WIPO

 

WIPO Arbitration and Mediation Center

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

L’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - ACD Lec contre Olivier Brocheriou

Litige n° D2007-1506

 

1. Les parties

Le Requérant est L’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - ACD Lec, Ivry-sur-Seine, France, représenté par Inlex Conseil, France.

Le Défendeur est Olivier Brocheriou, Asnières-sur-Seine, France, représenté par Julien Madon, Avocat à la Cour, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <e-leclercshow.com>.

L’unité d’enregistrement, auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré, est Schlund + Partner.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - ACD Lec auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 12 octobre 2007.

En date du 17 octobre 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Schlund + Partner, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 17 octobre 2007.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 23 octobre 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 12 novembre 2007. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 13 novembre 2007, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

Le Défendeur a fait parvenir une réponse informelle le 15 novembre 2007. Le Centre notifiait le 16 novembre 2007 la réception de réponse additionnelle.

En date du 21 novembre 2007, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Christophe Caron. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

Le Requérant est l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc – ACD Lee qui est une organisation créée par Monsieur Edouard Leclerc afin de déterminer les orientations générales des activités du Mouvement E. Leclerc et de ses adhérents. Créé en 1949, le Mouvement E. Leclerc est la première enseigne européenne de commerçants indépendants qui bénéficie d’une grande notoriété auprès du public français, mais aussi à l’étranger.

Le Requérant est propriétaire de très nombreuses marques françaises, communautaires et internationales qui comportent le terme “leclerc”, mais aussi l’expression “e.leclerc”, souvent associée à d’autres mots. De même, le Requérant est également propriétaire de nombreux noms de domaine, notamment composés des termes “eleclerc” et “e-leclerc”.

Le Défendeur a réservé le nom de domaine litigieux, <e-leclercshow.com>, le 10 août 2006.

Le 24 novembre 2006, le Requérant a mis en demeure le Défendeur de lui rétrocéder le nom de domaine litigieux, mise en demeure réitérée le 20 décembre 2006. Par courrier en date du 19 février 2007, le Requérant a proposé au Défendeur de signer un contrat de cession de nom de domaine et de lui payer la somme de 15 euros TTC. Lors d’une sommation interpellative réalisée par huissier le 26 mars 2007, le Défendeur a exclu toute cession gratuite du nom de domaine et a proposé que le prix de cession soit porté à 100 euros.

Le Requérant a alors saisi le Centre d’une plainte afin que le nom de domaine litigieux lui soit transmis.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant allègue que :

1. Le nom de domaine litigieux, <e-leclercshow.com>, est similaire à de nombreuses marques et noms de domaine dont il est titulaire. Il entraîne donc une confusion avec ces marques notoires et est susceptible d’induire en erreur les internautes du monde entier.

2. Le Défendeur n’a aucun droit sur les termes contenus dans le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Il ne s’agit pas de son nom patronymique et il ne prouve pas avoir obtenu une autorisation.

3. Le Défendeur a enregistré le nom de domaine de mauvaise foi car il ne pouvait pas ignorer la notoriété de l’expression “e-leclerc”. Il a aussi utilisé le nom de domaine de mauvaise foi. En effet, le site est inactif et il a tenté de monnayer la cession du nom de domaine litigieux à un prix supérieur de sa valeur.

En conséquence de quoi, le Requérant demande à la Commission administrative constituée dans le cadre de la présente procédure de rendre, conformément au paragraphe 4 i) des Principes directeurs, une décision ordonnant que le nom de domaine <e-leclercshow.com> soit transféré à son profit.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas présenté de réponse, dans les délais impartis, à la plainte déposée par le Requérant.

La Commission administrative entend cependant tenir compte d’une réponse informelle, adressée le 16 novembre 2007, par l’avocat du Défendeur. La réponse explique que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux parce qu’il avait le projet de commenter l’actualité, sur internet, en utilisant un personnage dénommé “Edy Leclercshow”. Il est aussi indiqué que le Défendeur fait l’objet d’une procédure judiciaire, intentée par le Requérant, devant le Tribunal de Grande Instance de Nanterre.

 

6. Discussion et conclusions

La Commission administrative constituée pour trancher le présent litige se cantonnera à l’application des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine. Il s’agit donc de vérifier, pour prononcer ou refuser un transfert de nom de domaine, que les conditions exprimées par les principes directeurs sont cumulativement réunies.

