WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Groupe Auchan contre Amadou Sow

Litige n° D2006-1581

 

1. Les Parties

Le Requérant est le Groupe Auchan, Croix, France représenté par le Cabinet Dreyfus & Associés, France.

Le Défendeur est Amadou Sow, Strasbourg, France.

 

2. Noms de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <hyperlibre.com> et <hyperlibre.net>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est : DSTR Acquisition VII, LLC d/b/a Dotregistrar.com.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) le 12 décembre 2006.

Le 15 décembre 2006, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement des noms de domaine litigieux, DSTR Acquisition VII, LLC d/b/a Dotregistrar.com, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant.

Le 19 décembre 2006, l’unité d’enregistrement, DSTR Acquisition VII, LLC d/b/a Dotregistrar.com, a confirmé au Centre l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 3 janvier 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 23 janvier 2007. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 24 janvier 2007, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 5 février 2007, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Stéphane Lemarchand. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Langue de la procédure

Conformément au contrat d’enregistrement des noms de domaines <hyperlibre.com> et <hyperlibre.net>, la procédure a été initiée et menée en anglais.

Toutefois, il ressort des éléments transmis à la Commission que les parties en cause sont domiciliées en France et que le Défendeur s’est adressé au Requérant en langue française et non en langue anglaise.

C’est la raison pour laquelle la présente décision sera rendue en français.

 

4. Les faits

Le Groupe AUCHAN, connu principalement pour son activité de vente au détail par hypermarchés et supermarchés, a diversifié celle-ci en développant des pôles immobilier, bancaire et de téléphonie fixe et mobile.

Le Requérant est ainsi titulaire de la marque française “HYPERLIBRE” n° 06 3 430 728, déposée le 24 mai 2006 et enregistrée le 17 novembre 2006.

Cette marque a été déposée afin de désigner une offre de carte pour téléphone mobile prépayée.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant sollicite de la Commission de rendre une décision ordonnant que les noms de domaine <hyperlibre.com> et <hyperlibre.net> lui soient transférés.

Au soutien de sa plainte, sur le fondement du paragraphe 4.a)b)c) des Principes directeurs et paragraphe 3 des Règles d’application, le Requérant fait valoir les arguments suivants :

Le 16 octobre 2006, le Requérant a lancé une offre de carte prépayée de téléphone mobile.

L’annonce de ce nouveau produit “HYPERLIBRE” a été faite dans le cadre d’une conférence de presse le matin du 11 octobre 2006.

Cette information a été relayée par la presse en ligne le même jour.

Le 16 octobre 2006, le Requérant recevait un message du Défendeur par lequel il reconnaissait avoir connaissance du nouveau produit “HYPERLIBRE” et proposait, par conséquent, au Requérant de lui vendre les noms de domaine <hyperlibre.com> et <hyperlibre.net>.

Il a informé également le Requérant du fait que les noms de domaine litigieux renvoyaient directement vers le site Internet de Bouygues Télécom, lequel est un concurrent direct du Requérant puisque le Groupe Auchan se présente aujourd’hui comme un nouvel opérateur mobile en France.

Par conséquent, le Requérant a sollicité de l’hébergeur des noms de domaine litigieux que ceux-ci soient rendus inactifs, ce qui a été fait.

Avant d’introduire la présente action, le Requérant a adressé une lettre de mise en demeure au Défendeur sollicitant le transfert amiable des noms de domaine litigieux.

Toutefois, cette lettre de mise en demeure est restée sans réponse.

En conséquence, dans le cadre de la présente procédure, le Requérant fait valoir que :

- Les noms de domaine litigieux sont similaires à la marque antérieure détenue par le Requérant et ainsi de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public;

- Le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;

- Les noms de domaine ont été enregistrés de mauvaise foi dans la mesure où le Requérant, domicilié en France, avait connaissance non seulement de l’existence du Requérant, mais encore de son nouveau produit “HYPERLIBRE” et qu’il n’a pas hésité à enregistrer les noms de domaine litigieux le jour même de l’annonce officielle faite du lancement de ce nouveau produit;

- Le Défendeur a contacté le Requérant afin de lui vendre les noms de domaine litigieux;

- Les noms de domaine litigieux ont été utilisés de mauvaise foi puisqu’ils renvoyaient directement vers le site de Bouygues Télécom, lequel est un concurrent direct du Requérant;

- Enfin, le Défendeur n’a pas hésité à faire du chantage au Requérant en l’informant du fait qu’en l’absence de réponse de sa part, les noms de domaine seraient vendus à ses concurrents.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a présenté aucune défense.

