WIPO

 

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

LE LIDO contre Olivier Salesse

Litige n° D2005-0208

 

1. Les parties

Le requérant est Le Lido, Paris, France, représenté par Cabinet Dreyfus & Associés, France.

Le défendeur est Olivier Salesse, Compiègne, France.

 

2. Noms de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <lido-paris.com> et <lidoparis.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Schlund + Partner.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Le Lido auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 23 février 2005.

En date du 23 février 2005, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Schlund + Partner, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 24 février 2005.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 17 mars 2005, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 avril 2005. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 21 mars 2005.

En date du 31 mars 2005, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique William Lobelson. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

La langue de procédure est le français, selon notification du Centre en date du 2 mars 2005.

 

4. Les faits

Le Requérant exploite et est titulaire de plusieurs enregistrements de marques portant sur le nom LIDO. Ayant constaté l’enregistrement et l’utilisation par le Défendeur des noms de domaine litigieux, il saisissait celui-ci d’une mise en demeure par courrier recommandé (le 5 janvier 2005) et par voie électronique (le 6 janvier 2005). Les parties ont correspondu par voie électronique notamment entre les 14 et 15 janvier 2005 mais sans parvenir à un accord. Le Requérant a donc engagé la présente procédure en date du 23 février 2005. Le Défendeur a présenté ses observations en réponse le 21 mars 2005.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait valoir qu’il exploite sous le nom Le Lido un célébrissime cabaret à Paris depuis 1946 et à Las Vegas; qu’il est titulaire de plusieurs enregistrements de marques portant sur le nom LIDO ou des déclinaisons de ce dernier (LE LIDO, LIDO DE PARIS …); que la marque LIDO jouit d’une renommée internationale; que le Défendeur, avec lequel il n’a aucun lien et qui n’a manifestement aucun droit ou intérêt légitime dans le nom LIDO a enregistré les noms de domaine <lidoparis.com> et <lido-paris.com>; qu’avant l’introduction de la présente procédure, <lidoparis.com> renvoyait vers un portail de liens sponsorisés de sites à caractère érotique pour certains et de sites de rencontre pour d’autres, tandis que <lido-paris.com> renvoyait vers un portail de liens sponsorisés de sites d’agents de voyage et de concurrents du Requérant; que depuis l’introduction de la présente procédure, les deux noms de domaine renvoient au site institutionnel du Requérant; que l’enregistrement à titre de noms de domaine d’une marque notoire dans de telles conditions, dans le but de diriger les internautes vers des sites de publicités payantes, est constitutif de mauvaise foi.

B. Défendeur

Le Défendeur a présenté au Centre des observations en réponse aux arguments du Requérant. Il reconnaît expressément l’existence d’un risque de confusion et déclare accepter le transfert des noms de domaine au profit du Requérant.

Il conteste en revanche les allégations de mauvaise foi portées à son encontre en faisant valoir que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés dans le but de développer un site visant à recenser et valoriser l’offre des cabarets parisiens, dans le respect de l’image de ces derniers et pour leur seule promotion; que la redirection des noms de domaine vers des sites douteux ne procède pas de son fait, mais de celui d’un prestataire tiers (SEDO) agissant en qualité de gestionnaire desdits noms de domaine. Il reconnaît que ces redirections ont été sources de gain financier à son profit, mais dans de très faibles proportions et seulement pour “participer au coûts de réservation de ces noms” (sic).

 

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Les noms de domaine litigieux sont <lidoparis.com> et <lido-paris.com>.

Le Requérant est titulaire de plusieurs enregistrements de marques dont notamment “LIDO DE PARIS” No. 1 602 916 (marque française) et No. 566 348 (marque internationale).

Les noms de domaine contestés réalisent l’imitation des enregistrements de marque précités, la suppression de l’élément “de” et l’adjonction du suffixe “.com” étant ici parfaitement inopérants et insusceptibles de supplanter les fortes ressemblances d’ensemble, visuelles, phonétiques et conceptuelles entre les signes comparés.

