WIPO

 

Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

La Poste contre Monsieur Jean-Pierre Talvard

Dossier n° D 2001-0513

 

1. Les Parties

Le Requérant est La Poste, exploitant public créé par la loi n° 90.568 du 2 juillet 1990, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Nanterre sous le n° B 356 000 000, dont le siège social est 4 Quai du Point du Jour, 92100 Boulogne Billancourt, France.

Le Requérant est représenté par Maître Emmanuel Baud, Avocat à la Cour, Cabinet Stibbe, 154 rue de l’Université , 75007 Paris, France.

Le Défendeur est Monsieur Jean-Pierre Talvard, demeurant 40 avenue Paul Claudel, 91250 Saint Germain Les Corbeil, France.

Le Défendeur n’est ni présent, ni représenté à la procédure.

 

2. Noms de Domaine et unité d’enregistrement

2.1. Les noms de domaine litigieux sont <lapostefrancaise.com>, <lapostefrancaise.net> et <lapostefrancaise.org>.

2.2 Les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et attribués au Défendeur par la société GANDI.NET, 38 rue de Nazareth, 75003 Paris, France.

2.3. Cette unité d’enregistrement a confirmé toutes les données du présent litige qui ont été présentées par le Plaignant dans la Plainte qu’il a formée devant le Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI (ci-après désigné "Le Centre").

 

3. Rappel de la Procédure

3.1. Une Plainte a été déposée par LA POSTE, conformément aux Principes Directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (le Règlement) adoptés et publiés par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN).

Cette Plainte a été enregistrée par le Centre en date du 6 avril 2001.

3.2. Le 11 avril 2001, Le Centre a adressé la requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Plaignant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 17 avril 2001 et ce telles que communiquées par le Plaignant.

3.3. Le 17 avril 2001, notification de la plainte, valant ouverture de la présente procédure, administrative, a été adressée au Défendeur.

3.4. Le 17 avril 2001, notification de la plainte a été adressée en copie à l’ICANN et à l’unité d’enregistrement, soit GANDI.NET.

3.5 Le 14 mai 2001, il a été dressé notification d’un manquement au défendeur.

3.6 Le 21 mai 2001, notification de nomination de l’Expert est intervenue.

3.7 Le 21 mai 2001, l’ensemble des pièces du présent litige étaient adressées à la Commission Administrative constituée d’un seul Expert signataire des présentes.

En application de l’article 11 des règles d’application des principes directeurs, la Commission décide que la langue de la procédure sera le Français, compte tenu du fait que les deux parties au litige sont de nationalité française et que l’unité d’enregistrement est une société française.

 

4. Les faits

4.1. Le Requérant est titulaire des marques suivantes :

La marque semi-figurative "LA POSTE", enregistrée sous le numéro 1 572 869, déposée le 7 décembre 1989, pour les classes 09, 12, 16, 18 , 22, 25, 28, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 et 42 relatives notamment aux activités et services suivants :

- Appareils et instruments divers;
- Appareils de supports de sons et d’images;
- Equipements de traitement de l’information;
- Appareils de locomotion;
- Produits d’imprimerie;
- Matériels d’emballage;
- Divers autres produits (malles et valises, vêtements, etc…);
- Services financiers, services d’assurance et services d’aide aux entreprises et aux particuliers;
- Domaine de la publicité et des affaires;
- Services de télécommunication, de transport, de conditionnement et d’agence de voyage;
- L’enregistrement, l’édition et les divertissements radiophoniques et télévisuels;
- Travaux d’ingénieurs, essais.

La marque "LA POSTE AD HOC", déposée sous le numéro 99/811 712, le 10 septembre 1999, pour les classes 16, 35, 36, 38, 39, 41 et 42 relatives notamment aux activités et services suivants :

- Transmission électronique de données, d’images, de systèmes de transmission tel que ondes, câbles, satellites, réseau Internet;
- Transmission d’information par voie télématique, échanges de données informatisées;
- Développements de systèmes de télécommunications.

