’un tiers.

En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenu en violation des droits antérieurs du Requérant dont il est titulaire et du principe de loyauté dans les relations commerciales.

(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers

L’Expert constate que le Requérant, établissement public créé en 1794, a pour activité d’offrir au public des formations, et qu’il exerce cette activité notamment par le biais de son site Internet “www.cnam.fr” depuis 1995.

L’Expert constate que le nom de domaine litigieux, dont le signe consiste en la reproduction de la marque du Requérant à laquelle sont ajoutée les lettres “www”, dirige les internautes qui commettent une erreur de frappe en voulant accéder au site Internet “www.cnam.fr” et omettent de placer un point entre “www” et “cnam”, vers le site Internet parking du Défendeur qui référence des adresses de sites Internet proposant des formations.

L’Expert considère donc que le nom de domaine litigieux est utilisé par le Défendeur dans le seul but de détourner les internautes qui cherchent à se connecter à la page web du Requérant, lesquels seront d’ailleurs bien surpris de n’aboutir à aucune information utile concernant le Requérant.

L’Expert estime par conséquent que l’utilisation que fait le Défendeur du nom de domaine litigieux est empreinte d’une particulière mauvaise foi, dans la mesure où le Défendeur crée à dessein un risque de confusion dans l’esprit des internautes et cherche ainsi à tirer indûment profit de la forte notoriété dont dispose le Requérant, afin de générer un trafic important vers le site qu’il a mis en place, trafic constituant généralement une source de revenus non négligeables. Outre tirer profit de la notoriété de la dénomination CNAM en matière de formation, le Défendeur détourne ainsi une partie non négligeable des internautes intéressés, en les induisant en erreur et en leur laissant croire qu’aucune information utile concernant la CNAM n’est disponible. A l’évidence, un tel comportement est déloyal.

L’Expert constate par ailleurs que le Défendeur n’a pas jugé utile de répondre aux arguments exposés par le Requérant dans sa demande et n’a donc pas contesté les faits qui lui sont reprochés.

En conséquence, l’Expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenue en violation des droits antérieurs du Requérant dont il est titulaire et du principe de loyauté dans les relations commerciales.

 

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <wwwcnam.fr>.


Stéphane Lemarchand
Expert

Le 28 juin 2007