WIPO

 

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Lilly ICOS LLC contre Benachour Hami

Litige n° D2005-0405

 

1. Les parties

Le Requérant est Lilly ICOS LLC, Wilmington, Delaware, Etats-Unis d´Amérique. Le requérant est représenté par Baker & Daniels, Etats-Unis d´Amérique.

Le Défendeur est Benachour Hami, Strasbourg, France. Monsieur Hami n’a pas indiqué de représentant.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <cialis-apcalis.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Gandi SARL.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Lilly ICOS LLC auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 15 avril 2005, par email et le 19 avril 2005, sur support papier.

En date du 18 avril 2005, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SARL, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 19 avril 2005, et a précisé qu’il avait des contrats d’enregistrement en français et en anglais et ne savait pas lequel avait été signé par le Défendeur.

Le Centre a notifié aux parties le 28 avril 2005, que la plainte comportait une défaillance, car dans le contrat d’enregistrement le Défendeur n’est pas soumis à la juridiction du lieu du siège de Gandi SARL, l’unité d’enregistrement. Le Requérant a adressé au Centre une modification de sa plainte le 28 avril 2005, par email et le 4 mai 2005, sur support papier.

Le 28 avril 2005, suite à différents courriers électroniques du même jour envoyés par le Défendeur indiquant qu’il ne parlait pas l’anglais, le Centre a également écrit aux parties pour leur indiquer que la plainte avait été déposée en anglais, mais que conformément au Paragraphe 11 des Règles d’application, la plainte doit être rédigée dans la langue du contrat d’enregistrement, et que d’après les éléments dont le Centre avait connaissance, ce contrat était en français. Le Centre a donc demandé au Requérant soit d’apporter la preuve que le Défendeur a accepté que la procédure soit en anglais soit d’envoyer la plainte en français. Le 28 avril 2005, le Requérant a écrit au Centre pour indiquer que la langue du contrat d’enregistrement de Gandi était disponible à la fois en anglais et en français. Le même jour, le Centre lui a répondu qu’il fallait tenir compte du contrat d’enregistrement signé par le Défendeur, et que celui-ci étant en français, la plainte devait également être en français.

Le Requérant a envoyé la plainte en français au Centre le 9 mai 2005, par email et le 17 mai 2005, sur support papier. Le Centre a envoyé la plainte en français et en anglais au Défendeur le 19 mai 2005.

Le Centre a vérifié que la plainte ainsi que la modification de la plainte répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 19 mai 2005, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 9 juin 2005. Le défendeur a fait parvenir des courriers électroniques de réponse le 11 mai 2005, et le 1er juin 2005.

En date du 21 juin 2005, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Thomas Webster. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Langue de la procédure

Conformément au paragraphe 11 des Règles d’application, et en l’absence d’un accord entre les parties, la langue de la procédure doit être celle du contrat d’enregistrement. En l’espèce, celui-ci est en français, et la procédure doit donc être suivie en langue française.

Conformément au paragraphe 11 des Règles d’application, la Commission a le droit de demander la traduction des pièces jointes. En l’espèce les traductions n’étaient pas nécessaires parce que les éléments de faits tel que l’existence des marques et le marketing pour la marque CIALIS n’étaient pas contesté.

 

5. Les faits

Le Requérant est Lilly ICOS LLC, une société à responsabilité limitée constituée dans l’Etat du Delaware, Etats-Unis d’Amérique. La société Lilly ICOS a procédé au dépôt de la marque de commerce CIALIS auprès de l’Office de la propriété industrielle des Etats-Unis le 17 juin 1999, et la marque CIALIS a été enregistrée dans le registre principal le 10 juin 2003, (Enregistrement n°2,724,589).

Au total, le Requérant a obtenu plus de 87 enregistrements pour la marque CIALIS dans plus de 117 pays.

Le Requérant a commencé à vendre des produits pharmaceutiques pour les troubles de l’érection identifiés par la marque CIALIS le 22 janvier 2003. En 2004, le Requérant a dépensé environ 39 millions de dollars pour commercialiser et vendre son produit de la marque CIALIS à travers le monde, et les ventes de produits de la marque CIALIS dans le monde entier ont été supérieures à 550 millions de dollars.