La marque semi-figurative "LA POSTE", déposée sous le numéro 99/827 240, le 6 décembre 1999, pour les classes 09, 16, 35, 36, 38, 39, 41 et 42 relatives notamment aux activités et services suivants :

- Equipement pour le traitement de données et l’accès à l’Internet;
- Abonnements à un centre fournisseur d’accès à un réseau informatique ou de transmission de données;
- Services de transmission d’informations accessibles par code d’accès à Internet ou par réseau de type Internet permettant aux abonnés de connaître le solde de leurs comptes et opérations effectuées;
- Transmission électronique de données, d’images, de documents de cartes postales par l’intermédiaire de terminaux d’ordinateurs et tous les autres systèmes de transmission tels que ondes, câbles, satellites, réseau Internet, surveillance, traitement, émission et réception de données, de signaux et d’informations traitées par ordinateurs ou par appareils et instruments de télécommunication.

La marque semi-figurative "La poste Postsuivi international express", déposée sous le numéro 3 001 711, le 17 janvier 2000, pour les classes 16, 38 et 39 relatives notamment aux activités et services suivants:

- Communication interactive par serveur télématique, Internet, par réseaux satellites, téléphone ou autres moyens;
- Transmission et diffusion d’images de messages, d’informations par terminaux d’ordinateurs, par voies télématiques, Internet et au moyen de tout autre vecteur de communication.

La marque "I POSTE Le commerce électronique de La Poste", déposée sous le numéro 3 004 422, le 31 janvier 2000, pour les classes 35, 38, 39 et 42 relatives notamment aux activités et services suivants :

- Télécommunication, transmission de messages et d’information assistée par ordinateur;
- Diffusion d’informations par voie électronique, notamment pour les réseaux de communication mondiale (de type Internet).

La marque "E Poste le commerce électronique de La Poste", déposée sous le numéro 3004425, le 31 janvier 2000, pour les classes 35, 38, 39 et 42 relatives notamment aux activités et services suivants :

- Télécommunication, transmission de messages et d’information assistée par ordinateur;
- Diffusion d’informations par voie électronique, notamment pour les réseaux de communication mondiale (de type Internet).

La marque "la-poste.net", déposée sous le numéro 3017599, le 28 mars 2000, pour les classes 09, 16, 35, 38 et 42 relatives notamment aux activités et services suivants :

- Traitement électronique de données et d’informations;
- Communication par services télématiques et par terminaux d’ordinateurs;
- Communication par tous moyens de diffusion et notamment transmission de messages et d’images assistées par ordinateur.

La marque "LA POSTE THE INTERNATIONAL MAIL SOLUTION", déposée sous le numéro 3 078 105, le 23 janvier 2001, pour les classes 38 et 39 relatives notamment aux activités et services suivants :

- Diffusion et transmission d’informations par voie télématique;
- Services de fourniture d’accès à des serveurs nationaux et internationaux;
- Transmission de données, de sons et d’images assistées par ordinateur;
- Services de transmission de courrier électronique, de diffusion d’information par voie électronique;
- Services de traitement de données.

4.2. Le Requérant est également titulaire, directement ou indirectement, des noms de domaine suivants :

<france-poste.com>, enregistré le 22 février 1999
<lapostefrance.com>, enregistré le 22 février 1999
<la-poste.net>, enregistré le 28 avril 1998 
<la-poste.org>, enregistré le 29 avril 1998
<laposte-france.com>, enregistré le 22 février 1999
<laposte.com>, enregistré le 30 août 2000 
<laposte.org>, enregistré le 28 avril 1998
<laposte.net>, enregistré le 4 juin 1996

4.3. Le Requérant indique également être titulaire d’un droit sur la dénomination "LA POSTE", en application de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications.

LA POSTE disposerait donc d’un monopole d’autant moins incontesté sur sa dénomination qu’il est d’origine légale.

Le Requérant précise avoir développé l’utilisation des nouvelles technologies de la télécommunication et notamment de l’Internet, ayant en particulier généralisé ses services sur Internet et rendu possible l’accès de ses clients à leurs comptes bancaires ou à toutes autres opérations en ligne.

Au surplus, à la date d’enregistrement des noms de domaine par le Défendeur, LA POSTE avait déjà déposé les marques similaires à "La Poste", à savoir "E Poste le commerce électronique de LA POSTE" et "la-poste.net".

De même, le Requérant avait d’ores et déjà enregistré des noms de domaine similaires, voire identiques, à savoir <france-poste.com>, <lapostefrance.com>, <laposte-france.com>.