En vertu du paragraphe 4 a) des Principes directeurs, la procédure administrative n’est applicable qu’en ce qui concerne un litige relatif à une accusation d’enregistrement abusif d’un nom de domaine sur la base des critères suivants:

1) Le nom de domaine enregistré par le détenteur est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits;

2) Le détenteur du nom de domaine n’a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache;

3) Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi, dont le paragraphe 4 b) des Principes directeurs donne quelques exemples non limitatifs.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant prouve qu’il est propriétaire de très nombreuses marques, souvent notoires, qui sont françaises, communautaires et internationales. Elles utilisent toutes le terme “leclerc” qui est souvent précédé d’un “e” et fréquemment suivi d’un autre mot désignant l’activité concernée (ex. voyages ou photo). Le Requérant prouve, de la même façon, qu’il est propriétaire de nombreux noms de domaine similaires.

Il existe donc incontestablement une similarité entre le nom de domaine litigieux et les nombreux titres du Requérant.

Le terme “Leclerc”, associé à la lettre “e”, ne peut que susciter un risque de confusion chez un internaute moyen qui aura le sentiment d’accéder à un site officiel de l’entreprise notoire des centres distributeurs “E.leclerc”. L’ajout du terme “show” ne dissipe pas le risque de confusion puisque l’internaute d’attention moyen pensera accéder à un site dédié au divertissement géré par les centres distributeurs “E.leclerc”.

Le nom de domaine litigieux <e-leclercshow.com> ne peut donc que susciter un risque de confusion avec les marques et noms de domaine qui appartiennent au Requérant.

Pour ces raisons, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4 a) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine puisque ce dernier ne correspond pas à l’un de ses titres de propriété intellectuelle, ni à son nom patronymique, ni à un signe sous lequel il exerce une activité commerciale. En outre, il n’a jamais été autorisé à utiliser l’expression “e-leclerc”. Enfin, le Défendeur, qui est comédien et producteur, n’est absolument pas connu sous le patronyme “e-leclerc” qui ne désigne aucun personnage qu’il aurait pu interpréter ou mettre en scène.

Le Défendeur explique qu’il a enregistré le nom de domaine litigieux parce qu’il avait le projet de créer, sur internet, un personnage dénommé “Edy Leclercshow” qui commenterait l’actualité. Mais force est de constater que ce simple projet n’a jamais fait l’objet d’un commencement d’exécution notable, ni d’aucune offre de bonne foi de produits ou services.

De façon surabondante, la Commission administrative considère qu’il était loisible, au Défendeur, de trouver un nom pour désigner ce personnage qui ne porterait pas atteinte aux droits des tiers, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce.

Pour ces raisons, la Commission administrative considère que la seconde condition du paragraphe de l’article 4 a) des Principes directeurs, telle qu’éclairée par le paragraphe 4 c), est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux de mauvaise foi car il ne pouvait pas ignorer la grande notoriété de l’expression que ce dernier contenait. Il a donc refusé sciemment de procéder à un enregistrement de bonne foi d’un nom de domaine qui serait respectueux des droits légitimes des tiers.

Le Défendeur a, en outre, utilisé le nom de domaine de mauvaise foi. Les faits prouvent la volonté du Défendeur de céder ce nom de domaine à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il a pu débourser en rapport direct avec ce nom de domaine. En outre, le site désigné par le nom de domaine litigieux n’a jamais été exploité. Le Défendeur a donc voulu bloquer l’accès du Requérant à un nom de domaine qui pourrait être utile pour ses activités, tout en souhaitant, le cas échéant, se comporter en parasite pour bénéficier indûment de sa notoriété.

Pour ces raisons, la Commission administrative considère que la troisième condition du paragraphe 4 a) des Principes directeurs, telle qu’éclairée par le paragraphe 4 b), est remplie.

 

7. Décision

Vu les paragraphes 4 a), 4 b), 4 c) et 4 i) des Principes directeurs et 15 des Règles, la Commission administrative constate que :

- Le nom de domaine <e-leclercshow.com> est semblable, au point de prêter à confusion, avec les marques de produits ou de services sur lesquelles le Requérant a des droits;

- Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine <e-leclercshow.com>, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache;

- Le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine <e-leclercshow.com> de mauvaise foi.

La Commission administrative constate que les trois conditions requises par le paragraphe 4 a) des Principes directeurs sont cumulativement réunies et décide en conséquence le transfert du nom de domaine <e-leclercshow.com> au profit du Requérant.


Christophe Caron
Expert Unique

Le 5 décembre 2007