WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Colliers De Noisetier Inc., Geneviève Lagacé, Patrick Lafond contre Collier de Noisetier Avellana

Litige No. D2006-0090

 

1. Les parties

Les Requérants sont Colliers De Noisetier Inc., Geneviève Lagacé et Patrick Lafond, Martinville, Québec, Canada, représentés par Heenan Blaikie, Canada.

Le Défendeur est Collier de Noisetier Avellana, Wotton, Québec, Canada, représenté par Fontaine, Panneton & Associés, Canada.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <collierdenoisetier.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Tucows Inc.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Colliers De Noisetier Inc., Geneviève Lagacé et Patrick Lafond auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 19 janvier 2006.

En date du 20 janvier 2006, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Tucows Inc., aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par les Requérants. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 20 janvier 2006.

Après avoir reçu, le 6 février 2006, les copies papier de la plainte, le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Le 10 février 2006, le Centre a adressé aux Requérants une notification d’irrégularité de la plainte conformément à l’article 4(b) des Règles d’application, ayant relevé les irrégularités de formes suivantes :

- d’après les informations transmises par l’unité d’enregistrement, le détenteur du nom de domaine en litige tel qu’apparaissant dans le registre Whois (Collier de Noisetier Avellana) n’est pas la personne citée comme défendeur dans la plainte originale (Avellana Inc et Julie-Anne Morin);

- la plainte ne précise pas la ou les marques de commerce sur lesquelles s’appuie la plainte et ne décrit pas les produits ou les services, le cas échéant, pour lesquels la marque est utilisée, conformément à l’article 3.viii) des Règles d’application.

En application de l’article 4.b) des Règles, les Requérants ont disposé d’un délai de cinq jours à compter de la date de cette notification pour régulariser leur plainte.

Le Centre a par ailleurs accepté, en application du Paragraphe 11 des Règles, sous réserve toutefois de l’absence d’opposition du Défendeur, que la langue de la procédure soit le français et non l’anglais, langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine, objet de la présente procédure, compte tenu du fait que les deux parties sont résidentes du Québec et que le Centre a reçu des communications en langue française de la part des conseils des deux parties. Le défendeur a confirmé ne pas s’opposer à ce choix de langue.

En date du 15 février 2006, les Requérants ont adressé au Centre, par courrier électronique, une plainte amendée. Le 16 février 2006, le Centre a accusé réception du dépôt de la plainte amendée.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 22 février 2006, une notification de la plainte telle qu’amendée et valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 14 mars 2006. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 13 mars 2006.

En date du 24 mars 2006, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

Les Requérants sont la société Colliers De Noisetier Inc. d’une part, et Geneviève Lagacé et Patrick Lafond, dirigeants de cette société, d’autre part. La société Colliers De Noisetier Inc. a pour objet la fabrication et la vente de colliers en noisetier, également appelés “colliers de dentition”.

Geneviève Lagacé et Patrick Lafond ont débuté leur activité en 2002, en constituant une société en nom collectif dénommée “Colliers de noisetier” et immatriculée auprès du Registraire des entreprises le 7 novembre 2002. Cette société a été dissoute et Geneviève Lagacé et Patrick Lafond ont poursuivi leur activité en constituant la société “Colliers de noisetier Inc.”, immatriculée auprès du Registraire des entreprises le 23 octobre 2003.

Entre 2002 et 2003, les Requérants et Julie-Anne Morin, présidente de la société Défenderesse, se sont trouvés en relation d’affaire. Pendant cette période, Julie-Anne Morin a en effet exercé une activité d’achat et de revente des colliers de noisetier fabriqués par les Requérants.

Julie-Anne Morin a ensuite débuté sa propre activité de fabrication et de vente de colliers de noisetier. Le 31 janvier 2003, elle a procédé à son immatriculation auprès du Registraire des entreprises en tant qu’artisan fabricant de produits de noisetiers, sous son propre nom ainsi que sous le nom “Colliers de noisetier”. Le 25 mars 2003, Julie-Anne Morin a procédé à une modification de ce nom en adjoignant à “Colliers de noisetier” le mot “Avellana”. Elle a ensuite poursuivi son activité par le biais de la société en nom collectif “Avellana Colliers de noisetiers”, immatriculée le 4 mars 2004, puis de la société “Avellana Inc.”, immatriculée le 10 février 2005.

L’expression “colliers de noisetier” ou “collier de noisetier” n’a pas fait l’objet d’un enregistrement à titre de marque par l’une ou l’autre des parties.

Les Requérants sont titulaires du nom de domaine <colliersdenoisetier.com>, depuis le 1er août 2003. Cette adresse renvoie vers le site “www.collierdedentition.com” sur lequel les Requérants présentent et commercialisent leurs produits.