Le Requérant conclut donc à l’existence d’un risque de confusion important pour les consommateurs, soit ses usagers.

4.4. Le Défendeur faisant, quant à lui, défaut, n’établit en rien disposer d’un droit privatif, de quelque nature que ce soit sur les signes objets des présentes, à savoir "lapostefrancaise.com", "lapostefrancaise.net" et "lapostefrancaise.org".

En revanche, il est établi que le Défendeur a procédé à l’enregistrement auprès de GANDI.NET de ces trois noms de domaine, en date du 6 septembre 2000.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

5.1. Le Requérant invoque la renommée de la dénomination "LA POSTE" et reproche au Défendeur d’avoir repris cette dénomination dans chacun des noms de domaine contestés <lapostefrancaise>.

Le Requérant considère que : "Les adjonctions à la dénomination "La Poste" opérées par le défendeur pour ses noms de domaine ne sauraient conférer un caractère distinctif à ceux-ci et supprimer l’atteinte aux marques antérieures du requérant. En effet les termes prépondérants et attractifs demeurent les termes "La Poste". L’adjonction du terme "francaise" et la suppression de l’espace entre "La" et "Poste" ne sont en aucun cas à même de conférer une quelconque distinctivité des noms de domaine enregistrés face aux marques du requérant".

5.2. Selon le Requérant, la désignation géographique "française" adjointe à la marque "La Poste" renforcerait le risque de confusion avec les services offerts par le Requérant.

5.3. Le Requérant considère que ses marques couvrent les services du secteur de l’informatique et des télécommunications ainsi que les services de communication sur l’Internet, alors que le Défendeur, grâce au dépôt des noms de domaine <lapostefrancaise.com>, <lapostefrancaise.org> et <lapostefrancaise.net> derrière lesquels ne se trouve aucun site, ne dispose pas de droits sur lesdites dénominations, pas plus que d’intérêt légitime sur celles-ci.

Au surplus, les trois noms de domaine enregistrés litigieux renvoient tous à une page d’erreur et il est établi que le Défendeur n’a accompli aucun préparatif sérieux en vue de l’utilisation des noms de domaine, ce qui caractériserait sa mauvaise foi.

5.4. Enfin, le Requérant précise que le message électronique que le Défendeur a adressé au Requérant en date du 10 janvier 2001 fait clairement apparaître sa volonté d’exercer des pressions sur le Requérant, sous couvert d’un prétendu projet invoqué, le seul but poursuivi par le Défendeur étant, à l’évidence, de monnayer à terme la rétrocession des noms de domaine qu’il a enregistrés.

B. Le Défendeur

5.5. Le Défendeur faisant défaut, n’a présenté aucune défense.

Il y a donc lieu de statuer sur les seuls éléments rapportés par le Requérant.

 

6. Discussion et conclusions

6.1. Le paragraphe 15 (a) des Règles prévoit que "la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément au Principe directeur aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable".

6.2. Au demeurant, le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que :

(a) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits;

(b) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;

(c) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

6.3. En conséquence, il y a lieu de s’attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs.

(a) Les noms de domaine litigieux sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion à des marques de produits ou de services sur lesquelles le Requérant a des droits.

Le Requérant a établi détenir des droits, à titre de dénomination, en France, sur "LA POSTE " en application de dispositions légales, à savoir la loi du 2 juillet 1990 n° 90-568, relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications.

Le Requérant a établi détenir, au moins en France, des droits à titre de marques sur des signes incluant"LA POSTE",, seul ou accompagné d’un autre mot ou d’un élément figuratif, et ce pour désigner tant des "services de télécommunications" que des "services d’échange de données informations et de courriers électroniques, de transmission d’informations contenues dans des banques de données et banques d’images, réseau Internet; surveillance, traitement, émission et réception de données".

Au surplus, la Commission retient que le Requérant est également titulaire, directement ou indirectement par le biais de ses filiales, des noms de domaine suivants : <france-poste.com>, <lapostefrance.com> et <laposte-france.com>.

Dès lors, la Commission constate que l’adjonction du mot "francaise" à "laposte", non seulement n’est pas de nature à supprimer les ressemblances existant avec les marques ou les noms de domaine préexistants appartenant au Requérant, mais encore est similaire au point de prêter à confusion avec les marques "LA POSTE" sur lesquelles le Requérant détient des droits.

