WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Edipresse Publications SA contre Florian Kohli

Litige n° DCH2005-0026

 

1. Les parties

La requérante est Edipresse Publications SA, ayant son siège à Lausanne, Suisse.

L’intimé est Florian Kohli, domicilié à Genève, Suisse.

 

2. Le nom de domaine

Le différend concerne le nom de domaine <matin-bleu.ch>.

 

3. Rappel de la procédure

La requérante a déposé une demande auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) sous forme électronique le 14 novembre 2005 et par voie postale le 16 novembre 2005. Par cette demande, elle conclut à l’extinction du nom de domaine en cause et qu’un expert soit nommé au cas où aucune conciliation ne serait effectuée ou qu’elle échouerait.

En date du 15 novembre 2005, le Centre a adressé une requête au registre SWITCH (ci-après le “registre”) aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la requérante. En date du 16 novembre 2005, le registre a confirmé que la partie adverse est bien le titulaire du nom de domaine, a transmis les coordonnées des contacts administratif, technique et de facturation et a confirmé que les Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine “.ch” et “.li” (ci-après les “Dispositions”) adoptées par SWITCH, registre du “.ch” et du “.li”, étaient applicables au nom de domaine objet du différend.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien aux exigences des Dispositions.

Conformément au paragraphe 14 des Dispositions, le 23 novembre 2005 une transmission de la demande, valant ouverture de la présente procédure, a été adressée à l’intimé. Conformément au paragraphe 15(a) des Dispositions, le dernier délai imparti à l’intimé pour faire parvenir une réponse était le 13 décembre 2005.

La réponse de l’intimé est parvenue au Centre le 12 décembre 2005.

Les parties à la présente procédure ne se sont pas accordées sur la tenue d’une éventuelle audience de conciliation de sorte que, à la demande du Centre, la requérante a requis la poursuite de la procédure le 13 décembre 2005.

En date du 21 décembre 2005, le Centre a nommé comme expert dans le présent différend Christophe Imhoos, avocat à Genève, qui avait adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions. L’expert soussigné a rendu sa décision dans les délais impartis.

 

4. Les faits

Le 26 juillet 2005, la requérante a enregistré les noms de domaine <matinbleu.ch> (Annexe 2, requérante) et <lematinbleu.ch> (Annexe 1, intimé) dans le cadre du projet de lancement de son quotidien gratuit “Le Matin Bleu”.

En date du 14 septembre 2005, la requérante a dévoilé, par communiqué de presse, le nom du nouveau quotidien gratuit (Annexe 3, requérante).

Suite à ce communiqué de presse, la nouvelle est parue dans les médias le 15 septembre 2005 (Annexe 4, requérant).

Le 17 septembre 2005, l’intimé a enregistré le nom de domaine <matin-bleu.ch> (Annexe 1, requérante).

Entre cette date et au plus tard le 25 octobre 2005, la requérante indique avoir découvert l’existence du nom de domaine contesté, l’intimé ayant activé ledit nom de domaine et ayant ainsi fait aboutir les internautes cherchant <matinbleu.ch> sur un site d’avis nécrologiques appartenant à cette dernière, à savoir <deces.ch>.

Le 21 septembre 2005, la requérante a déposé une demande d’enregistrement de la marque “LE MATIN BLEU”. Le 28 septembre 2005, la division des marques de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle a émis un certificat de dépôt pour la demande d’enregistrement en question (Annexe 5, requérante).

 

5. Argumentation des parties

A. Requérante

La requérante invoque les droits de défense résultant des articles 2, 3 lit. d et 9 al. 1 de la loi fédérale contre la concurrence déloyale (ci-après “LCD”).

Elle estime qu’il existe un risque manifeste de confusion entre le nom de domaine litigieux <matin-bleu.ch> et celui dont elle est titulaire, <matinbleu.ch>. Au surplus, la désignation “Matin Bleu” constitue un élément descriptif si bien que son utilisation pour le nom de domaine contesté est propre à provoquer des confusions.

