WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Hachette Filipacchi Presse contre Henri Wichlacz

Litige n° D2006-1614

 

1. Les parties

Le Requérant est Hachette Filipacchi Presse, Levallois-Perret Cedex, France, représenté par Markplus International, Paris, France.

Le Défendeur est Henri Wichlacz, Marignane-Aeroport, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Gandi SARL.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Hachette Filipacchi Presse auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 20 décembre 2006.

En date du 20 décembre 2006, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SARL aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 26 décembre 2006.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs“), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application“), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires“) pour l’application des Principes directeurs précités.

En date du 17 janvier 2007, le Centre a adressé une notification d’irrégularité formelle concernant la plainte du Requérant. Le détenteur des noms de domaine n’avait pas reconnu dans son contrat d’enregistrement la compétence de la juridiction judiciaire du lieu où l’unité d’enregistrement a son siège pour le règlement judiciaire de litiges relatifs à l’utilisation des noms de domaine. Le Requérant devait donc accepter la compétence des tribunaux où le défendeur a son domicile pour toute contestation de la part du Défendeur à l’encontre de la décision éventuellement rendue par la Commission administrative tendant au transfert ou à la radiation des noms de domaine. Le Requérant n’ayant pas accepté cette compétence, le Centre lui a notifié cette irrégularité et l’a enjoint à modifier sa plainte sous peine de la voir réputée retirée. Le Requérant s’est pleinement conformé à cette notification et a transmis sa plainte amendée au Centre le 18 janvier 2007.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 24 janvier 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 13 février 2007. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 15 février 2007 le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 27 février 2007, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

Le Requérant est Hachette Filipacchi Presse, une société d’édition et de presse notoirement connue en France et dans le monde.

Le Requérant est titulaire de nombreuses marques comportant le terme “ELLE”, déposées dans divers pays du monde entier, tels que les États-Unis, l’Australie, l’Inde.

Plus particulièrement, le Requérant est titulaire :

- en France, de diverses marques “ELLE” dont la marque “ELLE” n° 1.538.354 déposée le 27 juin 1989 et renouvelée le 13 janvier 1999 dans les classes 2, 3, 4, 6, 8, 9, 11, 12, 14, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 37, 38, 39, 40, 41 et 42;

- au niveau communautaire, de la marque figurative “ELLE” n° 3.475.365 déposée le 30 octobre 2003 dans les classes 16, 35, 38, 41 et 42.

De plus, le Requérant indique être titulaire d’un certain nombre de noms de domaine, dont notamment <elle.fr> et <elle.com>.

Le Défendeur, M. Henri Wichlacz, a enregistré les noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com> le 12 janvier 2003. Il exploite à ces adresses des sites de nature pornographique, au vu des documents communiqués par le Requérant à l’appui de sa plainte.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Conformément aux paragraphes 4.a), b) et c) des Principes directeurs et au paragraphe 3 des Règles d’application, les éléments de droit et de faits sur lesquels se fonde le Requérant sont les suivants :

Le Requérant soutient que les noms de domaine en cause sont similaires à la marque antérieure “ELLE” sur laquelle il dispose de droits. Selon lui, il en résulte un risque élevé de confusion entre d’une part les sites de nature pornographique exploités par le Défendeur et d’autre part la marque notoire “ELLE” détenue par le Requérant et les nombreux noms de domaine dont il est titulaire et comprenant soit sa marque notoire “ELLE” (<elle.com>, <elle.fr>), soit des déclinaisons de celle-ci telles que <ellepassions.com>, ou encore <ellegirl.com>.

Le Requérant soutient également que le Défendeur ne détient aucun droit sur les noms de domaine faisant l’objet du litige, et ne peut justifier d’aucun intérêt légitime s’y attachant.

Le Requérant soutient enfin que les noms de domaine ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi par le Défendeur. Selon le Requérant, le Défendeur, en tant que résident français, ne pouvait ignorer la notoriété, tant en France qu’au niveau mondial, de la marque “ELLE”, ni l’existence des sites accessibles aux noms de domaine, tels que “www.elle.com” ou “www.elle.fr”. Le Requérant reproche au Défendeur d’avoir enregistré et utilisé les noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com> dans le but de détourner à des fins lucratives les internautes et ainsi profiter des investissements mis en œuvre par le Requérant pour promouvoir sa marque “ELLE”.

Par conséquent, le Requérant sollicite la radiation des noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com>.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a transmis aucune réponse.

 

6. Discussion et conclusions

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation des noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com> par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence la radiation desdits noms de domaine.