Ainsi, l’adjonction "francaise" à "laposte" est inopérante car elle ne confère pas au nouvel ensemble ainsi composé un sens nouveau de nature à éviter un risque de confusion avec les marques "LA POSTE".

En conséquence, en l’espèce, les ressemblances l’emportant sur les différences, il y a lieu de considérer que les noms de domaine <lapostefrancaise.com>, <lapostefrancaise.net> et <lapostefrancaise.org> sont similaires ou semblables, au point de prêter à confusion, aux marques "LA POSTE" détenues par le Requérant.

(b) Le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache.

La Commission constate l’absence totale de droits réservataires du Défendeur sur la dénomination "lapostefrancaise", mise à part, bien entendu, la propriété des noms de domaine litigieux "lapostefrancaise" sous extensions ".com", ".net" et ".org"

Par ailleurs, dans les rares échanges intervenus entre le Requérant et le Défendeur, il apparaît que le Défendeur n’a invoqué aucun intérêt légitime à la détention de tels noms de domaine.

La Commission constate donc que le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache.

(c) Les noms de domaine du Défendeur ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi.

La Commission constate également que, malgré les tentatives amiables du Requérant tendant à obtenir une solution amiable du litige, ses efforts ont été vains.

La Commission constate également que le seul document émanant du Défendeur est un courrier électronique du 10 janvier 2001 par lequel le Défendeur indique au Requérant que "suite à notre échange téléphonique, je ne comprends votre menace de cybersquatting à mon encontre d’autant que mon projet rapportera des clients à LA POSTE et ne fait pas de concurrence. Pouvez-vous joindre mon avocat, Maître X, Cabinet Y?".

Or, le Requérant a, tel qu’il ressort des éléments du dossier, bien tenté de joindre le Conseil de Monsieur TALVARD, et ce à deux reprises. Il apparaît toutefois que le Conseil de Monsieur TALVARD n’a jamais donné suite aux demandes du Requérant pas plus qu’il ne lui a répondu.

La Commission constate que le Défendeur est domicilié en France.

Ainsi, le Défendeur ne saurait donc prétendre valablement ignorer l’existence et la renommée de "LA POSTE", de même qu’il ne saurait ignorer que LA POSTE détient un monopole conféré par la loi de service public du courrier.

Enfin, la Commission constate que malgré l’enregistrement de trois noms de domaine depuis le mois de septembre 2000, le Défendeur n’a créé aucun site accessible par les noms de domaine litigieux.

La Commission considère donc que le fait, pour une personne, physique ou morale, d’enregistrer comme nom de domaine une dénomination dont elle ne peut ignorer qu’elle appartient à un tiers, constitue un enregistrement de mauvaise foi.

Il est par ailleurs établi que le Requérant a, par premier courrier électronique du 22 novembre, doublé par une lettre de mise en demeure du 30 novembre 2000, sollicité du Défendeur, par voie amiable, que ce dernier radie les noms de domaine <lapostefrancaise> sous extensions <.com>, <.net> et <.org>.

Et cette demande est restée sans effet, le Défendeur ne prenant pas même la peine de justifier des raisons exactes pour lesquelles il a sollicité l’enregistrement des noms de domaines litigieux.

En conséquence, la Commission appréciant souverainement les faits au regard des éléments qui lui sont rapportés et des pièces qui ont été versées aux débats, considère que Monsieur Jean-Pierre TALVARD a bien procédé au dépôt et obtenu l’enregistrement des noms de domaine <lapostefrancaise.com>, < lapostefrancaise.net> et <lapostefrancaise.org> de mauvaise foi.

 

7. Décision

Les conditions posées à l’article 4 a) des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine étant réunies, la Commission Administrative décide en conséquence le transfert des noms de domaine <lapostefrancaise.com>, <lapostefrancaise.net> et <lapostefrancaise.org> au profit de LA POSTE, exploitant public créé par la loi n° 90.568 du 2 juillet 1990, dont le siège social est 4 Quai du Point du Jour, 92100 Boulogne Billancourt, France

 


 

Isabelle LEROUX
Expert Unique

Date : 31 mai 2001