Le Défendeur a lui-même admis l’existence d’un risque de confusion entre ses noms de domaine et les marques du Requérant.

Sans qu’il soit nécessaire de rechercher si les noms de domaine contestés sont similaires aux autres enregistrements de marque du Requérant, la Commission Administrative conclut que les conditions posées au Paragraphe 4.a) i) des Principes Directeurs sont satisfaites.

A. Droits ou légitimes intérêts

Le Requérant déclare que le Défendeur n’est en aucune manière lié à lui, qu’il ne lui a consenti aucune autorisation d’utiliser ou enregistrer le nom LIDO, que le Défendeur n’est en mesure de se prévaloir d’aucun droit ni usage antérieurs sur ce nom.

Le Défendeur ne conteste aucune de ces affirmations.

Il précise toutefois dans sa réponse du 21 mars 2005 que son intention était de développer un site internet pour la promotion des cabarets parisiens.

Cette affirmation n’est étayée d’aucun élément probant - le serait-elle, elle ne constituerait pas pour autant une circonstance de nature à légitimer l’enregistrement à titre de noms de domaine des marques protégées du Requérant - et est contredite par le Défendeur lui-même qui, dans son courrier électronique au Conseil en propriété industrielle du Requérant du 15 janvier 2005 avance une autre justification, selon laquelle il aurait enregistré les noms de domaine litigieux dans un souci de sauvegarde des intérêts du Requérant :

“J’aimerais que votre cliente considère d’une certain point de vue que mon action qui a consisté à réserver ces noms de domaine constitue en réalité une préprotection anticipée de ses intérêts, dont la finalité consiste à ne pas laisser une entité commerciale mal intentionnée exploiter effectivement ces noms sur un terrain juridique ou géographique inaccessible” (sic).

Les arguments pour le moins confus développés par le Défendeur ne permettent pas à la Commission Administrative de conclure à l’existence à son profit de droits ou intérêts légitimes dans le nom de domaine litigieux.

La Commission Administrative conclut que les conditions posées au Paragraphe 4.a) ii) des Principes Directeurs sont satisfaites.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Les arguments développés par le Défendeur pour justifier de sa bonne foi ne résistent pas à l’analyse des faits.

La Commission Administrative est au contraire convaincue que les noms de domaine contestés ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi.

Constituent, au sens du Paragraphe 4 a) iii), des présomptions de mauvaise foi notamment :

- le fait d’enregistrer ou d’acquérir un nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que vous pouvez prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine ;

Voir Pfizer Inc. v. Re This Domain For Sale -Email, WIPO Case No. D2002-0409; Parfums Christian Dior v. QTR Corporation, WIPO Case No. D2000-0023.

- le fait d’utiliser un nom de domaine pour tenter sciemment d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

Voir Six Continents Hotels, Inc. v. Anti-Globalization Domains, WIPO Case D2003-0765 ; Yahoo ! Inc. v. Data Art Corp., WIPO Case D2000-0587.

Enregistrement de mauvaise foi

Le Défendeur ne pouvait ignorer les droits attachés à la marque LIDO lorsqu’il a enregistré les noms de domaine, et ce pour les raisons suivantes.

- Le Défendeur est domicilié en France, pays dans lequel la renommée du cabaret Le Lido est incontestable.

- En prétendant successivement le 15 janvier 2005 avoir enregistré les noms de domaine dans l’intérêt du Requérant, puis le 21 mars 2005 avoir le projet de développer un site de promotion des cabarets parisiens, le Défendeur admet explicitement qu’il avait bien à l’esprit le cabaret Le Lido à Paris lorsqu’il a enregistré <lidoparis.com> et <lido-paris.com>.

- Dans son courriel du 15 janvier 2005 (4° paragraphe) adressé au Conseil en propriété industrielle du Requérant, il rend compte d’une recherche d’antériorités conduite par ses soins parmi les marques déposées en France et reconnaît ainsi être parfaitement informé des droits de marque du Requérant (qu’il estime toutefois inopposables).

