WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DECISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Alain Afflelou S.A. c/ Grégoire Claudien

Litige no. D2000-1635

 

1. Les Parties au Litige

Le requérant est la société Alain Afflelou S.A., 104 avenue des Champs-Elysées, 75008 Paris, France.

Le défendeur est Monsieur Grégoire Claudien, 6 rue J.B. Ogier, 42100 Saint-Etienne, France.

 

2. Le nom de domaine et l'unité d'enregistrement

Le nom de domaine concerné est "afflelou.com".

L'unité d'enregistrement est Network Solutions, Inc..

 

3. Rappel de la procédure

Le Centre d'Arbitrage et de Médiation de l'OMPI a reçu une plainte de la société Afflelou S.A. (par l'intermédiaire de son représentant autorisé, la société de conseils en propriété industrielle Novamark, 122 rue Edouard Vaillant, 92593 Levallois Cédex) le 23 novembre 2000, par courrier recommandé et le 18 décembre 2000, par e-mail.

Le 19 décembre 2000, le Centre a accusé réception par e-mail.

Le Centre a vérifié que la plainte répondait aux Principes directeurs et aux Règles d'application des Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (règles de procédure) approuvées par l'ICANN le 24 octobre 1999, et aux règles supplémentaires de l'OMPI (le Centre) pour l'application des Principes directeurs précités.

Le requérant a effectué le paiement requis au Centre.

Le 15 décembre 2000, le Centre transmet par e-mail à Network Solutions, Inc. une requête pour opérer les vérifications nécessaires en relation avec ce dossier. Le 19 décembre 2000, Network Solutions, Inc. a transmis sa réponse au Centre par
e-mail.

Le 1er janvier 2001, le Centre transmet au requérant une notification d‘irrégularité de la plainte en application des paragraphes 1 et 3(b)(xiii) des Règles.

Le 4 janvier 2001, le requérant transmet au Centre par e-mail un amendement à la plainte afin de la régulariser. Une copie de cet e-mail a été envoyée à l'unité d'enregistrement et au défendeur également par e-mail.

Le 5 janvier 2001, le Centre notifie au requérant par e-mail la notification de la plainte amendée avec copie au défendeur.

Le 12 janvier 2001, le Centre vérifie une nouvelle fois la check-list des exigences formelles et notifie au défendeur par e-mail du même jour la plainte et le commencement de la procédure administrative.

Le 2 février 2001, le Centre notifie par e-mail au défendeur, avec copie au requérant, la défaillance dudit défendeur avec les conséquences qui en découlent. Cette notification est confirmée par courrier DHL du 5 février 2001.

Le 13 février 2001, le Centre invite par e-mail Jean-Claude Combaldieu à servir comme expert unique dans ce dossier. La déclaration d'impartialité et d'indépendance a été signée et envoyée au Centre par télécopie le 14 février 2001.

Le 27 février 2001, le Centre notifie à toutes les parties la nomination de la Commission administrative composée de Jean-Claude Combaldieu comme expert unique.

Toute cette procédure est donc parfaitement régulière en application des Règles et Règles supplémentaires.

La présente décision est rédigée en français en application du paragraphe 11(a) des Règles compte-tenu notamment du fait que les deux parties sont de nationalité française.

 

4. Les faits

La plainte est basée sur les marques françaises et internationales suivantes :

(a) Marques comprenant les termes Afflelou dans les classes 9, 35 et 40

- Marque française Affinité d'Afflelou n° 1 732 567 déposée le 24 mai 1991 et enregistrée en classe 9,

- Marque française Alain Afflelou n° 96 648 390 déposée le 29 octobre 1996 et enregistrée en classe 9,

- Marque française Alain Afflelou n° 97 695 194 déposée le 16 septembre 1997 et enregistrée en classe 9,

- Marque française Alain Afflelou Lunettes de Paris n° 1 506 324 déposée le 5 septembre 1998 et enregistrée en classe 9,

