WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Tang Freres contre Quang-Duc Ta / Takedat

Litige n° D2006-0077

 

1. Les parties

Le requérant est Tang Freres, Paris, France, représenté par Inlex Conseil, France.

Le défendeur est Quang-Duc Ta / Takedat, Takedat-Consulting, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <tang-freres.net> et <tangfreres.net>.

Les unités d’enregistrement auprès desquelles les noms de domaine sont enregistrés, sont Online SAS et OVH.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Tang Freres auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 18 janvier 2006.

En date du 18 janvier 2006, le Centre a adressé une requête aux unités d’enregistrement des noms de domaine litigieux, Online SAS et OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Les unités d’enregistrement ont confirmé l’ensemble des données du litige en date du 20 janvier 2006.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 23 janvier 2006, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 13 février 2006. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 27 janvier 2006.

En date du 8 février 2006, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Stéphane Lemarchand. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

Le Requérant, la société Tang Frères est une société d’import-export et de distribution de gros et de détail de produits alimentaires asiatiques.

Le Requérant justifie être titulaire notamment des marques suivantes :

- marque dénominative TANG FRERES n° 1449450 déposée en France le 11 février 1988, en classes 29, 30 et 31;

- marque dénominative internationale TANG FRERES n° 531173 déposée le 10 août 1988, et désignant l’Allemagne, le Bénélux, l’Espagne, l’Italie et le Portugal;

- marque semi-figurative TANG FRERES n°013123622 déposée en France le 1er octobre 2001, en classes 29, 30, 31, 32, 33 et 42.

Le Défendeur, Monsieur Quang-Dug TA a enregistré les noms de domaine litigieux <tangfreres.net> et <tang-freres.net> le 31 octobre 2003.

Le 5 juillet 2005, le Requérant a constaté l’existence de ces noms de domaine et l’absence de site web rattaché à ces noms de domaine. Il a fait établir un constat par un agent assermenté de l’APP le 13 juillet 2005.

Le 2 août 2005, le Requérant constatait qu’il n’y avait toujours aucun site web de rattaché à ces noms de domaine.

Le 1er septembre 2005, le conseil du Requérant a adressé une lettre de mise en demeure au Défendeur par courrier recommandé. Ce courrier n’a été suivi d’aucune réponse malgré deux relances.

Le 26 septembre 2005, le Requérant a pu constater un changement d’unité d’enregistrement au profit de Planet Internet Services et la mise en ligne selon le Requérant “d’un pseudo site Internet”.

Le 14 octobre 2005, le Requérant a constaté une modification du “pseudo site Internet” attaché aux noms de domaine litigieux.

Le 7 novembre 2005, le Requérant a constaté un nouveau changement d’unité d’enregistrement au profit de Online SAS / Bookmyname et OVH.

Le 22 novembre 2005, une sommation interpellative, à la demande du Requérant, a été délivrée par huissier au Défendeur. La sommation a été acceptée et le Défendeur a répondu qu’il n’y avait pas de confusion possible dans la mesure où les sites web rattachés aux noms de domaine ne sont pas des sites marchands.

Les 25 novembre et 7 décembre 2005, le Requérant a pu constaté de nouvelles modifications du site internet rattaché aux noms de domaine litigieux.

Ces noms de domaines mènent actuellement sur une page de bienvenue intitulée “Dynastie Tang”.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Les noms de domaine <tangfreres.net> et <tang-freres.net> reprennent à l’identique les marques et la dénomination sociale du Requérant.

Le Défendeur n’est pas connu sous le nom de “Tang Frères” et ne possède aucune marque correspondante.

Le Requérant n’a jamais accordé de licence ou tout autre type d’autorisation au Défendeur pour utiliser ses marques TANG FRERES.

Le “site web de blog” intitulé “Dynastie Tang” et élaboré par le Défendeur suite à l’envoi de la lettre de mise en demeure n’est pas la démonstration d’un usage de bonne foi mais constitue une tentative de justification, a posteriori, des noms de domaine litigieux. Si le Défendeur avait véritablement souhaité réaliser un site Internet dédié à la Dynastie Tang, il aurait réservé un nom de domaine correspondant.

Le Requérant jouit d’une renommée dont bénéficie en particulier son supermarché situé dans le 13ème arrondissement, arrondissement dans lequel le Défendeur est domicilié.

Par conséquent, le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence du Requérant.

Le Défendeur a également enregistré le nom de domaine <paris-store.net> qui est l’un des principaux concurrent du Requérant. Il a également enregistré les noms de domaine <cestmonchoix.info> et <nullepartailleurs.info> correspondant à des émissions télévisée connues.

Le Défendeur est donc coutumier de la pratique de réservation de noms de domaine correspondant à des dénominations sur lesquelles des tiers ont des droits privatifs.

Le Défendeur a changé plusieurs fois d’unité d’enregistrement, tentant ainsi d’échapper aux réclamations légitimes du Requérant.

B. Défendeur

Il n’y a aucune confusion entre les noms de domaine enregistrés par le Défendeur et ceux enregistrés par le Requérant.

Les sites internet exploités sous les noms de domaine litigieux sont des sites d’information sur l’histoire de la Chine ancienne et plus particulièrement sur la 13ème dynastie chinoise TANG.

Le Défendeur n’a pas utilisé les logos, marques ou autres sigles du Requérant sur ses sites Internet.

Il ne peut être reproché à une personne d’origine chinoise de créer un site Internet consacré à l’histoire du pays de ses aïeux.

Le Défendeur, bien que demeurant dans le 13ème arrondissement de Paris et d’origine chinoise n’est pas censé connaître le Requérant.

Les sites Internet exploités sont non lucratifs.

L’adoption des noms de domaine <tangfreres.net> et <tang-freres.net> pour exploiter un site Internet sur l’histoire de la dynastie Tang est le fruit du hasard.

