WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Maspex Wadowice Sp. z o.o. contre Jakub Czajkowski

Litige n° D2005-0997

 

1. Les parties

La requérante est Maspex Wadowice Sp. z o.o. de Wadowice, Pologne.

Le défendeur est Monsieur Jakub Czajkowski, de Grenoble, France, représenté par SCP Clement-Cuzin, Long & Leyraud, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <tymbark.com>, enregistré auprès de Gandi Sàrl, Paris, France.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte fut déposée auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après le “Centre”) en date du 19 septembre 2005.

En date du 19 septembre 2005, le Centre adressa par courriel à Gandi Sàrl une requête de vérification des éléments du nom de domaine en cause. Gandi Sàrl transmit sa réponse par courriel au Centre, le 19 septembre 2005.

Suite à la notification par le Centre de ce que la requête était déficiente, la requérante déposa un complément à sa requête le 27 septembre 2005.

Le Centre a vérifié que la requête et son complément répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”).

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le Centre notifia formellement la requête au défendeur le 30 septembre 2005, et l’avisa du commencement de la procédure. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai fixé pour faire parvenir une réponse était le 20 octobre 2005. La réponse a été notifiée au Centre le 19 octobre 2005.

En date du 9 novembre 2005, le Centre nomma dans le présent litige comme expert-unique Monsieur Pierre Olivier Kobel. L’expert-unique constate que la Commission administrative qu’il constitue a été nommée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. L’expert-unique adressa au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Le 16 novembre 2005, la requérante demanda un échange supplémentaire d’écritures au motif que la réponse contenait nombre d’informations inexactes. Constatant que les parties avaient déjà eu l’occasion de présenter leur dossier de façon complète et égale, que la procédure administrative de résolution des noms de domaine doit être rapide (paragraphe 10(c) des Règles d’application), l’expert-unique rejeta la demande de la requérante le 18 novembre 2005.

Compte tenu du principe contenu à l’article 11(a) des Règles d’application, sauf disposition contraire du contrat d’enregistrement, la langue de la procédure administrative est celle du contrat d’enregistrement. En l’espèce, le défendeur fait valoir que le contrat d’enregistrement est en français, justifiant sa réponse dans la langue française. L’expert-unique relève que le site d’enregistrement de Gandi Sàrl permet un enregistrement tant en français qu’en anglais, les termes contractuels étant proposés dans les deux langues. Il relève également qu’il n’est pas prouvé que le défendeur a enregistré en souscrivant à un contrat en français. Toutefois, la première langue proposée par Gandi Sàrl étant le français, s’agissant par ailleurs d’un site d’enregistrement situé en France, l’expert-unique estime que le bénéfice du doute doit profiter au défendeur. La présente décision sera ainsi rédigée en français. Cela étant, le défendeur n’ayant ni demandé la traduction de la requête, requête qu’il a manifestement compris puisqu’il a répondu aux arguments de la requérante, ni demandé que la procédure se continue dans la langue française, l’expert-unique estime que la requête n’a pas besoin d’être traduite.

 

4. Les faits

La requérante détient les marques suivantes :

- TYMBARK, une marque verbale, enregistrée en Pologne le 3 avril 2001 pour les produits des classes 29, 30, 32 et 33;

- TYMBARK, une marque semi-figurative, enregistrée en Pologne le 20 avril 1994 pour des produits des classes 29, 32 et 33;

- TYMBARK, une marque semi-figurative, enregistrée en Pologne le 5 juillet 2001 pour des produits des classes 29, 30, 32 et 33;

- TYMBARK, une marque internationale semi-figurative, enregistrée en Bulgarie, Tchéquie, Hongrie, Roumanie, Slovaquie et Grande-Bretagne, le 8 mars 2002.

La requérante a également déposé des demandes d’enregistrement pour 117 marques contenant toutes le mot TYMBARK (marque de série).

La requérante est une fabricante de boissons non alcooliques, de confitures et différents produits alimentaires, qu’elle offre notamment sous la marque TYMBARK. TYMBARK est également le nom de l’un de ses actionnaires, la société Tymbark SA. Elle est titulaire du nom de domaine <tymbark.com.pl> qu’elle utilise pour la promotion de ses produits en Pologne. Elle exporte toutefois ses produits en Autriche, Allemagne, Lituanie, Lettonie, Estonie, Russie, États-Unis, Canada, Irlande, Grande-Bretagne, Slovaquie, Tchéquie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie.