En effet, l’utilisateur moyen d’Internet s’attend à trouver sous le nom de domaine <matin-bleu.ch> des informations relatives à la nouvelle publication éditée par la requérante, à savoir le quotidien “Le Matin Bleu”; l’intimé exploite ainsi la réputation de la requérante en attirant sur son site web des utilisateurs qui cherchent à obtenir des informations relatives au quotidien en question, de l’avis de la requérante. Cette dernière argue, à cet égard, qu’il est sans importance que le contenu du site créé par la partie adverse n’ait rien à voir avec la requérante. Il y a, selon elle, détournement manifeste de clientèle par un comportement déloyal qui contrevient aux règles de la bonne foi et qui est propre à influer sur les rapports avec ses clients.

La requérante entend dès lors faire cesser l’atteinte subie et demande à ce que le nom de domaine contesté “fasse l’objet d’une extinction” (ch. IV. p. 3 de la demande).

B. Intimé

L’intimé expose préalablement que la notification du Centre de la demande avec pièces valant ouverture de la présente procédure n’est intervenue de manière complète qu’en date du 25 novembre 2005 par la réception de la demande signée. Il constate également que la requérante se borne à réclamer l’extinction du nom de domaine contesté, sans en demander le transfert, alors qu’elle aurait du sécuriser son nom de domaine et en réserver d’autres similaires, tels <le-matin-bleu.ch>, <le-matinbleu.ch>, <lematin-bleu.ch> ou encore <bleumatin.ch> et <bleu-matin.ch>.

Il souligne que <matinbleu.ch> est subsidiaire à <lematinbleu.ch>, noms de domaine enregistrés simultanément par la requérante, attendu qu’une déviation automatique a été effectuée de <matinbleu.ch> sur <lematinbleu.ch>, que la requérante a déposé une demande d’enregistrement de la marque “LE MATIN BLEU” et non “MATIN BLEU” et qu’elle affiche en première page de son titre (Annexe 2, intimé) la mention “www.lematinbleu.ch”.

L’intimé soutient que si l’annonce publique du nouveau titre “LE MATIN BLEU” a été faite en date du 15 septembre 2005, la requérante ne pouvait toutefois pas imposer cette date comme étant la première source d’information accessible au public car, jusqu’au 30 octobre 2005, le service WHOIS de SWITCH permettait à toute personne ayant pu avoir le dessein de nuire au nouveau titre de la requérante d’entrer le mot “edipresse”comme mot-clé dans le moteur de recherche WHOIS de SWITCH, et de deviner parmi le choix proposé quel pouvait être le nom de ce nouveau titre, soit dès l’enregistrement du nom de domaine auprès de SWITCH, le 26 juillet 2005.

L’intimé déplore que la requérante n’ait à aucun moment essayé d’entrer en contact avec elle pour se renseigner sur ses intentions réelles, contrairement aux règles de la bonne foi posées par la LCD.

L’intimé allègue qu’à l’origine il avait enregistré en attente le nom de domaine <robusto.ch> en avril 2005 et déposé la marque verbale “ROBUSTO”, destinée à une activité horlogère pour les classes 14 et 18, laquelle a été ultérieurement admise à l’enregistrement par les autorités compétentes (Annexes 4 et 5, intimé). De même, elle confirme avoir enregistré, en attente, le nom de domaine contesté, destiné à présenter une série de montres de la gamme “Matin-Bleu” de la marque ROBUSTO. L’intimé précise que ses deux noms de domaine “en attente” ont été déviés “sans raison particulière” par lui sur l’un de ses sites Internet actif, en l’occurrence <deces.ch>.