De plus, le Requérant a enregistré le nom de domaine <cialis.com> le 10 août 1999 et utilise cette adresse pour promouvoir le produit CIALIS et informer le consommateur.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux le 17 janvier 2005. Cette adresse permet l’accès à une pharmacie en ligne.

 

6. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant affirme que la marque CIALIS est “un terme inventé qui a un degré d’individualité élevé et une originalité inhérente sans être utilisé de façon courante dans la langue ordinaire”. Pour le Requérant, “la marque CIALIS est un identifiant distinctif de la source du produit pharmaceutique de la Partie demanderesse, et l’ajout par la Partie défenderesse du terme ‘apcalis’ ne supprime pas cette caractéristique de la marque”.

Selon le Requérant “l’ajout d’un terme à la marque de commerce CIALIS de la Partie demanderesse n’empêche pas de trouver une similarité prêtant à confusion” et “quand un nom de domaine incorpore une marque distinctive dans sa totalité, ceci crée suffisamment de similarité entre une marque et un nom de domaine pour produire de la confusion avec la marque”.

Par ailleurs, le Requérant affirme que “la Partie défenderesse n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes en rapport avec le nom de domaine”. Selon le Requérant, “la Partie défenderesse tente de profiter de l’excellente réputation et de la cote d’estime de la marque CIALIS pour diriger les utilisateurs de l’Internet vers un site web sur lequel de la publicité est faite pour une version générique du produit CIALIS de la Partie demanderesse”.

Le Requérant ajoute qu’il “n’a pas donné à la Partie défenderesse la permission, l’autorisation, le consentement ou une licence pour l’utilisation de sa marque CIALIS et que malgré cela, le nom de domaine est associé à un site web permettant à la Partie défenderesse de gagner de l’argent en utilisant la réputation de la marque CIALIS de la Partie demanderesse et celle de la préparation pharmaceutique à laquelle la marque CIALIS est associée”.

De plus, le Requérant estime que “l’utilisation par la Partie défenderesse du nom de domaine dont la similarité avec la marque crée de la confusion pour vendre la version générique du produit CIALIS ne correspond pas à une offre de bonne foi de biens ou de services en vertu de l’Article 4(c)(i) de la Politique”. Selon lui, “lorsque le détenteur d’un nom de domaine dont la similarité avec une marque établie crée de la confusion utilise le nom de domaine pour détourner les utilisateurs de l’Internet en direction de son propre site web concurrent pour obtenir un profit commercial, une telle utilisation ne constitue ni une offre de bonne foi de biens ou de services, ni un emploi équitable ou non commercial légitime en vertu des Paragraphes 4(c)(i) et (iii) de la Politique”.

Par ailleurs, le Requérant ajoute que “la sécurité d’une version générique du produit de la marque CIALIS de la Partie demanderesse est suspecte et est également la preuve que l’emploi du nom de domaine par la Partie défenderesse n’est pas une offre de bonne foi”.

Enfin, le Requérant affirme que selon la Politique paragraphe 4(b)(iv), un enregistrement et une utilisation de mauvaise foi sont établis “lorsque l’enregistrement d’un nom de domaine est effectué dans le but d’utiliser une marque de commerce bien connue d’une autre personne ou entité en attirant les utilisateurs de l’Internet vers un site web pour réaliser un profit commercial”.

B. Défendeur

Les réponses du Défendeur ne conteste pas les éléments essentiels de la plainte mais consiste en une “liste de factures d’investissements sur le nom de domaine <cialis-apcalis.com>” et des remarques sur la différence de position économique des deux parties.

 

7. Discussion et conclusions

Conformément aux Principes directeurs, paragraphe 4 (a), le Requérant doit établir que les trois éléments suivants sont réunis pour obtenir gain de cause :

(i) le nom de domaine est identique ou similaire au point de créer la confusion, à une marque de commerce sur laquelle la Partie demanderesse a des droits

(ii) la Partie défenderesse n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes en rapport avec le nom de domaine

et

(iii) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le nom de domaine litigieux est composé du mot CIALIS, lequel est suivi du mot ‘apcalis’.

Or, la présence du terme ‘apcalis’ dans le nom de domaine <cialis-apcalis.com> n’est pas de nature à écarter le risque de confusion avec la marque antérieure du requérant en ce qu’il ne revêt aucun caractère distinctif.