Il y aurait eu acte de cybersquatting si le Défendeur avait déposé les noms de domaine dans toutes les extensions disponibles.

Le Défendeur n’a jamais proposé à la vente les noms de domaine litigieux.

Le changement successif de registrars a pour seul objet de prolonger la durée de vie des noms de domaine. A aucun moment il n’y a eu de changement de propriétaire.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application des principes directeurs prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément au Principe directeur aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable”.

Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que :

(A) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits;

(B) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;

(C) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, il y a lieu de s’attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant a établi détenir des droits, à titre de marque, sur la dénomination TANG FRERES.

Il ne saurait être contesté que les noms de domaines litigieux reproduisent à l’identique la marque TANG FRERES sur laquelle le Requérant détient des droits privatifs.

A cet égard, il convient de rappeler un principe énoncé par de nombreux experts selon lequel l’adjonction du suffixe “.net” ou “.com” ne revêt pas de caractère distinctif dans le domaine des services rendus sur Internet. (CBS Broadcasting Inc.v. Worldwide Webs, Inc., OMPI Litige No. D2000-0834).

Dès lors, cet élément n’est pas de nature à écarter le risque de confusion pouvant exister entre les signes en présence. Il en est de même s’agissant de l’adjonction d’un tiret entre les mots TANG et FRERES.

En conséquence, la Commission considère que les noms de domaine <tangfreres.net> et <tang-freres.net> sont identiques à la marque TANG FRERES détenue et exploitée par le Requérant.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Défendeur ne justifie d’aucun droit privatif sur la dénomination TANG FRERES ni d’aucun intérêt légitime.

En effet, la création suite à l’envoi de la lettre de mise en demeure, d’un site Internet dédié à l’histoire de la Chine ancienne et plus particulièrement à la Dynastie Tang pour justifier d’un intérêt légitime à la détention des noms de domaine litigieux est loin d’être convaincant.

A cet égard, il ressort des documents communiqués par le Défendeur que l’histoire de la Dynastie TANG ne fait nullement référence à la notion de “frères”, en revanche le terme “Empereur” est plus largement employé.

Dès lors, si le Défendeur est en droit d’exploiter un site Internet dédié notamment à l’histoire de la Dynastie TANG sous un nom de domaine pouvant évoquer cette dynastie, en revanche il ne justifie nullement d’un intérêt légitime à la détention d’un nom de domaine associant les termes “tang” et “freres”, termes sur lesquels une société tierce détient des droits privatifs.

En outre, le site Internet exploité sous les noms de domaine litigieux n’est aujourd’hui qu’à l’état de projet, plus précisément il s’agit d’une simple page d’accueil de blog. Aucune information n’y est donnée sur la Dynastie Tang.

Dès lors le Défendeur ne justifie pas de réels préparatifs sérieux à l’exploitation du site Internet et encore moins d’une réelle exploitation du site Internet accessible par les noms de domaine litigieux.

Enfin, il n’est pas établi que le Défendeur ait obtenu, ni même sollicité une quelconque autorisation du Requérant pour exploiter à titre de nom de domaine la marque TANG FRERES.

En conséquence, la Commission considère que n’est pas établi l’existence d’un intérêt légitime du Défendeur à la détention des noms de domaine <tangfreres.net> et <tang-freres.net>

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Requérant justifie exploiter sa marque pour désigner notamment un supermarché renommé plus particulièrement pour sa large gamme de produits asiatique. Ce supermarché est situé dans le 13ème arrondissement de Paris.

Dès lors, le Défendeur, d’origine asiatique, étant domicilié dans le 13ème arrondissement de Paris, il est raisonnable de croire, dans les circonstances, que ce dernier connaissait l’existence de la marque TANG FRERES au moment de l’enregistrement des noms de domaine litigieux.

Ainsi, il y a tout lieu de croire que l’enregistrement des noms de domaine <tangfreres.net> et <tang-freres.net> n’est pas le fruit du hasard comme le prétend le Défendeur mais a pour objet d’empêcher le Requérant d’enregistrer sa marque sous l’extension “.net”.

Par ailleurs, l’utilisation des noms de domaine litigieux est préjudiciable au Requérant dans la mesure où elle a pour conséquence de créer une confusion dans l’esprit de l’internaute, lequel pensant obtenir des informations sur les produits vendus sous la marque TANG FRERES, sera surpris de constater que les noms de domaine litigieux correspondant à la marque du Requérant ne mènent nullement vers un site du Requérant mais sur un blog dédié à l’histoire de la Chine ancienne et de la dynastie TANG sur lequel, au surplus, aucune information n’est accessible.

En outre, le fait de réaliser une ébauche de site Internet après la réception d’une lettre de mise en demeure démontre l’absence de bonne foi. En effet, une telle exploitation a pour unique objet de tenter d’échapper aux conséquences d’un potentiel acte fautif mais nullement de justifier de l’exploitation par le biais d’un site Internet d’un projet mûri de longue date.

Enfin, le fait que le Défendeur ait procédé à l’enregistrement d’autres noms de domaine correspondant à des titres d’émissions télévisées connues du public français ou à la dénomination du principal concurrent du Requérant peut être considéré comme un élément circonstantiel offrant un certain support à la thèse de la mauvaise foi.

En conséquence, au vu de l’ensemble de ces éléments, la Commission considère que les noms de domaine <tangfreres.net> et <tang-freres.net> ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi.

 

7. Décision

Les conditions posées à l’article 4)a) des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine étant réunies, la Commission Administrative décide en conséquence le transfert des noms de domaine <tangfreres.net> et <tang-freres.net> au Requérant.

 


 

Stéphane Lemarchand
Expert Unique

Le 22 février 2006