L’intimé poursuit en exposant qu’un mandataire de la maison MINERVA AG est entré en contact avec lui dans le but d’obtenir le nom de domaine <robusto.ch> en vue de la construction d’un nouveau site Internet axé sur une gamme de chaussures “ROBUSTO” (Annexe 6, intimé); vu l’offre inférieure aux dépenses déjà effectuées pour l’enregistrement du nom de domaine, la recherche de similarité de marques et le dépôt de la marque auprès de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle, le nom de domaine ne lui a pas été cédé et l’intimé précise que <robusto.ch> sera dévolu, comme initialement prévu, au site Internet d’une nouvelle marque horlogère.

L’intimé conclut sur ce point, en référence à l’affaire <robusta.ch>, que la requérante aurait du adopter la position de la maison MINERVA AG, empreinte de dialogue et compréhension, et se déclare prête, tout en souhaitant conserver le nom de domaine litigieux, à annuler la déviation faite sur le site <deces.ch>.

L’intimé précise encore que si la diffusion massive des deux mots “matin” et “bleu” à partir du 15 septembre 2005 a certainement contribué à déclencher l’idée deux jours plus tard d’une gamme de la marque ROBUSTO, cette contribution aurait tout aussi bien pu se faire à la lecture d’une poésie de Charles CROS de 1873 évoquant “le matin bleu”.

L’intimé souligne enfin que le contenu prévu du site relatif au nom de domaine litigieux et sa déviation ne traduisent aucunement une intention de nuire au requérant dont le domaine d’activité est tout autre.

Au fond, l’intimé conteste l’existence d’un droit attaché à un signe distinctif revendiqué par la requérante au motif que l’enregistrement de la marque LE MATIN BLEU n’était pas réalisé au moment de l’enregistrement du nom de domaine contesté, les émoluments d’enregistrement n’ayant pas encore été réglés (cf. Annexe 5, requérante) et que la notoriété réelle du titre LE MATIN BLEU n’est ni acquise, ni même établie, l’annonce d’un nouveau produit ne suffisant pas à elle seule. L’intimé argue par ailleurs que la requérante aurait du prêter d’avantage d’attention à l’importance d’enregistrer des noms de domaine similaires comme elle l’avait précédemment fait pour son titre LE MATIN (cf. Annexes 8 et 9, intimé). Enfin, le principe du premier arrivé, premier servi commandait aussi de laisser à l’intimé ce que la requérante n’a pas voulu pour elle.

En n’ayant enregistré aucun autre nom de domaine similaire au nom de domaine contesté entre le 26 juillet et 1er décembre 2005 dans le cadre du lancement de son nouveau titre LE MATIN BLEU, le requérant n’a pas manifesté l’intention de se protéger en les réservant comme premier arrivé et premier servi, ce qui lui aurait coûté moins cher que la présente procédure sans même qu’elle ne vise au transfert du nom de domaine incriminé. De l’avis de l’intimé, le requérant a pris le risque de laisser aux tiers l’accès aux noms de domaine similaires à celui enregistré par elle, ainsi qu’à la possibilité de déposer la marque LE MATIN BLEU, du moins entre les 15 et 21 septembre 2005. L’intimé nie ainsi que l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine objet du différend constitue une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué à la requérante selon le droit suisse.

Sur la base de ce qui précède, l’intimé conclut au rejet de la demande présentée par la requérante.

 

6. Discussion et conclusions

A. Questions procédurales

En ayant argué que la notification de la demande n’a été complète qu’en date du 25 novembre 2005 (cf. supra), l’intimé ne semble toutefois pas vouloir se plaindre d’un quelconque vice de procédure.

Il sied de rappeler à ce propos que les paragraphes 14(c) et 6(a) des Dispositions prévoient que le jour de l’ouverture de la procédure est le jour où l’organe de règlement des différends (le Centre) transmet la demande à la partie adverse aux coordonnées postales et de fax, et, si elle existe, à l’adresse e-mail, telles que communiquées par le registre par rapport au nom du détenteur du nom de domaine considéré. Selon le paragraphe 15(a) des Dispositions, l’intimé doit déposer sa réponse à la demande auprès du Centre dans les vingt jours civils “à compter du jour d’ouverture de la procédure”. Il n’est dès lors pas déterminant que l’intimé ne reçoive qu’ultérieurement la demande formelle par voie postale.