Les Requérants ont constaté que le Défendeur est titulaire du nom de domaine <collierdenoisetier.com> depuis le 22 octobre 2004, et que cette adresse renvoie vers le site “www.avellana.ca” sur lequel le Défendeur présente et commercialise ses produits.

Considérant que cet enregistrement porte atteinte à leurs droits, les Requérants ont saisi le Centre d’une demande de transmission à leur profit du nom de domaine <collierdenoisetier.com> et subsidiairement d’une demande de radiation de ce nom de domaine.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérants

Les Requérants font valoir que le nom de domaine <collierdenoisetier.com> utilisé par le Défendeur est semblable, au point de prêter à confusion, à l’expression “Colliers de noisetier” qu’ils utilisent depuis 2002, pour commercialiser leurs produits.

Les Requérants estiment détenir des droits exclusifs sur cette expression, bien que celle-ci ne soit pas enregistrée à titre de marque. Les Requérants soutiennent en effet que cette expression constitue une marque de commerce de Common law, sur laquelle ils ont seuls des droits, compte tenu de l’antériorité de leur activité par rapport à celle du Défendeur.

Les Requérants soutiennent que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine <collierdenoisetier.com> ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Ils considèrent avoir utilisé l’expression “Collier de noisetier” et ainsi détenu une marque de commerce bien avant que le Défendeur ne fasse à son tour utilisation de cette expression. Ils rappellent par ailleurs que, Julie-Anne Morin ayant travaillé avec les Requérants avant 2003, le Défendeur savait pertinemment que les Requérants utilisaient “collier de noisetier” pour l’exercice de leur activité commerciale. Les Requérants font également valoir l’antériorité de l’enregistrement du nom de domaine <colliersdenoisetier.com> sur l’enregistrement de <collierdenoisetier.com>.

Les Requérants estiment que le nom de domaine <collierdenoisetier.com> a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Ils considèrent que l’enregistrement de ce nom de domaine a essentiellement pour objet de perturber les opérations commerciales des Requérants. De même, ils estiment que cette utilisation est de mauvaise foi au motif qu’en redirigeant les internautes sur le site “www.avellana.ca”, le Défendeur démontre son intention d’attirer les internautes sur son propre site à des fins lucratives et de semer la confusion dans l’esprit de ces internautes.

B. Défendeur

Le Défendeur constate que les Requérants admettent n’avoir enregistré aucune marque de commerce pour l’expression “Colliers de noisetier” et que ceux-ci fondent ainsi leur droit uniquement sur l’antériorité de l’usage de cette expression.

Le Défendeur soutient toutefois qu’un tel usage ne peut conférer un droit à une marque lorsqu’il s’agit de termes aussi génériques que “Colliers de noisetier”. Le Défendeur se fonde à cet égard sur les décisions Shopping.com v Internet Action Consulting, Litige OMPI No. D2000-0439et France Telecom v Les pages jaunes francophones, Litige OMPI No. D2000-0489.

Le Défendeur considère par ailleurs qu’il justifie tout autant d’un intérêt légitime attaché au nom de domaine <collierdenoisetier.com> compte tenu du fait que Julie-Anne Morin, Présidente de la société Défenderesse, a commercialisé ses produits en utilisant l’expression “Colliers de noisetier” dès le 31 janvier 2003, date de sa première immatriculation au Registraire des entreprises, soit avant l’enregistrement par les Requérants du nom de domaine <colliersdenoisetier.com>.

Subsidiairement, le Défendeur fait valoir qu’en vertu de la loi québécoise sur la publicité légale, l’inscription d’un nom dans les registres ne donne pas un droit sur ce nom.

Enfin, le Défendeur fait valoir son absence de mauvaise foi dans l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine <collierdenoisetier.com>. Il estime en effet avoir fait usage de l’expression “Colliers de noisetier” sur internet dès le 15 mai 2002, c’est-à-dire avant que les Requérants ne débutent leur activité en constituant la société en nom collectif “Colliers de noisetier” (immatriculée le 7 novembre 2002).

En soutien de cet argument, le Défendeur produit plusieurs pages imprimées à partir de sites internet de référencement (“La Toile du Québec”, “MSN”, “Francité”) et sur lesquels l’expression “Colliers de noisetier” est associée à Julie-Anne Morin ou au site internet tenu à l’époque par cette dernière.

Le Défenseur observe également que les Requérants ont tout d’abord préféré utiliser l’expression “Collier de dentition”, en décembre 2001 sous la forme <collierdedentition.homestead.com> et à partir du 4 janvier 2002 en enregistrant le nom de domaine <collierdedentition.com> auprès de l’unité d’enregistrement, le nom de domaine <colliersdenoisetier.com> exploité actuellement par les Requérants renvoyant d’ailleurs vers le site web “www.collierdedentition.com”.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément au Principes directeurs aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable”.

Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose aux Requérants de prouver contre le Défendeur cumulativement que :

(a) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle les Requérants ont des droits;

(b) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;

(c) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé par le Défendeur de mauvaise foi.

En conséquence, chacune de ces conditions doit être remplie par les Requérants afin que ces derniers obtiennent gain de cause.

Identité ou similitude prêtant à confusion

Les Requérants ont établi être titulaires du nom de domaine <colliersdenoisetier.com> préalablement à l’enregistrement du nom de domaine, objet de la présente procédure.

Il ne saurait être contesté que le nom de domaine <collierdenoisetier.com>, objet de la présente procédure, reproduit quasiment à l’identique l’expression “Colliers de noisetier” utilisée par les Requérants.

En effet la seule différence entre le nom de domaine utilisé par les Requérants et celui utilisé par le Défendeur réside dans l’emploi du mot “collier” au pluriel (pour les Requérants) ou au singulier (pour le Défendeur).

Le risque de confusion entre les expressions en présence ne fait donc aucun de doute.

En revanche, les Requérants ont admis ne pas détenir de droits, à titre de marque enregistrée, sur l’expression “Colliers de noisetier”.

Les Requérants revendiquent néanmoins un droit exclusif sur l’expression “Colliers de noisetier” au titre de “marque de commerce de Common law”, c’est-à-dire de marque non enregistrée.

La Commission considère qu’il est effectivement possible que des droits, à titre de marque, soient acquis à travers le seul usage d’une dénomination, sans qu’il y ait eu enregistrement effectif de celle-ci (Uitgerverij crux v. W. Frederic Isler, Litige OMPI No. D2000-0575).

Toutefois la Commission estime que pour pouvoir prétendre détenir des droits sur une marque non enregistrée, les Requérants doivent établir en quoi celle-ci apparaît comme distinctive (Skattedirektoratet v. Eivind Nag, Litige OMPI No. D2000-1314). La Commission considère qu’en l’espèce la dénomination utilisée, constituée de termes génériques, ne saurait être vue comme intrinsèquement distinctive.

En effet, sont génériques les termes dont le public a besoin pour désigner une catégorie de biens ou de services et qui ne peuvent servir à identifier un produit ou un service en particulier (Skattedirektoratet v. Eivind Nag, Litige OMPI No. D2000-1314).

En l’espèce la dénomination “Colliers de noisetier”, utilisée par les Requérants pour désigner des colliers dont le bois de noisetier est la principale matière première, doit être, au sens de la Commission, qualifiée de non distinctive au regard du caractère générique des termes en présence.

Toutefois une dénomination, même non intrinsèquement distinctive, pourra prétendre à la protection au titre de marque non enregistrée, s’il est possible d’établir que cette dénomination a acquis un “secondary meaning”, c’est-à-dire s’il est possible d’établir qu’une partie substantielle du public associe la dénomination à une source particulière du produit ou du service.

Les éléments pris en compte pour établir ce “secondary meaning” sont la durée et le montant des ventes réalisées sous cette dénomination, la nature et l’ampleur de la publicité réalisée pour les produits ou services portant cette dénomination, les études de consommation et la reconnaissance médiatique de cette dénomination (Amsec Enterprises, L.C. v. Sharon McCall, Litige OMPI No. D2001-0083).

En l’espèce, les seuls éléments de preuves présentés par les Requérants concernent la durée de l’exploitation de la dénomination “Colliers de noisetier”. Ceux-ci établissent avoir vendus leurs produits sous la dénomination “Colliers de noisetier” dès le 7 novembre 2002.

La Commission considère que cet élément, à lui seul, n’est pas de nature à établir qu’une partie substantielle du public associe la dénomination “Colliers de noisetier” aux seuls colliers fabriqués par les Requérants.

La Commission en conclut qu’il n’est pas possible de considérer que les Requérants détiennent des droits, à titre de marque même non enregistrée, sur la dénomination “Colliers de noisetier”.

En conséquence, la Commission considère que les Requérants ne satisfont pas à la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

Le fait que cette condition ne soit pas remplie étant rédhibitoire, il n’apparaît pas nécessaire d’étudier plus avant les autres éléments discutés par les parties.

 

7. Décision

La condition posée à l’article 4(a)(i) des Principes directeurs n’est pas remplie. La Commission, conformément à l’article 15 des Règles d’application, décide en conséquence de rejeter les demandes des Requérants visant à obtenir le transfert à leur profit du nom de domaine <collierdenoisetier.com> et subsidiairement la radiation de celui-ci.


Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique

Le 7 avril 2006