WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

GUILDINVEST contre KRYS

Litige n° D2003-0592

 

1. Les parties

Le Requérant est GUILDINVEST, Bazainville, France, représenté par Ernest Gutmann - Yves Plasseraud S.A., France.

Le Défendeur est KRYS, Strasbourg, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <krys.org>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Gandi SARL, Paris, France.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par GUILDINVEST auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 29 juillet 2003.

En date du 29 juillet 2003, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SARL, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 30 juillet 2003.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d’application"), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 5 août 2003, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 25 août 2003. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 29 août, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 5 septembre 2003, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Nathalie Dreyfus. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

Le Requérant exerce son activité en France et en Belgique dans le domaine de l’optique et de la lunetterie notamment sous la marque "KRYS". Il est propriétaire de deux enregistrements de marque française :

- marque "KRYS" (dénomination) n° 1 727 269 du 26 décembre 1991 (1er dépôt du 21 décembre 1967) régulièrement renouvelée, appliquée à des produits et services des classes 1, 3, 5, 9, 16, 21, 35, 36, 41 et 42.

- marque "KRYS" (semi figurative) n° 1 723 772 du 4 décembre 1991 régulièrement renouvelée, qui désigne des produits et services des classes 1, 3, 5, 9, 16, 21, 35, 36, 41 et 42.

La marque "KRYS" bénéficie d’une grande notoriété auprès du public français au regard des services d’optiques et de lunetterie, ce qui est démontré par le Requérant par une étude de notoriété effectuée par l’Institut IFOP en 2002, ainsi que par de nombreux articles de presse.

Le nom de domaine contesté <krys.org> a été enregistré par le Défendeur le 3 juin 2002.

Ayant eu connaissance de l’existence du nom de domaine <krys.org> qui pointe vers un site Internet à caractère pornographique, le Requérant a initié la présente procédure devant le Centre afin d’obtenir le transfert du nom de domaine <krys.org>.

Le Défendeur n’a pas présenté de mémoire de réponse à la plainte déposée par le Requérant.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant demande à la Commission administrative de rendre une décision ordonnant que le nom de domaine <krys.org> lui soit transféré.

Conformément aux paragraphes 4 (a) (b) (c) des Principes directeurs et le Paragraphe 3 des Règles, le Requérant avance les arguments suivants :

- le nom de domaine <krys.org> est identique aux marques "KRYS" dont le Requérant est titulaire.

- le Défendeur ne détient aucun droit sur le nom de domaine et n’a aucun intérêt légitime qui s’y attache.

A la connaissance du Requérant, le Défendeur n’est, titulaire d’aucun droit sur la dénomination "KRYS", que ce soit à titre de marque, de dénomination sociale, de nom commercial ou d’enseigne, en France et à l’étranger. En outre, il n’est en aucun cas autorisé par le Requérant à faire un quelconque usage du signe "KRYS". Il n’y a eu ni cession de marque, ni concession de licence en sa faveur.

Par ailleurs, aucune autorisation n’a été donnée par le Requérant au Défendeur pour réserver un nom de domaine identique aux marques "KRYS".

En conséquence, le Requérant soutient que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine <krys.org>, ni aucun intérêt légitime s’y attachant.

- le nom de domaine contesté a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

Le nom de domaine <krys.org> pointe vers un site pornographique, constituant un portail vers d’autres sites pornographiques. La manœuvre consistant à réserver le nom de domaine <krys.org> afin d’attirer les internautes sur des sites à caractère pornographique en profitant de la renommée dont bénéficie la marque "KRYS", à tout le moins sur le territoire français, démontre que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Dans l’hypothèse où le Défendeur perçoit une contrepartie financière pour référencer différents sites pornographiques sous le site <krys.org> et puisqu’il propose par ailleurs des prestations payantes, le nom de domaine <krys.org> peut être considéré comme ayant été réservé et utilisé de mauvaise foi, à des fins lucratives.

En outre, le fait que le nom de domaine <krys.org> pointe vers un site pornographique porte atteinte à la réputation de la marque "KRYS" du Requérant, réputation que le Défendeur ne pouvait ignorer puisqu’il est localisé sur le territoire français.

Le Requérant ajoute que l’atteinte est d’autant plus préjudiciable qu’il propose sous la marque "KRYS" des gammes de lunettes destinées aux enfants.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a présenté aucun argument en réplique et n’a pas contesté les allégations du Requérant.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15 (a) des Règles dispose expressément que "la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui sont soumises et conformément aux Principes directeurs aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable".