En tout état de cause, l’intimé a répondu dans le délai qui lui a été fixé et ne se plaint pas de ne pas avoir eu le temps suffisant pour répondre à la demande.

L’intimé a par ailleurs souligné avec insistance que la requérante s’est bornée à ne réclamer que l’extinction du nom de domaine en litige.

D’après le paragraphe 24(b) des Dispositions, l’expert peut prononcer uniquement l’extinction ou le transfert du nom de domaine, ou rejeter la demande, selon la demande en justice formulée. L’expert est lié par les conclusions prises par le requérant dans la mesure où celles-ci sont conformes aux Dispositions.

Tel étant bien le cas en l’espèce, l’expert prononcera soit l’extinction du nom de domaine <matin-bleu.ch>, soit rejettera la demande après examen des allégués de fait et de droit des parties sur la base des documents écrits déposés par elles, conformément au paragraphe 24(a) des Dispositions.

B. Questions de fond

Conformément au paragraphe 24(c) desdites dispositions, l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine contesté constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit suisse.

Selon le paragraphe 24(d) des Dispositions, il y a clairement infraction à un droit en matière de propriété intellectuelle notamment lorsque :

i. aussi bien l’existence du droit attaché à un signe distinctif invoqué que son infraction résultent clairement du texte de la loi ou d’une interprétation reconnue de la loi et des faits exposés, et qu’ils ont été prouvés par les moyens de preuve déposés; et que

ii. la partie adverse n’a pas exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante; et que

iii. l’infraction, selon la demande en justice formulée, justifie le transfert ou l’extinction du nom de domaine.

Une décision de transfert ou d’extinction du nom de domaine n’est prise que si elle se justifie d’évidence; compte tenu de la nature des règles en cause, laquelle limite sérieusement les moyens d’instruction à disposition de l’expert, cette évidence doit s’imposer rapidement et non pas suite à un examen laborieux; s’il doute, l’expert devra renoncer à un examen approfondi, limité qu’il est dans ses moyens d’instruction et cela même si son intuition lui suggère le contraire; le doute profite à l’intimé (cf. Veolia Environnement SA c. Malte Wiskott, litige N° DCH2004-0010; Zurich Insurance Company, Vita Lebensversicherung-Gesellschaft c. Roberto Vitalini, litige N° DCH2005-0012; I-D Media AG c. Id-Média Sàrl, litige N° DCH2005-0018).

a. La requérante a-t-elle un droit attaché à un signe distinctif selon le droit suisse ?

1. Droit des marques

La requérante a déposé une demande d’enregistrement de la marque “LE MATIN BLEU” dont un certificat de dépôt lui a été établi en date du 28 septembre 2005 par l’autorité compétente, la date du dépôt retenue étant celle du 21 septembre 2005 (Annexe 5, requérante).

L’intimé conteste les effets du dépôt au motif que les taxes prescrites n’auraient pas été payées.

En effet, l’article 30 alinéa 2 lit. b de la loi fédérale sur la protection des marques énonce que la demande d’enregistrement est notamment rejetée si les taxes prescrites n’ont pas été payées. Toutefois, l’intimé n’apporte pas de manière concluante la preuve que l’enregistrement en question aurait été rejeté par l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle, en particulier en raison du non-paiement des taxes.

Quant à l’absence alléguée de notoriété de la marque MATIN BLEU, l’expert constate que le journal paraît quotidiennement depuis le 31 octobre 2005 sous la marque en question de manière visible en Suisse romande. L’intimé ne saurait dès lors prétendre qu’elle n’est pas acquise, la requérante ne s’étant pas limitée à la simple annonce du lancement du titre en question.

Jusqu’à preuve du contraire, à ce stade de la procédure d’enregistrement de la marque MATIN BLEU, la requérante en est le titulaire de droit.