Le défendeur est une personne physique qui n’est aucunement liée à la requérante. D’origine polonaise et de nationalité française, il est domicilié à Grenoble, France.

Le défendeur a enregistré le nom de domaine en cause le 4 mai 2002.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérante

La requérante estime que le nom de domaine déposé par le défendeur est identique à sa marque TYMBARK, dont le dépôt, pour la marque la plus ancienne, a eu lieu le 10 avril 1992. La requérante estime que sa marque est notoire, non seulement en Pologne, mais dans de nombreux pays dans le monde. Enfin, sa marque correspond au nom de l’un de ses actionnaires, Tymbark SA.

La requérante explique que le défendeur n’a aucun lien quelconque avec le nom TYMBARK. Jusqu’au 6 septembre 2005, le nom de domaine en cause n’avait pas été utilisé par le défendeur. La requérante produit un extrait du site “Sedo” datant du mois de septembre 2005, montrant que le nom de domaine en cause était proposé en vente et dans l’intervalle utilisé pour renvoyer à des sites contenant de la publicité pour des boissons diverses, energy drinks, régimes amaigrissants, etc. La requérante en déduit que le défendeur n’a aucun intérêt légitime dans le nom de domaine en cause.

Se fondant sur une étude de marché réalisée en Pologne, d’où il ressort que la marque TYMBARK est dans ce pays notoire, la requérante estime que le défendeur, de nationalité polonaise, connaissait sa marque et ses produits et a nécessairement agi de mauvaise foi en enregistrant le nom de domaine en cause. Les extraits du site “sedo” de vente de noms de domaine déposés avec la requête montrent qu’une négociation a eu lieu entre M. Krysztof Zajda, agissant apparemment de façon anonyme pour la requérante, et le défendeur pour la vente du nom de domaine en cause, avec des enchères allant jusqu’à 5,000 euros. Les parties se sont mises d’accord sur un montant de 3 900 euros.

La requérante explique qu’elle a délibérément choisi de ne pas finaliser cette transaction pour ce prix et contacta le défendeur afin de négocier autrement le transfert de ce nom de domaine. Des négociations eurent alors lieu par téléphone, à l’occasion desquelles le défendeur demanda un montant de 20,000 euros pour le transfert du nom de domaine en cause, offre que la requérante refusa.

Enfin, la requérante expose que le défendeur est également titulaire du nom de domaine <lubella.com> qui correspond à une marque notoire en Pologne pour des pâtes, farines et autres produits céréaliers, preuve additionnelle, selon la requérante, de la mauvaise foi du défendeur.

Pour ces motifs, la requérante estime que le nom de domaine en cause doit lui être transféré.

B. Défendeur

Le défendeur relève que le nom de domaine en cause a été enregistré le 4 mai 2002, alors qu’aucune marque TYMBARK n’avait été déposée par la requérante en France.

Il prétend être lié au village polonais répondant au nom de Tymbark. Il explique que c’est dans le but de développer et faire connaître ce village qu’il a enregistré le nom de domaine en cause.

Contestant toute mauvaise foi dans l’utilisation et l’enregistrement du nom de domaine en cause, le défendeur, qui a suivi toute sa scolarité en France, prétend ne pas connaître la marque TYMBARK. Il relève que ces produits ne sont d’ailleurs pas commercialisés en France.

Cela étant, le défendeur allègue être un grand passionné des chemins de fer, raison pour laquelle il s’est intéressé au village de Tymbark. Ce village se situe à l’intersection de deux lignes de chemin de fer, dans une région pittoresque et touristique. Il explique qu’une nouvelle liaison ferroviaire devrait être établie, passant par ledit village de Tymbark. Il aurait donc souhaité ouvrir un site Internet à l’adresse de “tymbark.com”, afin de faire connaître le village de Tymbark et en favoriser le développement touristique. Le défendeur produit un extrait non daté du site développé sous le nom de domaine en cause, contenant une petite explication en français sur le village de Tymbark. Enfin, le défendeur produit un échange de messages électroniques avec la requérante, par lequel le défendeur accepte l’offre de 20 000 euros, moyennant la mise en place d’un lien hypertexte sur la page principale de “tymbark.com” avec le site Internet de la commune de Tymbark “www.tymbark.pl”, pendant une durée d’au minimum trois ans. Le défendeur en conclut qu’il a manifestement agi de bonne foi.