Conformément au paragraphe 4. a) des Principes directeurs, l’Expert s’est attaché à rechercher si les trois conditions cumulatives posées par celui-ci sont réunies, à savoir :

A) Si les noms de domaine sont identiques à une marque de produit ou de service appartenant au Requérant ou suffisamment proche pour engendrer une confusion;

B) Si le Défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime à l’utilisation des noms de domaine; et

C) Si le Défendeur a enregistré et utilise les noms de domaine avec mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Il est rappelé que l’identité ou la similitude pouvant engendrer un risque de confusion doit porter sur une marque ou une dénomination sur laquelle le Requérant a des droits.

En l’espèce, le Requérant a apporté la preuve qu’il était titulaire de la marque “ELLE”, que ce soit en France ou au niveau communautaire ou international, bien avant l’enregistrement des deux noms de domaine litigieux. En outre, le Requérant a prouvé qu’il exploitait des noms de domaine reprenant sa marque “ELLE”, tels que <elle.com>, <elle.fr> ou <ellepassions.com>.

Il est toutefois incontestable que les noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com> ne sont pas identiques à la marque “ELLE” détenue par le Requérant.

L’Expert s’est donc attaché à déterminer s’il existe une similitude de nature à créer une confusion entre les noms de domaine litigieux et la marque du Requérant, et ce dans le strict cadre juridique de l’UDRP.

Comme l’indique le Requérant dans sa plainte, la marque “ELLE” est une marque notoire tant en France qu’à l’étranger, pour les produits et services qu’elle désigne, et plus particulièrement les magazines “ELLE” (magazines de mode, de décoration, de cuisine, etc), ou encore les vêtements et chaussures vendus sous la marque “ELLE”.

“Elle” est également un pronom personnel féminin de la langue française dont l’utilisation est, par définition, largement répandue.

Les noms de domaine enregistrés par le Défendeur comprennent donc le terme “elle”, qui est à la fois un pronom personnel de la langue française et une marque du Requérant, auquel sont adjoints les mots “sexe” ou “sexy”, termes génériques directement liés à la nature même des sites du Défendeur, à savoir des sites pornographiques.

Dans la décision Hachette Filipacchi Presse c. Shi Cheng, OMPI Litige n° D2005-1240, relative au nom de domaine <elleilove.com>, l’Expert a estimé que la combinaison de la marque “ELLE” avec les termes génériques de langue anglaise “i” et “love” entraînait une confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque “ELLE”. Il rappelle à cet égard qu’un nom de domaine composé d’une marque et de termes génériques peut toujours être considéré comme créant une similarité de nature à engendrer une confusion avec la marque.

Par ailleurs, dans la décision Yahoo! Inc. c. Yahoosexy.com, Yahoo-sexy.com, Yahoosexy.net, Yahousexy.com and Benjamin Benhamou, OMPI Litige n° D2001-1188, l’Expert a estimé que l’ajout du terme “Sexy” aux noms de domaine en cause, qui comprenaient intégralement la marque du requérant, ne pouvait empêcher dans l’esprit du public l’immédiate association des noms de domaine litigieux avec la marque du requérant.

Au regard de ces décisions et des circonstances de la présente espèce, l’Expert constate que l’ajout des termes “Sexe” et “Sexy” ne permettent pas de distinguer significativement les noms de domaine en cause de la marque “ELLE”, ce qui entraîne inévitablement une confusion chez les utilisateurs de l’internet entre les noms de domaine en cause et la marque du Requérant.

Par conséquent, l’Expert considère que les noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com> sont similaires à la marque “ELLE” détenue par le Requérant au point de créer une confusion avec cette dernière dans l’esprit du public.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Requérant allègue que le Défendeur ne dispose d’aucun droit ni intérêt légitime sur les noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com>.

Le Défendeur n’a pas répondu à ces allégations.

L’article 14 (b) des Règles d’application dispose que si une partie ne se conforme pas aux dispositions ou conditions des règles, la commission peut en tirer toutes les conclusions qu’elle juge appropriées.

Ainsi, en cas de défaut de réponse de la part du Défendeur, l’Expert peut en tirer toutes conséquences qu’il juge appropriées à l’égard du Défendeur (décisions Berlitz Investment Corp. c. Stefan Tinculescu, OMPI Litige n° D2003-0465, et The Vanguard Group, Inc. c. Lorna King, OMPI Litige n° D2002-1064).