2. Droit des raisons sociales

La requérante n’est pas en mesure d’invoquer la protection accordée par le droit des raisons sociales (articles 956 et sv. du Code des Obligations) dans la mesure où sa raison sociale n’incorpore pas la marque MATIN BLEU.

3. Droit au nom

Par identité de motifs à ceux évoqués pour le droit des raisons sociales, la requérante ne peut bénéficier de la protection accordée par l’article 29 du Code Civil qui protège les personnes morales contre toute usurpation de leur nom susceptible de leur causer un préjudice.

4. Droit de la concurrence déloyale

La requérante invoque la protection de la LCD (cf. supra). A juste titre. Le détenteur d’une marque valable peut également bénéficier de la protection de cette loi (cf. ATF 127 III 33, 38 “Brico”).

La requérante a par conséquent un droit attaché à un signe distinctif selon le droit suisse, conformément au paragraphe 24(d)(i) des Dispositions.

b. Le nom de domaine de l’intimé bénéficie-t-il d’une protection par le droit des signes distinctifs ?

Le 17 septembre 2005, soit trois jours - au plus tard s’il est possible d’admettre que le nom du titre était disponible dès le 26 juillet déjà, comme le soutient l’intimé - après que la requérante ait lancé sa campagne de presse pour informer le public du lancement de son nouveau titre “LE MATIN BLEU”, l’intimé a enregistré “en attente” le nom de domaine en cause, tout comme le nom de domaine <robusta.ch> ainsi que la marque “ROBUSTO” attachée à cette dernière pour une activité horlogère (Annexes 1 et 3, requérante; Annexes 4 et 5, intimé).

Toutefois, contrairement à <robusta.ch>, l’intimé n’a pas enregistré de marque sous “MATIN BLEU”, ni même d’ailleurs ne prétend une quelconque antériorité sur la marque déposée par la requérante. Pas plus qu’il n’allèguerait avoir pris, pour lui-même ou des tiers, des mesures pour créer l’entreprise imaginée et la faire connaître. Il n’a pas non plus enregistré de raison sociale. Bien au contraire, l’intimé, de son propre aveu, admet avoir dévié le nom de domaine litigieux sur un site sans rapport avec ses intentions déclarées.

Enfin, s’agissant d’un nom de fantaisie qui ne caractérise pas l’intimé, celui ci ne peut revendiquer de droit au nom. Il ne bénéficie d’aucune priorité d’usage lui permettant éventuellement d’invoquer la LCD (cf. Veolia Environnement SA c. Malte Wiskott, litige N° DCH2004-0010 précité).

L’expert constate au vu de ce qui précède que l’intimé n’a aucun droit préférable relevant des signes distinctifs sur le nom de domaine en cause.

c. L’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue—t-il clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué à la requérante selon le droit suisse ?

Le titulaire d’un signe distinctif peut en revendiquer l’exclusivité dans la mesure où il y a confusion. D’après le Tribunal fédéral suisse, le risque de confusion est identique pour tout le droit des signes distinctifs (ATF 126 III 239, 245 “berneroberland.ch”; ATF 128 III 401, 403 “luzern.ch” cités in Veolia Environnement SA c. Malte Wiskott, litige N° DCH2004-0010, idem).

De façon générale, la partie qui ne dispose d’aucune protection particulière au sens du droit des signes distinctifs sur le nom de domaine en cause, se doit de prendre les mesures idoines pour que le nom de domaine qu’il a enregistré se distingue suffisamment du signe distinctif appartenant à la requérante, soit d’un signe distinctif protégé de façon absolue (ATF 128 III 353, 358 “Montana”; ATF 126 III 239, 244; arrêts cités in Veolia Environnement SA c. Malte Wiskott, litige N° DCH2004-0010).

En l’espèce, le risque de confusion est établi et même admis par l’intimé qui reproche à la requérante de ne pas avoir pris de précaution à cet égard; l’intimé en inverse l’incombance. Il n’est d’ailleurs pas pertinent à ce propos que la requérante ne se soit pas entièrement prémunie en retenant toutes les variantes “orthographiques” possibles de son nom de domaine, la loi ne le lui imposant pas.