Par ailleurs, comme dans l’affaire Lilly ICOS v. Jay Kim, Litige OMPI No. D2004-0891 concernant la marque CIALIS, la Commission estime que le mot CIALIS est distinctif et n’a pas d’usage courant.

En conséquence, la Commission considère que le nom de domaine <cialis-apcalis.com> est semblable à la marque CIALIS détenue et exploitée par le Requérant, au point de prêter à confusion avec celle-ci.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le Défendeur n’a pas répondu à la plainte déposée contre lui, mais a simplement fourni à la Commission la preuve des investissements qu’il a apportés. Ces preuves démontrent que le Défendeur a investi dans le nom de domaine litigieux, mais aucunement qu’il en avait le droit. Le Défendeur n’a donc apporté aucun élément de nature à démontrer qu’il détiendrait sur le nom de domaine litigieux des droits ou intérêts légitimes.

Par ailleurs, si la revente de produits de marque peut faire naître un débat autour du caractère nominatif de l’usage de la marque, et de ce fait autour de sa légitimité en droit des marques américain, la revente de produits ‘génériques’ en concurrence directe avec les produits du Requérant sur le même site web rend l’usage de la marque illégitime, et ce principe peut avoir une importance particulière dans le cadre de la revente de produits pharmaceutiques, mettant en jeu la santé publique, et ne se présentant dès lors pas comme une offre de bonne foi. (Voir Lilly ICOS LLC v. Dan Eccles, Litige OMPI No. D2004-0750)

De plus, l’utilisation par le Défendeur d’une pharmacie en ligne suggère qu’il a pu recevoir une contrepartie financière pour rediriger le consommateur, ce qui ne correspond pas à un usage commercial légitime du nom de domaine. (Voir G.D Searle & Co.v. Fred Pelham, National Arbitration Forum Claim No. FA00117911)

En conséquence, la Commission considère que n’est pas établie l’existence d’un intérêt légitime du Défendeur à la détention du nom de domaine <cialis-apcalis.com>.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Il ressort des éléments communiqués que le Requérant a établi les droits qui lui appartiennent sur la marque CIALIS depuis 1999, et a également établi que la marque CIALIS est connue du public et a fait l’objet de publicité avant l’enregistrement du nom de domaine par le Défendeur. Dans ces conditions, la Commission considère que le nom de domaine a été enregistré de mauvaise foi.

La Commission a visité le site web concerné et a remarqué qu’au premier juillet 2005, le site propose un lien à un site proposant des services internet. Toutefois, en Annexe 11 et 12 de la plainte, le Requérant a soumis des extraits provenant du site indiquant que le site était utilisé pour proposer divers produits pharmaceutiques. Donc la Commission estime que le Défendeur fait commerce de la notoriété et de la valeur de la marque du Requérant. Le Défendeur utilisait la marque du Requérant dans le nom de domaine pour rediriger les internautes vers une pharmacie en ligne où ils peuvent acheter les produits décrits comme des équivalents aux produits CIALIS.

Or, tel qu’il a été rappelé dans Lilly ICOS LLCv. East Coast Webs, Sean Lowery, Litige OMPI No. D2004-1101, le Paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs prévoit que l’enregistrement d’un nom de domaine afin d’utiliser la notoriété d’une autre marque en attirant les internautes vers un site dans le but d’en percevoir les bénéfices constitue une forme de mauvaise foi.

En conséquence, au vu de l’ensemble de ces éléments, la Commission considère que le nom de domaine <cialis-apcalis.com> a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

D. Remèdes

Le Requérant demande le transfert du nom de domaine. Le nom de domaine comporte l’expression “apcalis” qui ne fait pas partie de la marque du Requérant. Mais, il n’existe aucune indication qu’un tiers détient un droit quelconque sur ce nom. Donc, en l’occurrence le transfert du nom de domaine apparemment ne porterait pas préjudice à un droit d’un tiers.

 

8. Décision

Pour toutes les raisons susmentionnées, et conformément aux Paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission décide que le nom de domaine <cialis-apcalis.com> doit être transféré au Requérant.


Thomas Webster
Expert Unique

Le 4 juillet 2005