WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Banque Accord contre Lycos France

Litige n° DFR 2005-0021

 

1. Les parties

Le Requérant est La Banque Accord SA, Croix, France, représentée par Nathalie Dreyfus, Paris, France.

Le Défendeur est Lycos France, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <oneybanque.fr> enregistré le 12 septembre 2005.

Le prestataire Internet est la société United-Domains AG.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le ”Centre”) a été reçue le 1er décembre 2005, par courrier électronique et le 8 décembre 2005, par courrier postal.

Le 1er décembre 2005, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 12 décembre 2005, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la ”Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la plainte, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur le 12 décembre 2005. Le défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a adressé le 9 janvier 2006 aux parties une notification de défaut du défendeur.

Le 18 janvier 2006, le Centre nommait Christian Le Stanc comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le requérant, la Société Banque Accord, filiale d’une entreprise de la grande distribution, propose en France divers services financiers et bancaires.

Elle est titulaire de droits de marques dans nombre de pays sur le signe ONEY pour désigner notamment lesdits services financiers. Elle dispose également d’un site internet ouvert sous le nom <oney.fr> qui promeut à l’égard de sa clientèle cette activité de banque et de dispense de crédit.

Le requérant a ultérieurement perçu le fait qu’un nom de domaine <oneybanque.fr> avait été enregistré par la société Lycos France et que ce nom renvoyait les internautes vers le site <oney.fr> du requérant via une plateforme d’affiliation, propriété de la société Cibleclick; système qui permettait au défendeur d’être rémunéré à chaque fois qu’un internaute accédant à <oneybanque.fr> était redirigé vers le site du requérant.

Il s’est avéré, en outre, que le défendeur, la société Lycos France, avait enregistré le nom <oneybanque.fr> pour compte d’une personne physique tierce domiciliée à l’étranger, pour contourner les règles de nommage du .fr, personne physique dont l’identité a pu être trouvée après diverses difficultés.

Le requérant a tenté en vain d’obtenir amiablement la rétrocession du nom en cause de l’Unité d’enregistrement, du réservataire mandataire et du mandant titulaire du nom.

Le requérant sollicite, en application de l’article 20(c) du Règlement que le le nom de domaine <oneybanque.fr> lui soit transféré dans le cadre de la présente procédure.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le requérant retrace liminairement les démarches accomplies pour savoir, au-delà du titulaire Lycos France du nom en cause, titulaire seulement apparent selon le requérant, quelle est en réalité la personne physique véritable à qui les agissements devraient être effectivement reprochés. Le requérant en conclut par recoupement qu’il s’agit de M. Jean Aime , domicilié à Londres.

Le requérant note également que cette personne a par ailleurs enregistré notamment le nom <oneybanque.com>, objet d’une procédure parallèle.

Le requérant, ensuite, soutient que l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine en cause par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers et, en premier lieu, une atteinte aux droits de marques dont le requérant dispose.

Selon le requérant, le nom <oneybanque.fr> est à tout le moins similaire au point de créer un risque de confusion avec la marque ONEY dont il est titulaire, peu important le terme générique “banque” et le suffixe nécessaire :”.fr”.

Il ajoute que dans la mesure où le nom <oneybanque.fr> renvoie , via la plateforme d’affiliation Cibleclick, au site <oney.fr> , les services désignés par <oneybanque.fr> sont identiques à ceux du requérant, et que les conditions de l’imitation fautive de marque de l’article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle sont remplies.

Il est encore avancé que le défendeur n’a pas de droits ni d’intérêts légitime à la titularité de <oneybanque.fr> et que des procédures administratives parallèles sont en cours contre M. Aime à propos des noms <oney-carte-de-credit.com> et <oneybanque.com>.

Le requérant, de plus, en second lieu, avance que le défendeur a, ce faisant, porté atteinte au nom commercial et au nom de domaine <oney.fr> du requérant et que les divers agissements du défendeur traduisent sa mauvaise foi et sont au même titre ou à titre distinct, sans que cela soit bien clair, constitutifs d’agissements parasitaires et de concurrence déloyale.

