WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

La Française des Jeux contre Jean-Claude Moretti

Litige n° D2006-0330

 

1. Les parties

Le Requérant est La Française des Jeux, Boulogne Billancourt, France, représenté par Inlex Conseil, France.

Le Défendeur est Jean-Claude Moretti, La Gaude, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <lotofr.com>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Gandi SARL.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par La Française des Jeux auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le Centre) en date du 16 mars 2006.

En date du 21 mars 2006, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SARL, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 21 mars 2006.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les Règles d’application), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les Règles supplémentaires) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 23 mars 2006, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une Réponse était le 12 avril 2006. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 11 avril 2006.

En date du 21 avril 2006, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Martine Dehaut. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

En date du 3 mai 2006, la Commission administrative a sollicité auprès du Centre l’obtention d’information complémentaires relatives à la justification de l’existence des droits invoqués par le Requérant à l’appui de sa demande. Ses éléments lui ont été transmis le 4 mai 2006.

 

4. Les faits

Les faits détaillés ci-après ont dûment été exposés et prouvés par le Requérant, et leur véracité n’a pas été contestée par le Défendeur.

Le Requérant indique notamment dans sa plainte que “La Française des Jeux est une société française notoire spécialisée dans les jeux de hasard et d’argent. Elle crée, développe et vend des jeux de loterie, principalement à travers la France” .

Après avoir constaté l’existence du nom de domaine lotofr.com, réservé au nom du Défendeur, le Requérant a pris contact avec ce dernier, par courrier, le 15 juin 2005, et par l’intermédiaire de son mandataire le 28 décembre 2005, afin d’en obtenir le transfert à l’amiable. Dans sa réponse du 10 juillet 2005, le Défendeur indiquait que “le site <lotofr.com> ne fait rien d’illégal et ne porte pas préjudice à La Française des Jeux (bien au contraire, serions-nous tentés de dire). Dans ces conditions, vous comprendrez que nous n’avons absolument pas l’intention d’abandonner le nom de domaine <lotofr.com> ni l’activité de ce site qui constitue le résultat de notre passion”.

Le nom de domaine litigieux héberge un site actif dont le contenu est ainsi décrit par le Défendeur: “Le site ne parle que du loto français et propose la consultation des statistiques liées aux tirages passés ainsi que des systèmes de réduction permettant de jouer plusieurs N° en les associant intelligemment afin d’obtenir une garantie minimale. Un service supplémentaire est proposé à ceux qui le veulent: la réception des résultats le soir même du tirage dans une boîte email”.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant invoque à l’appui de sa plainte de nombreuses marques composées du terme LOTO dont les droits de marque suivants :

- LOTO (marque figurative) n° 99782889 déposée le 25 mars 1999;

- LOTO (marque figurative) n° 662389 déposée le 22 avril 1983 et régulièrement renouvelée.

Le Requérant estime que le nom de domaine <lotofr.com> est similaire aux marques LOTO dont il est titulaire, l’adjonction du suffixe “fr” renforçant le risque de confusion entre les signes.

Le Requérant expose par ailleurs que le Défendeur n’a aucun intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, lequel a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Concernant ce deuxième point, le Requérant insiste notamment dans sa plainte sur la nationalité française du Défendeur, lequel ne pouvait raisonnablement ignorer l’existence de la marque française LOTO.

B. Défendeur

Le Défendeur conteste quant à lui l’argument selon lequel le nom de domaine <lotofr.com> aurait fait l’objet d’une réservation frauduleuse en s’appuyant notamment sur le fait que le nom utilisé est représentatif du contenu du site vers lequel il dirige.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :

- Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits,

- Le Défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache,

- Le nom de domaine est enregistré et utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission relève en premier lieu que le Requérant a dûment établit les droits qu’il détenait sur le terme LOTO à titre de marque, ce qui n’est pas contesté par le Défendeur.

Le terme “LOTOFR” est constitué de la racine “LOTO” et de la désinence “FR”.

S’il est vrai que le Requérant n’est pas titulaire d’une marque identique au nom “LOTOFR”, ce nom peut toutefois être considéré comme faisant partie de la famille de marques “LOTO” appartenant au Requérant et conduire indûment le public à leur attribuer une origine commune. On relèvera en effet que dans le nom “LOTOFR” pris dans son ensemble, la racine “LOTO” prédomine, de par sa taille et sa position d’attaque. L’adjonction de la désinence “FR”, indication descriptive comprise par tout internaute comme une référence au domaine “.fr” correspondant au code pays désignant la France ou, comme le précise le Défendeur comme une indication du fait que le site actif sous le nom de domaine <lotofr.com> a pour objet le Loto français, n’est pas de nature à remettre en cause la proximité existant entre les marques “LOTO” du Requérant et le nom de domaine <lotofr.com>.