La Commission décide en conséquence de faire référence à des dispositions du droit français puisque les parties sont toutes deux de nationalité française.

Le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver cumulativement que :

(a) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits;

(b) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache;

(c) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant est titulaire depuis 1967 de la marque française "KRYS" pour désigner notamment des produits de lunetterie et d’optique en classe 9. Le Requérant justifie de deux enregistrements de marque valables. La validité de ces enregistrements de marque n’est pas contestée par le Défendeur, qui est défaillant. La Commission relève à titre superfétatoire que le signe "KRYS" n’a pas de signification en langue française et constitue un signe arbitraire au regard des produits et services visés.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <krys.org> le 3 juin 2002, et fait pointer ce nom vers un site Internet à caractère pornographique.

Le nom de domaine <krys.org> reproduit intégralement la marque "KRYS" du Requérant, à la seule différence de l’adjonction du suffixe ".org".

Il est à présent clairement établi, au regard des décisions déjà rendues par le Centre, que l’adjonction du suffixe générique ".org" ou ".com" est inopérante et n’altère en rien la perception du signe objet de l’ajout (Société Troisgros v. Web partenaire, Litige OMPI N° D2002-0497).

Toutefois, à l’examen des produits et services visés par les marques "KRYS", il a lieu de constater qu’aucun des produits ou services du libellé des marques ne peut être considéré comme identique ou similaire à un site Internet à caractère pornographique. Ainsi, au regard du principe de spécialité de la marque, la preuve de l’identité ou de la similarité n’est pas rapportée. Cependant, en application des dispositions de l’article L.713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle français (articles 16.2 et 3 de l’Accord sur les ADPIC/TRIPS), une atteinte au droit des marques peut être retenue, en raison de sa notoriété, si les actes accomplis par le Défendeur sont de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou l’emploi de la marque constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.

En effet, l’article L.713-5 paragraphe 1 du Code de la Propriété Intellectuelle français dispose :

"L’emploi d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits et services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière".

La Commission relève que le Requérant, par les pièces produites, a justifié que la marque "KRYS" est connue d’une partie significative du public en France. Elle jouit d’une grande notoriété dans le domaine de la lunetterie et de l’optique, ce qui est démontré notamment par le biais d’une étude de notoriété et d’image conduite par l’Institut IFOP en 2002 et par de nombreux articles de presse. Par ailleurs, la notoriété de la marque "KRYS" n’est pas contestée par le Défendeur.

En conséquence, la Commission considère que le nom de domaine <krys.org> est identique ou, à tout le moins similaire à la marque antérieure "KRYS", au sens de l’article 4 (a) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le paragraphe 4 (c) des Principes directeurs comporte une liste non limitative de circonstances qui, si la Commission considère les faits comme établis au vu de tous les éléments de preuve présentés, montrent que le Défendeur dispose de droits sur le nom de domaine ou possède un intérêt légitime à son sujet.

Ces circonstances sont les suivantes :

i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le Défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

ii) le Défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

iii) le Défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Le Défendeur, en ne répondant point à la plainte, n’a pas fait valoir une des circonstances qui auraient pu établir des droits sur le nom de domaine ou un intérêt légitime qui s’y attache, conformément aux dispositions du paragraphe 4 (c) des Principes directeurs.

En conséquence, la Commission administrative peut en tirer les conclusions qu’elle juge appropriées, selon les dispositions du paragraphe 14 (b) des Règles (cf. Talk City, Inc. v. Michael Robertson, Litige OMPI N° D2000-0009; Isabelle Adjani v. Second Orbit Communications, Inc., Litige OMPI N° D2000-0867; Tour de Charme, S.A.R.L., Sony Music Entertainment (Holland) B.V. et Mademoiselle Patricia Kaas v. Stars en Direct, Litige OMPI N° D2002-0733).

La Commission estime que le Requérant a établi ses droits sur la marque "KRYS", qui est connue d’une large portion du public français.

Le Défendeur défaillant, n’allègue d’aucun intérêt légitime dans le nom de domaine <krys.org>.

Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu’à la connaissance du Requérant, le Défendeur n’est titulaire d’aucun droit sur le signe "KRYS" en France et à l’étranger. En outre, le Requérant a précisé qu’il n’a en aucun cas autorisé le Défendeur à faire usage du signe "KRYS". En l’absence de preuves contraires, le Requérant n’a concédé aucune licence, ni effectué aucun transfert de la marque "KRYS" au profit du Défendeur. Le Défendeur ne justifie d’aucune autorisation du Requérant pour réserver un nom de domaine identique ou proche de la marque "KRYS".

Enfin, comme l’indique le Requérant, le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine en question.

Dans ces conditions, la Commission estime que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine <krys.org>, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le paragraphe 4 (b) des Principes directeurs prévoit une liste non limitative des circonstances qui, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, établissent la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Une telle preuve est établie si la réalisation de l’une des circonstances suivantes est rapportée:

i) les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;

ii) le Défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique;

iii) le Défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

iv) en utilisant ce nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

Le Défendeur fait défaut. La Commission ne retient aucune circonstance exceptionnelle au sens du paragraphe 14 (a) des Règles qui n’aurait pas permis au Défendeur de respecter le délai de réponse fixé.

La Commission en déduit que le Défendeur ne conteste pas les faits allégués par le Requérant, ni ne s’oppose aux conclusions qu’il tire desdits faits.

La Commission se doit toutefois de déterminer si les éléments allégués sont établis en fait et si les conclusions soumises par le Requérant peuvent être tirées desdits faits (cf. Harvey Norman Retailing Pty Ltd v. Oxford-University, Litige OMPI N° D2000-0944; Litige OMPI N° D2000-0867; Tour de Charme, S.A.R.L., Sony Music Entertainment (Holland) B.V. et Mademoiselle Patricia Kaas v. Stars en Direct, Litige OMPI N° D2002-0733).

Il est important d’insister sur le fait que le Défendeur n’a présenté aucune réponse à la plainte et à ainsi renoncé à la possibilité d’invoquer des circonstances pouvant justifier l’enregistrement et l’usage de bonne foi du nom de domaine en question.

Conformément aux éléments contenu dans la plainte et attestés par un constat d’huissier en date du 20 décembre 2002, les internautes souhaitant atteindre le site du Requérant par le biais du nom de domaine <krys.org> sont automatiquement redirigés vers un site Internet payant à caractère pornographique. Une telle redirection a manifestement pour conséquence de ternir l’image de marque du Requérant. Par ailleurs, la manœuvre consistant à réserver un nom de domaine afin d’attirer les usagers d’Internet vers un site à caractère pornographique en profitant de la renommée d’une marque et pour un profit financier, constitue un élément montrant que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

Le pointage du nom de domaine <krys.org> vers un site pornographique porte incontestablement atteinte à la réputation de la marque "KRYS" du Requérant, réputation que le Défendeur ne pouvait ignorer puisqu’il est localisé sur le territoire français.

Ce comportement tombe sous le coup des dispositions du paragraphe 4 (b) (iv) des Principes directeurs.

De nombreuses décisions rendues par le Centre ont considéré que le pointage d’un nom de domaine vers un site actif à caractère pornographique suffisait à remplir la condition d’enregistrement et d’usage de mauvaise foi (Yahoo! Inc. v. Internet Entertainment Group, Litige OMPI N° D2000-1595; Club Méditerranée v. Beaufort Holding Ltd, Litige OMPI N° D2000-1564; Tour de Charme S.A.R.L., Sony Music Entertainment (Holland) B.V. et Mademoiselle Patricia Kaas v. Stars en Direct, Litige OMPI N° D2002-0733).

Enfin, la Commission considère que l’absence de toute réponse du Défendeur constitue un indice complémentaire d’un comportement de mauvaise foi au sens général du paragraphe 4 (b) des Principes directeurs.

En conséquence, la Commission, appréciant souverainement les faits au regard des éléments qui lui sont rapportés et des pièces qui ont été versées aux débats, considère que le Défendeur a bien enregistré et utilise le nom de domaine <krys.org> de mauvaise foi.

 

7. Décision

Pour les raisons ci-dessus exposées, la Commission administrative décide que le Requérant a apporté la preuve que le nom de domaine <krys.org> est identique à la marque sur laquelle le Requérant a des droits, que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache et que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, conformément aux paragraphes 4 (i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que l’enregistrement du nom de domaine <krys.org> soit transféré au profit du Requérant.

 


 

Nathalie Dreyfus
Expert Unique

Le 16 septembre 2003