- Marque française Alain Afflelou Opticien n° 1 717 625 renouvelée le 16 septembre 1997, en classes 9, 35,

- Marque française La 4 T d'Afflelou n° 96 645 519 déposée le 11 octobre 1996, et enregistrée en classe 9,

- Marque française La FORTY d'Afflelou n° 96 645 518 déposée le 11 octobre 1996, et enregistrée en classe 9,

- Marque française La FORTY d'Afflelou n° 97 661 001 déposée le 28 janvier 1997, et enregistrée en classe 9,

- Marque française La FUNNY d'Afflelou n° 98 713 899 déposée le 21 janvier 1998, et enregistrée en classe 9,

- Marque française LE 2AI d'Afflelou n° 94 531 255 déposée le 7 juillet 1994, et enregistrée en classes 9, 40,

- Marque française LE 2AI d'Afflelou n° 94 512 206 déposée le 17 mars 1994, et enregistrée en classe 9,

- Marque française LE 2AI d'Afflelou n° 94 520 982 déposée le 16 mai 1994, et enregistrée en classes 9, 35,

- Marque française LE PROGRESSIF d'Afflelou n° 94 550 318 déposée le 2 février 1999 et enregistrée en classe 9,

- Marque française LE PROGRESSIF cent pour cent d'Afflelou n° 99 772 558 déposée le 2 février 1999, et enregistrée en classe 9,

- Marque française LE VERRE 2A.I d'Afflelou n° 99 772 559 déposée le 2 septembre 1999 et enregistrée en classe 9,

- Marque française LE verre PROGRESSIF cent pour cent d'Afflelou n° 99 772 563 déposée le 2 février 1999 et enregistrée en classe 9,

- Marque française LEs caractEres d'alain afflelou n° 1 528 425 renouvelée le 27 avril 1999, en classe 9,

- Marque française les fatales d'Afflelou n° 98 718 754 déposée le 18 février 1998 et enregistrée en classe 9,

- Marque française on est fou d'afflelou n° 1 528 426 renouvelée le 27 avril 1999, en classes 9, 35,

- Marque internationale ALAIN AFFLELOU n° 555412A déposée le 13 août 1997, et enregistrée en classe 9,

- Marque internationale LA FUNNY D'AFFLELOU n° 700107 déposée le 5 octobre 1998 et enregistrée en classe 9,

- Marque internationale LA FORTY AFFLELOU n° 700108 déposée le 5 novembre 1998 et enregistrée en classe 9,

- Marque internationale ALAIN AFFLELOU n° 705281 déposée le 4 février 1999 et enregistrée en classe 9,

Toutes ces marques recouvrent essentiellement des produits optiques (classe 9).

(b) Marques comprenant les termes Afflelou et couvrant entre autres la classe 38

- Marque française ALAIN Afflelou n° 1 365 616 renouvelée le 30 septembre 1996, en classes 5, 10, 14, 18, 20, 24, 25, 35, 38 (services de communication),

- Marque française ALAIN Afflelou n° 93 449 611 déposée le 4 janvier 1993 et enregistrée en classes 9, 35, 38,

- Marque française AFFINITE D'Afflelou n° 1 732 567 renouvelée le 5 mai 1991, en classes 5, 10, 14, 18, 20, 24, 25, 29, 30, 32, 35, 38, 42,

- Marque internationale ALAIN AFFLELOU n° 555412 déposée le 21 juin 1990 et enregistrée en classes 5, 9, 10, 14, 18, 20, 24, 25, 35, 38 (services de communication).

Par ailleurs, le requérant fournit des pages du WHOIS indiquant qu'il a enregistré les noms de domaine :

"Afflelou.net" le 17 juin 1999 et "Alain-Afflelou.com" le 2 mai 1998.

Le requérant indique enfin que Alain Afflelou est le nom patronymique du fondateur de la société.