Dans ces conditions, le nom de domaine <lotofr.com> doit être considéré comme similaire aux marques LOTO du Requérant.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Requérant indique que le Défendeur n’a jamais utilisé la marque LOTO, ni antérieurement ni postérieurement à l’utilisation qui en est faite par le Requérant, n’a jamais été connu sous la dénomination LOTO, n’a jamais enregistré de marques LOTO ou plus largement de combinaisons comprenant la dénomination LOTO et n’a en aucune manière été autorisé par le Requérant à utiliser la marque “LOTO” à quelque titre que se soit ou à réserver le nom de domaine LOTOFR.COM..

Dans la mesure où le nom de domaine a été utilisé par le Défendeur à des fins lucratives telles que présentes ultérieurement sous paragraphe 6C, ce qui selon la Commision administrative ne constitue pas un usage du nom de domaine en bonne foi, et en l’absence de preuve contraire des droits, ou un intérêt légitime sur le nom de domaine <lotofr.com> il y a lieu de considérer que il n’y a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l’une des circonstances suivantes est susceptible d’établir que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi :

i) Les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine,

ii) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique,

iii) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent, ou

iv) En utilisant ce nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

Il ressort clairement des documents fournis par le Requérant que sa marque LOTO bénéficie d’une notoriété très élevée sur le territoire français. En conséquence, le Défendeur, personne physique de nationalité française et résidant en France ne pouvait ignorer à la date de la réservation de son nom de domaine <lotofr.com>, la marque LOTO du Requérant et l’usage intensif qu’elle en faisait sur le territoire français.

Les déclarations du Défendeur dans son courrier du 10 juillet 2005, ne laissent aucun doute à cet égard, cette connaissance résultant par ailleurs des termes de la réponse déposée par le Défendeur auprès du Centre le 11 avril 2006, lequel fait valoir que le site actif sous le nom de domaine <lotofr.com> “parle des tirages du loto français” faisant de ce fait incontestablement référence aux services fournis par la Requérante sous les marques LOTO, l’une d’entre elles étant d’ailleurs reproduite sur le site Internet <lotofr.com>.

Cette connaissance étant établie, il ressort de la plainte déposée par le Requérant et de la lettre du Défendeur du 9 octobre 2005, que le site <lotofr.com> n’était accessible, dans sa précédente version, que sous la condition d’un engagement de rétribution de 5% des gains que l’internaute venait à gagner. Ceci démontre sans équivoque qu’en utilisant ce nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque “LOTO” du Requérant.

Enfin, si, en application de l’article 4 (b) des Principes directeurs, la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, de certaines circonstances visées aux articles 4(b)(i),(ii),(iii) et (iv), une telle liste n’est pas limitative, la preuve de la mauvaise foi du défendeur pouvant également résulter de circonstances de fait autres que celles énumérées dans cet article.

A cet égard, dans sa réponse déposée auprès du Centre le 11 avril 2006, le Défendeur invite la Commission à consulter la rubrique “Coup de gueule” figurant sur le site <lotofr.com>. L’examen de cette rubrique laisse apparaître que celle-ci contient différentes allégations relatives à certaines pratiques du Requérant, présentées de manière critique, portant de ce fait atteinte à la réputation de la marque LOTO du Requérant :

- Pourtant, dans certains cas, La Française des Jeux se donne le droit de ne pas redistribuer ces sommes. Elle "confisque" certain gros lot pour pouvoir en faire des "super cagnotte".

- Obligation de jouer aux deux tirages du jour : De tous les changements apportés depuis 1976, celui-ci est certainement le plus "pervers".

Un tel comportement consistant à réserver un nom de domaine reproduisant la marque de la Requérante et à diriger de ce fait les internautes sur un site contenant des propos portant atteinte à la réputation de la Requérante doit également être pris en considération s’agissant de l’appréciation des éléments constitutifs de mauvaise foi caractérisés ci-dessus.

 

7. Décision

Pour les motifs exposés ci-dessus, et en application du Paragraphe 4(i) des Principes Directeurs, et du Paragraphe 15 des Règles, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine <lotofr.com> au profit du Requérant.


Martine Dehaut
Expert Unique

Le 9 mai 2006