C’est l’intimé lui-même qui n’a pris aucune mesure pour se distinguer du signe appartenant à la requérante, les signes en cause étant quasi-identiques, abstraction faite de l’article “le” et du tiret séparant “matin” de “bleu”.

Compte tenu du fonctionnement des noms de domaine, l’utilisation d’un nom de domaine de second niveau confère à l’utilisateur un monopole de fait, lequel crée ipso facto un risque de confusion. Le détenteur légitime du signe protégé est empêché de faire le commerce de ses produits par Internet, par le simple fait de l’enregistrement du nom de domaine en cause. Ce n’est en effet pas le contenu du site qui doit être considéré, mais le nom de domaine en cause d’une part et le signe distinctif revendiqué d’autre part (arrêt du Tribunal fédéral du 19 mai 2003, 4C.377/2002, c.2.2 “T-online, tonline.ch”, sic! 10/2003 p. 822, 823; arrêt du Tribunal fédéral du 7 novembre 2002, “djbobo.ch”, sic! 5/2003 p. 438, 442; arrêts cités in Veolia Environnement SA c. Malte Wiskott, litige N° DCH2004-0010).

L’expert constate être non seulement en présence d’une violation claire du droit des marques de la requérante au signe distinctif “LE MATIN BLEU” mais aussi et surtout d’une violation de la LCD.

Selon l’article 3 alinéa 2 lit. d LCD agit de façon déloyale celui qui prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d’autrui. Le comportement déloyal peut aussi découler de la clause générale figurant à l’article 2 LCD, mais seulement en présence de circonstances particulières (ATF 116 II 365; cf. aussi Zurich Insurance Company, Vita Lebensversicherung-Gesellschaft c. Roberto Vitalini, litige N° DCH2005-0012 précité). L’article 2 LCD prévoit en particulier qu’est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de tout autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients.

En l’espèce, la confusion est établie : l’examen du nom de domaine incriminé avec le signe distinctif de la requérante donne clairement l’impression erronée qu’il existe un lien entre les deux (cf. ATF 116 II 463). D’autre part, l’expert peine à constater un enregistrement et un usage de bonne foi de <matin-bleu.ch> par l’intimé. De son propre avis, les explications fournies par l’intimé ne sont guère convaincantes quant à la genèse du nom de domaine en question. De plus, il est troublant de constater, à teneur de l’argumentation développée par l’intimé, qu’il est coutumier dans la pratique d’achat de noms de domaine qu’il met ensuite “en attente” sous divers prétextes. On peut sérieusement douter de la bonne foi de l’intimé lorsqu’il évoque la référence au poète Charles CROS en guise de justification possible ou mentionne des projets non étayés par des éléments ayant force probante.

Quant au prétendu manque de bonne foi de la requérante qui aurait du prendre contact préalablement avec l’intimé du point de vue de cette dernière avant d’entamer la présente procédure, l’expert constate que les Dispositions n’imposent pas à la requérante de telles démarches préalables. D’autre part, celles-ci n’auraient pas été vraiment utiles voire nécessaires dans la mesure où l’intimé a clairement fait savoir qu’il entendait conserver le nom de domaine litigieux.

En conclusion, l’expert constate une violation claire des droits au signe distinctif appartenant à la requérante sans que l’intimé n’ait exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante selon le paragraphe 24(c) et (d)(i) et (ii) des Dispositions. Une telle violation justifie l’extinction sollicitée du nom de domaine selon les paragraphes 24(b) et (d)(iii) des Dispositions.

 

7. Décision

Pour les raisons énoncées ci-dessus et conformément au paragraphe 24 des Dispositions, l’expert ordonne l’extinction du nom de domaine <matin-bleu.ch>.


Christophe Imhoos
Expert

Le 4 janvier 2006