Le requérant, enfin, établit la liste de ses dépôts de marque pour justifier de ses droits sur l’élément – oney - , objet de l’atteinte.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas présenté d’observations en réponse dans le cadre de la présente procédure.

 

6. Discussion et conclusions

Conformément aux dispositions de l’article 20(c) du Règlement, “ [l’] expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

La mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine.

Il appartient donc à l’Expert de vérifier que le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de l’atteinte et que l’atteinte auxdits droits est effectivement constituée.

A. Droits du requérant sur l’élément objet de l’atteinte

A l’annexe 11 de son dossier le requérant justifie être titulaire de plusieurs droits de marques désignant notamment des activité financières et de crédit et antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

- Marque Communautaire ONEY No. 004579561, déposée le 5/08/2005 et couvrant les produits et services en classes 9, 35, 36, 38, 39, 41 et 42;

- Marque Française ONEY No. 053356227, enregistrée le 28/04/2005, couvrant les produits et services en classes 9, 35, 39, 41 et 42 ;

- Marque Française ONEY No. 053341580, enregistrée le 16/02/2005, couvrant les produits et services en classes 36 et 38 ;

- Marque Française ONEY No. 053356228, enregistrée le 28/04/2005 et couvrant les produits et services en classes 9, 35, 39, 41 et 42;

- Marque Française ONEY No. 053346084, enregistrée le 10/03/2005 et couvrant les produits et services en classes 36 et 38;

- Marque Française “Oney.fr : votre crédit sur le Net” No. 053380242, déposée le 15/09/2005 et couvrant les produits et services en classes 9, 35, 36 et 38;

- Marque Française “Oney.fr : la carte de paiement qui fait aussi crédit” No. 053379984 et couvrant les produits et services en classes 9, 35, 36 et 38;

- Marque Française “Oney.fr : le spécialiste du crédit sur Internet” No. 053379985, déposée le 15/08/2005 et couvrant les produits et services en classes 9, 35, 36 et 38.

B. Atteinte aux droits du requérant

Tant l’article 1 du Règlement que l’article 19 1) de la Charte définissent de manière non exhaustive l’atteinte aux “droits des tiers” comme une atteinte

- à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle).

- aux règles de concurrence et du comportement loyal en matière commerciale,

- au droit au nom, au prénom, ou au pseudonyme d’une personne.

L’Expert dans la présente espèce a à se déterminer sur l’éventuelle atteinte du défendeur à la propriété industrielle du requérant et spécialement aux droits de marques dont ce dernier est titulaire.

Les droits de marques du requérant sont antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine <oneybanque.fr> par le défendeur.

Sur la comparaison des signes, l’Expert relève que le nom <oneybanque.fr> à tout le moins imite au point de créer un risque de confusion, par exemple, les marques nominales ONEY du requérant, en raison de ce que l’élément arbitraire “oney” est situé dans le nom du défendeur en position première, sans qu’ensuite le mot de “banque”, banalement descriptif, altère le caractère attractif de clientèle des deux premières syllabes. Et il importe peu, par ailleurs, comme le relève le requérant, que les quatre syllabes du défendeur soient suivies du suffixe nécessaire : “.fr”.

Sur la comparaison des produits et services, le requérant établit, notamment par le constat d’huissier qu’il verse au débats, et par les divers documents produits – et ce, sans être contredit puisque le défendeur n’a pas estimé opportun de répondre à la plainte – que les internautes accédant au réseau par le nom <oneybanque.fr> étaient redirigés systématiquement vers le site officiel du requérant sous le nom <oney.fr> où sont promus les produits et services financiers et bancaires du requérant.

Il est alors observé que le nom <oneybanque.fr> désigne des produits ou services identiques à ceux du requérant.