- Enfin, le Défendeur a enregistré les noms de domaine dans un but purement spéculatif, ainsi qu’il le déclare ouvertement dans son courriel du 15 janvier 2005 (2° paragraphe):

“Je suis donc incité à prendre mes dispositions pour analyser les nombreuses propositions de revente de ces noms de domaine …”.

et comme cela ressort clairement des pages web accessibles par les noms de domaine versées au dossier, sur lesquelles <lidoparis.com> et <lido-paris.com> sont suivies de la mention “nom de domaine à vendre”.

Usage de mauvaise foi

Le Défendeur a utilisé les noms de domaine de façon à usurper la notoriété et la réputation attachée à la marque du Défendeur, en tirer un profit financier, puis tenter de monnayer la rétrocession des noms de domaine au Requérant.

- Le nom de domaine <lidoparis.com> était redirigé avant l’introduction de la présente procédure vers un portail de liens sponsorisés de sites de rencontres et érotiques.

Le nom de domaine <lido-paris.com> était redirigé à la même époque vers un portail de liens sponsorisés de sites d’agents de voyage et de concurrents du Requérant (Le Paradis Latin notamment).

Ces faits ne sont pas contestés par le Défendeur.

La marque du Requérant était ainsi exploitée pour capter sa clientèle, orienter celle-ci vers des concurrents et/ou des sites érotiques.

De son propre aveu, ce trafic a permis au Défendeur de réaliser des gains financiers.

Les explications du Défendeur selon lesquelles il n’aurait eu aucun contrôle sur le choix des sites vers lesquels les noms de domaine étaient redirigés sont sans pertinence. Même en admettant la véracité de pareille thèse, le caractère frauduleux de la démarche du Défendeur reste acquis. C’est délibérément en effet que les noms de domaine ont été placés sous la gestion du prestataire SEDO, dont le Défendeur ne pouvait ignorer la nature des activités. La volonté du Défendeur était donc bien d’être rémunéré pour la mise en place d’un trafic de connections par redirection des noms de domaine enregistrés par ses soins.

- Le Défendeur a refusé de rétrocéder les noms de domaine au Requérant au motif que la proposition financière avancée, équivalent aux frais de réservation, était insuffisante. Le Défendeur a subordonné la rétrocession des noms de domaine au paiement d’un prix manifestement excessif et disproportionné au regard des frais réels d’acquisition, soit 500 EUR par nom et à la fourniture de deux invitations au spectacle du Lido  en souhaitant ainsi être récompensé d’avoir sauvegardé les intérêts du Requérant (dernier paragraphe de son courriel du 15 janvier 2005).

- Une telle rétention injustifiée est constitutive d’usage passif de mauvaise foi des noms de domaine.

- En faisant pointer les noms de domaine contestés vers le site institutionnel du Requérant à compter de l’introduction de la présente procédure, dans le but de tenter de justifier de ses allégations de bonne foi, le Défendeur a ainsi révélé le caractère frauduleux de sa démarche antérieure.

Pour toutes ces raisons, la Commission Administrative a la conviction que le Défendeur a enregistré et utilisé les noms de domaine de mauvaise foi, selon les termes des paragraphes 4. a) iii) et 4.b) des Principes Directeurs.

 

7. Décision

Au vu de l’analyse des faits et de l’examen des arguments des parties, la Commission Administrative estime que les conditions posées aux paragraphes 4 a) i), ii) et iii) des Principes Directeurs sont satisfaites, à savoir que les noms de domaine contestés sont similaires aux marques de la Requérante, que le Défendeur ne justifie d’aucun droit ou intérêt légitime dans les noms de domaine contestés et que ceux-ci ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi.

En conséquence, en application du Paragraphe 15 des Règles d’Application, la Commission Administrative ordonne le transfert des noms de domaine <lidoparis.com> et <lido-paris.com> au profit de la Requérante.


William Lobelson
Expert Unique

Le 13 avril 2005