Le défendeur explique avoir voulu vendre le nom de domaine en cause au motif qu’il n’avait pas le temps de se consacrer à son développement de façon suffisamment riche, intéressante et esthétique.

Il se plaint que, suite à la rupture des négociations relatives au transfert du nom de domaine en cause, la requérante l’aurait contacté directement sur son téléphone portable personnel en le menaçant. Il se plaint également de ce que la requérante l’aurait contacté à son adresse e-mail. Ce serait pour ces motifs, qu’il aurait proposé un prix de vente du nom de domaine en cause, pour un montant de 20 000 euros.

Au motif que la requérante ne chercherait qu’à récupérer le nom de domaine en cause à des fins purement commerciales et financières, et ne voulait pas assurer la mise en valeur du village de Tymbark, le défendeur conclut que la requérante agit de mauvaise foi.

Arguant de ce que la requérante a mis plus de trois ans pour s’inquiéter du nom de domaine en cause, le défendeur conclut qu’elle n’a que des intentions purement lucratives exprimant sa mauvaise foi.

 

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le nom de domaine en cause est en tous ponts identique à la marque verbale déposée par la requérante. Le risque de confusion est donc patent au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes du défendeur

L’expert-unique constate tout d’abord que le défendeur ne conteste pas les allégués de la requérante selon lesquels il n’a utilisé le nom de domaine en cause qu’au mois de septembre 2005.

Le fait que le défendeur ait par ailleurs mis le nom de domaine en cause aux enchères par le truchement du site “www.sedo.com” fait douter de son intérêt légitime pour le village de Tymbark. Le défendeur n’allègue ni ne démontre être originaire de ce village ou avoir aucun lien personnel avec le village de Tymbark. Il n’allègue ni ne démontre avoir été mandaté par le village de Tymbark pour contribuer à son développement touristique. Bien au contraire, il semblerait que le village de Tymbark ait assuré son propre développement touristique par le biais de l’Internet en créant un site multilingues sous le nom de domaine <tymbark.pl>. A ce sujet, on constatera que le site du village de Tymbark contient un lien hypertexte au site polonais de la requérante.

L’expert estime que le défendeur n'a pas démontré avoir aucun droit ou intérèt légitime sur le nom de domaine en cause.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Les preuves apportées par la requérante montrent que le nom de domaine en cause a essentiellement été enregistré et utilisé dans le but d’être vendu pour un prix dépassant largement les frais directs de constitution et d’enregistrement du nom de domaine au sens de l’article 4(b)(i) des Principes directeurs.

Lorsque le défendeur a négocié la vente du nom de domaine en cause par le truchement du site “sedo”, demandant notamment un prix de 5 000 euros, il n’a exprimé aucun souhait de préservation des intérêts du village Tymbark. Une telle exigence ne serait probablement pas compatible avec le système de fonctionnement du site de mise aux enchères “sedo”. Partant, la condition qu’il a subséquemment ajoutée à une vente directe du nom de domaine en cause pour un montant de 20 000 euros, de mettre en place un lien hypertexte vers le site Internet de la commune de Tymbark, paraît artificielle. Cette exigence de dernière minute ne saurait démontrer la bonne foi du défendeur. Elle ne remet pas en cause le fait que le défendeur a tenté de vendre le nom de domaine pour un prix dépassant très largement ses frais directs. En conclusion, l’expert-unique estime que le nom de domaine <tymbark.com> a été enregistré et utilisé en vue de le transférer pour un prix dépassant substantiellement les frais directs de constitution du site et d’enregistrement du nom de domaine, au sens du paragraphe 4(b)(i) des Principes directeurs.

 

7. Décision

Conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine <tymbark.com> à la requérante.


Pierre Kobel
Expert Unique

Le 23 novembre 2005