Il convient, par ailleurs, de relever, comme l’avance le requérant sans être contredit, que la redirection des internautes ayant accédé au nom <oneybanque.fr>, par le truchement d’une plateforme d’affiliation Cibleclick, vers le site <oney.fr>, génère une rémunération de trafic (que paye de fait le requérant) au profit du défendeur qui, ce faisant, détourne momentanément et dans un but de lucre, dans la vie des affaires, les internautes en quête des produits ou services du requérant, sans que les internautes puissent se rendre compte de ce que le titulaire du nom <oneybanque.fr> est une personne différente du propriétaire du site <oney.fr>.

Cette situation, aux yeux de l’Expert, constitue une atteinte aux droits du requérant qui pourrait être sanctionnée en application de l’article L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle : imitation, globalement appréciée, d’une marque et usage de marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, susceptibles de créer un risque de confusion dans l’esprit du public.

Sans doute observe-t-on en l’espèce que les services désignés par le nom <oneybanque.fr>, par l’effet de la redirection vers <oney.fr>, sont, non seulement identiques à ceux désignés par les marques dont le requérant est titulaire, mais sont les services mêmes, authentiques, fournis par le requérant.

Cette circonstance semble à l’Expert indifférente pour qu’au regard du droit français la faute d’imitation puisse apparaître constituée.

Il note en ce sens, d’une part, que l’article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, visant les produits “identiques ou similaires”, ne distingue pas entre produits ou services fournis par d’autres que le titulaire de la marque ou fournis par le titulaire lui-même.

Il constate, en second lieu, que certaines situations sanctionnables en matière de marques sont expressément identifiées, même si l’attitude reprochée affecte des produits ou services authentiquement fournis par le véritable titulaire de la marque ou par des tiers autorisés (par exemple, la suppression ou la modification de marque régulièrement apposée : article L. 713-2 b) du même Code; par exemple encore, l’importation en France de produits authentiques régulièrement marqués à l’étranger, hors application de l’épuisement communautaire).

Il relève donc, de manière générale, qu’il n’existe pas véritablement de produits ou services objectivement “contrefaisants” ( qui conditionneraient une faute de contrefaçon), par opposition aux produits ou services “authentiques”, mais que la “contrefaçon” dépend exclusivement de la volonté du titulaire d’un droit de propriété intellectuelle (qui, par exemple, peut donner licence pour l’avenir à un contrefacteur, à produits ou services constants, hier “contrefaisants”, demain, licites). Il n’y a en conséquence, éventuellement, que des “actes de contrefaçon”, c’est-à-dire des actes légalement réservés au titulaire de la marque et qu’il n’aura pas autorisés.

Peu importe, dès lors, aux yeux de l’Expert, dans le cas présent, que le signe imitant <oneybanque.fr> renvoie aux services mêmes de la Banque Accord, requérant, ou à des services de même type promus par des tiers.

A titre surabondant, l’Expert estime que l’attitude du défendeur constitue également une atteinte aux droits du requérant sur son nom commercial et sur le nom de domaine antérieur <oney.fr> et que, de manière plus générale, la pratique du défendeur (même si elle n’est pas distincte des faits reprochés au titre de l’atteinte aux droits de marque) ne traduit pas un comportement loyal en matière commerciale, spécialement en ce que le défendeur ne pouvait raisonnablement ignorer l’existence et les droits du requérant puisque le nom utilisé par le défendeur renvoyait automatiquement au site du requérant et que le défendeur était rémunéré à chaque renvoi.

Il sera ajouté que le défendeur dans la présente procédure est la société Lycos France titulaire auprès de l’Unité d’enregistrement concernée du nom de domaine litigieux, peu important en vérité que Lycos France soit mandataire, commissionnaire, trustee, prête-nom ou autre d’une personne tierce pour compte de qui aurait été effectué l’enregistrement litigieux et qui se serait livrée par ailleurs à des pratiques entreprises cette fois en nom propre et à découvert.

La présente procédure a établi que les faits pouvaient être reprochés directement à la société Lycos France, seule titulaire du nom de domaine querellé auprès de l’Unité d’enregistrement concernée.

 

7. Décision

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant, la Banque Accord SA, du nom de domaine <oneybanque.fr>.


Christian Le Stanc
Expert

Le 5 février 2006