Rappelons que, selon le WHOIS, le nom de domaine incriminé "afflelou.com" a été créé le 13 septembre 1999.

 

5. Argumentation des parties

A. Le requérant

Le requérant expose, en premier lieu, que le nom de domaine incriminé est pratiquement similaire aux marques déposées car il reproduit le principal élément distinctif de ses marques, c'est-à-dire le mot "afflelou". Il explique de plus que la reproduction de cet élément distinctif pour des services tels que ceux de la classe 38 (services de communication) constitue une contrefaçon au sens des articles L.716.1 et L.713.3 de la loi française sur les marques.

Il explique de plus que la marque Alain Afflelou (qui est aussi le nom patronymique du fondateur de la société) est une marque renommée dans le domaine de l'optique non seulement en France, mais aussi internationalement. Le requérant dispose de plusieurs magasins en dehors de la France. Dans ces conditions, l'usage de la marque Afflelou, même pour des produits ou services différents de ceux qui sont protégés, engage la responsabilité du défendeur au sens de l'article L.713.5 de la loi française sur les marques.

Le requérant expose aussi que le défendeur ne dispose d'aucun droit sur le nom de domaine, ni d'aucun intérêt à disposer de celui-ci qui ne correspond pas au nom de sa société. Il ne dispose pas non plus, à la connaissance du requérant, de marques correspondantes.

Enfin, le requérant insiste sur le fait que le nom de domaine incriminé a été enregistré de mauvaise foi.

En effet, une employée de Alain Afflelou, Madame Caillette, a été contactée le 26 juillet 2000, par l'intermédiaire d'une association CIIB. Les "attachés commerciaux" de cette association se déclaraient mandatés par le dépositaire du nom de domaine "afflelou.com" pour procéder à sa cession. Par téléphone, il aurait été question d'une transaction pour 100.000 Francs.

Le représentant autorisé du requérant a de plus envoyé le 20 septembre 2000, au défendeur, Monsieur Grégoire Claudien, une lettre recommandée avec demande d'avis de réception le mettant en demeure de transférer le nom de domaine à la S.A. Alain Afflelou. Cette lettre est restée sans réponse.

Se référant à des jurisprudence du Centre dans d'autres affaires, le requérant rappelle :

- que si le nom de domaine a été enregistré et utilisé en vue de le revendre au-delà de son coût direct, la mauvaise foi est établie (dossier OMPI D99-0001),

- que l'interrogation de "afflelou.com" renvoie immédiatement à un site "Mydomain.com", ce qui prouve qu'il n'y a pas de site "afflelou.com" et qu'il n'y a aucune utilisation. Renvoyant à une jurisprudence (dossiers OMPI D2000-0055 et D2000-0003), le requérant considère que la détention passive d'un nom de domaine et l'inaction sont aussi des preuves de mauvaise foi.

En conclusion, le requérant, en application de l'article 4(b)(i) des Règles, demande que le nom de domaine "afflelou.com" lui soit transféré.

B. Le défendeur

Le défendeur est défaillant (notification du Centre en date du 2 février 2001). Il n'a donc présenté aucun argument en réponse.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles indique à la Commission administrative les principes de base à utiliser pour se déterminer à l'occasion d'une plainte : la Commission doit décider sur la base des exposés et documents soumis selon les Principes directeurs et les Règles d'application ainsi que toutes règles ou principes légaux qui lui semblent applicables.

Appliqué à ce cas, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs indique que le requérant doit prouver chacun des points suivants :

(1) le nom de domaine enregistré par le défendeur est identique ou semblable au point de prêter à confusion avec la marque invoquée par le demandeur,

(2) le défendeur n'a ni droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine enregistré,

(3) le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Au cours de la décade 1990, le requérant a déposé de très nombreuses marques françaises et internationales qui toutes ont en commun le mot "Afflelou" (voir supra).

Il n'est donc pas douteux que "Afflelou", qui est aussi le nom patronymique du fondateur de la société, est l' élément distinctif de ces marques.