Il est rappelé néanmoins que le défaut de réponse du Défendeur n’exonère pas le Requérant de prouver que le Défendeur ne dispose pas de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine qui fait l’objet du litige (décision Brooke Bollea, a.k.a. Brooke Hogan c. Robert McGowan, OMPI Litige n° D2004-0383). Cependant, au regard de la difficulté pour le Requérant de rapporter la preuve négative du défaut de droits ou d’intérêt légitime du Défendeur sur le nom de domaine, les experts admettent communément que l’obligation de prouver à la charge du Requérant est allégée. Ainsi, il est seulement demandé au Requérant de démontrer qu’à première vue, le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur le nom de domaine. Ce faisant, la charge de la preuve est alors transmise au Défendeur et ce dernier doit prouver qu’il détient des droits ou qu’il a un intérêt légitime sur le nom de domaine objet du litige (décision The Vanguard Group, Inc. c. Lorna King, OMPI Litige n° D2002-1064).

En l’espèce, le Requérant démontre être titulaire de la marque notoire “ELLE”, connue nationalement et internationalement.

Le Requérant démontre également que les termes “Elle-sexe” et “Elle-sexy” ne sont pas génériques et ne constituent pas des termes descriptifs des services proposés en ligne sur les sites internet du Défendeur. De surcroît, le Requérant allègue que le Défendeur n’est pas connu dans le monde des affaires sous ces dénominations, et affirme qu’à aucun moment il n’a conclu d’accord avec le Défendeur lui permettant d’utiliser sa marque notoire “ELLE” ou de l’incorporer dans un nom de domaine.

L’Expert considère que les éléments rapportés par le Requérant permettent de dire qu’à première vue, le Défendeur ne dispose pas de droits et n’a pas d’intérêt légitime à l’enregistrement et l’exploitation des noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com>.

Le Défendeur n’ayant pas répondu à la plainte qui lui a été notifiée alors qu’il avait l’occasion de faire valoir ses droits ou intérêts éventuels sur les noms de domaine objets du litige, l’Expert estime pouvoir en conclure que le Défendeur ne dispose pas de droits ni d’intérêt légitime sur les noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com>.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Requérant allègue que le Défendeur a enregistré et utilise de mauvaise foi les noms de domaine en cause. Il rapporte à cet égard la preuve que la marque “ELLE” est une marque notoire dont le Défendeur, en tant que résident français, ne pouvait ignorer l’existence. Selon le Requérant, le Défendeur a manifestement voulu s’inscrire dans le sillage de la notoriété de la marque notoire “ELLE” afin d’assurer un important flux de visites d’internautes sur son site et ainsi tirer profit de tous les investissements consacrés par le Requérant à la promotion de sa marque dans le monde.

A de nombreuses reprises, les Experts ont considéré que des pratiques similaires à celles mises en œuvre par le Défendeur caractérisaient la mauvaise foi.

Ainsi, dans la décision GA Modefine SA v. Armani International Invesment, OMPI Litige n° D2000-0305, l’Expert a considéré que, lorsque le défendeur n’a pas répondu à la plainte qui lui est adressée, la mauvaise foi doit être présumée en cas d’enregistrement et d’utilisation d’un nom de domaine reproduisant en totalité ou en partie une marque notoire.

Par ailleurs, dans la décision Microsoft Corporation v. Wayne Lybrand, OMPI Litige n° D2005-0020, l’Expert a rappelé que la mauvaise foi peut être caractérisée par le fait d’enregistrer un nom de domaine comprenant une marque notoire. De façon constante, les Experts estiment que la mauvaise foi résulte du fait que le défendeur devait ou aurait dû savoir qu’une marque avait été enregistrée et était utilisée antérieurement à l’enregistrement de ses noms de domaine.

En l’espèce, le Défendeur n’ayant pas répondu à la plainte, l’Expert considère que sa mauvaise foi est présumée.

De plus, l’Expert constate que la marque “ELLE” est notoirement connue en France et qu’il est inconcevable que le Défendeur ait pu ignorer reproduire intégralement cette marque en enregistrant les noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com>.

Par conséquent, l’Expert estime que le Défendeur, en enregistrant et en utilisant les noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com>, a sciemment tenté de créer une confusion avec la marque “ELLE” dans l’esprit des utilisateurs de l’internet afin de les attirer sur les sites de nature pornographique qu’il exploite.

Par conséquent, l’Expert décide que le Défendeur a enregistré et qu’il utilise les noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com> de mauvaise foi.

 

7. Décision

Conformément aux paragraphes 4.i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, l’Expert ordonne la radiation des noms de domaine <elle-sexe.com> et <elle-sexy.com>.


Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique

Le 4 avril 2007