Il y a donc lieu de statuer au vu des seuls arguments du Requérant.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application des principes directeurs prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément au Principe directeur aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable”.

Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que :

(A) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le requérant a des droits;

(B) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;

(C) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, il y a lieu de s’attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant a établi détenir des droits, à titre de marque, sur la dénomination “HYPERLIBRE”.

Il ne saurait être contesté que les noms de domaines litigieux reproduisent à l’identique la marque “HYPERLIBRE” sur laquelle le Requérant détient des droits privatifs.

En effet, il convient de rappeler un principe énoncé par de nombreux experts selon lequel, l’adjonction du suffixe “.net” ou “.com” ne revêt pas de caractère distinctif dans le domaine des services rendus sur Internet (CBS Broadcasting Inc.v. Worldwide Webs, Inc., Litige OMPI n° D2000-0834, 4 septembre 2000).

Dès lors, cet élément n’est pas de nature à écarter le risque de confusion pouvant exister entre les signes en présence.

En conséquence, la Commission considère que les noms de domaine <hyperlibre.com> et <hyperlibre.net> sont identiques à la marque “HYPERLIBRE” détenue par le Requérant.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Défendeur n’ayant pas répondu à la plainte formée contre lui, il n’a donc apporté à la Commission aucun élément de nature à démontrer qu’il détiendrait sur les noms de domaine litigieux des droits ou intérêts légitimes.

Par conséquent et conformément au paragraphe 14.a)b) des Principes directeurs, la Commission statue au vu des seuls éléments qui lui ont été transmis par le Requérant et poursuit donc ainsi l’instruction de la plainte (InfoSpace.com, Inc v. Hari Prakash, Litige OMPI n° D2000-0076; Eauto, Inc v. Available-Domain-Names,Litige OMPI n° D2000-0120).

Il ressort ainsi des éléments communiqués par le Requérant que le Défendeur n’a aucun droit privatif sur la dénomination “HYPERLIBRE”.

En effet, il n’est pas établi que le Défendeur ait obtenu, ni même sollicité une quelconque autorisation du Requérant pour exploiter à titre de nom de domaine la marque “HYPERLIBRE”.

A cet égard, le fait que le Défendeur ait eu connaissance de la nouvelle offre de téléphonie mobile proposée par le Requérant sous la marque “HYPERLIBRE” ne l’autorisait nullement à enregistrer cette marque sous forme de nom de domaine.

En conséquence, la Commission considère que n’est pas établi l’existence ni d’un droit ni d’un intérêt légitime du Défendeur à la détention des noms de domaine <hyperlibre.com> et <hyperlibre.net>.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Il ressort des éléments communiqués par le Requérant que le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux le jour même de l’annonce officielle faite par le Requérant du lancement de son nouveau produit, à savoir une carte pour téléphone mobile prépayée dénommée “HYPERLIBRE”.

Il est manifeste que l’enregistrement des noms de domaine litigieux par le Défendeur qui, au demeurant, est domicilié en France, est loin d’être fortuit.

A cet égard, de nombreux experts ont eu l’occasion de considérer que l’enregistrement de noms de domaine intervenant peu après ou le jour même de l’annonce officielle d’un projet ou du lancement d’un nouveau produit était constitutif de mauvaise foi (Medestea Internazionale S.r.l. v. Cellasene Gold, Chris Gaunt, Litige OMPI n° D2003-0011; Litige America Online, Inc. v. Chan Chunkwong, OMPI n° D2001-1043; Guardant, Inc. v. Yongcho Kim,Litige OMPI n° D2001-0043; Airbus Deutschland Gmbh v. DOMAIN-NAME-4-SALE, Litige OMPI n° D2005-0092).

Par ailleurs, il ne saurait être contesté que le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux dans le seul but de les revendre au Requérant ou à tout le moins à un de ses concurrents directs.

Cet élément est également constitutif de mauvaise foi.

Enfin, le fait de faire rediriger les noms de domaine litigieux vers le site de Bouygues Télécom qui, à raison de l’activité développée par le Requérant en matière de téléphonie, est devenu un concurrent direct, a manifestement pour objet de nuire au Requérant et constitue également une preuve de la mauvaise foi du Défendeur.

En conséquence, au vu de l’ensemble de ces éléments, la Commission considère que les noms de domaine <hyperlibre.com> et <hyperlibre.net> ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi.

 

7. Décision

Les conditions posées à l’article 4)a) des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine étant réunies, la Commission Administrative décide en conséquence le transfert des noms de domaine <hyperlibre.com> et <hyperlibre.net> au profit du Requérant.


Stéphane Lemarchand
Expert Unique

Date : 16 février 2007