Il n'appartient pas à la Commission de prendre position sur la notoriété de cette marque. Il convient toutefois de dire que la société Afflelou est très connue en France dans le domaine de l'optique et de la lunetterie, ainsi que la personnalité du fondateur, Monsieur Alain Afflelou. Les documents soumis montrent que cette connaissance de la marque ne s'arrête pas aux frontières de la France.

Il faut aussi noter que certaines de ces marques ont été déposées dans la classe 38 qui concerne précisément les services de communication (et donc la télématique), ce qui met tout utilisateur du mot "Afflelou" dans les services de cette classe en situation de contrefaçon non seulement en France, mais certainement dans tous les pays où la marque internationale "Alain Afflelou" a été enregistrée.

C'est pourquoi la condition d'identité ou, à tout le moins, de similitude prêtant à confusion nous paraît parfaitement établie.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le défendeur étant défaillant, aucun droit ou légitime intérêt à détenir ce nom de domaine n'est invoqué.

Le fait qu'il ait cherché par des intermédiaires à vendre ce nom de domaine peut laisser penser qu'il n'a aucun intérêt si ce n'est celui d'en tirer profit en le revendant au détenteur des droits.

La Commission administrative conclut donc que le défendeur n'a ni droit ni légitime intérêt dans ce nom de domaine.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

En premier lieu, le requérant explique comment le défendeur a tenté de lui revendre le nom de domaine par l'intermédiaire d'un de ses salariés, Madame Caillette. Le prix de 100.000 Francs a, selon le requérant, été donné par téléphone.

Mais, il faut constater que l'association CIIB a précisément pour adresse 6 rue Ogier à Saint-Etienne, c'est-à-dire l'adresse de Monsieur Grégoire Claudien. C'est cette association qui se présente comme étant mandatée pour vendre le nom de domaine. Cette proposition de cession est signée de Messieurs Julien Martinez et Aurélien Berdnikoff qui se présentent comme "attachés commerciaux" ; ce titre dans une association loi de 1901, donc sans but commercial, est assez curieux.

Bref, cet ensemble d'éléments laisse penser à la Commission administrative que le défendeur essaye effectivement de négocier le nom de domaine sans apparaître directement. Ce peut être un signe de mauvaise foi.

Il y a d'autres éléments :

- Le défendeur a été informé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 septembre 2000, de la situation juridique exacte et il lui a été demandé de transférer le nom de domaine au requérant. Cette lettre est restée sans réponse.

- Le nom de domaine n'est pas utilisé. La connexion à "afflelou.com" renvoie immédiatement à "Mydomain.com". Il n'y a pas de site. La Commission administrative est d'avis, comme dans d'autres cas (D2000-0055, Guerlain c/ Peikang), que le concept "utilisé de mauvaise foi" n'est pas limité à une action positive. L'inaction peut être constitutive de mauvaise foi. Il en est d'autant plus ainsi dans un contexte où d'autres éléments militent dans le même sens.

- Le défendeur est défaillant dans la présente procédure. Ceci n'est pas, considéré isolément, une preuve de mauvaise foi. Mais, il peut être apprécié dans le contexte général des autres éléments.

En conclusion, la Commission administrative estime que le faisceau d'éléments qui ont été soumis par le requérant a donné des preuves suffisantes de mauvaise foi.

 

7. Décision

Vu les paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles,

La Commission administrative décide :

(a) que le nom de domaine "afflelou.com" enregistré par Monsieur Grégoire Claudien est identique ou du moins similaire au point de prêter à confusion avec les marques du requérant Alain Afflelou S.A.,

(b) que Monsieur Grégoire Claudien n'a aucun droit ni intérêt légitime à disposer du nom de domaine "afflelou.com",

(c) que ce nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine "afflelou.com" soit transféré au requérant.

 


 

Jean-Claude Combaldieu
Expert unique

Le 8 mars 2001